Rio+20 – une opportunité cruciale pour changer d’indicateurs

Article de Janez Potočnik, Commissaire européen à l’environnement

Je vais assister ce mois à la Conférence Rio+20 sur le développement durable. Celle-ci ayant depuis quelque temps déjà fait l’objet de beaucoup d’attention, vous savez certainement que l’un des principaux sujets de discussion concernera la façon de construire une économie verte et solidaire.

L’UE a énoncé l’année dernière ses idées en la matière, et parmi les principales actions que nous allons promouvoir lors de cette conférence, une « feuille de route pour une économie verte solidaire » devra permettre aux gouvernements nationaux de s’accorder sur ce qui est nécessaire au niveau international, tout en leur donnant la liberté d’utiliser des instruments politiques en vue de concevoir des approches plus spécifiques aux échelons national et régional. L’UE et ses États Membres ont également accueilli comme une contribution d’importance à Rio+20 la proposition de définir des objectifs de développement durable, avec la conviction qu’ils pourraient conduire à un engagement plus ciblé dans cette voie.

Je suis heureux de pouvoir annoncer que la délégation de l’UE a été mandatée par le Conseil des Ministres de l’UE pour promouvoir un engagement à aller au-delà du simple PIB comme critère de mesure du développement des économies. Elle a reçu l’instruction explicite d’encourager d’autres pays à mettre au point et à utiliser des indicateurs complétant le PIB afin de donner une image plus juste des interconnexions existant entre les dimensions environnementales, économiques et sociales de la prospérité, de la qualité de la vie et du bien-être.

C’est cet objectif que nous avons poursuivi dans l’UE depuis la conférence « Au-delà du PIB » de 2007 et la publication en 2009 de la feuille de route pour le développement de nouveaux indicateurs complétant le PIB. Cinq actions principales présentées dans cette feuille de route ont depuis été menées, notamment sous la forme de 40 initiatives visant à perfectionner les indicateurs sociaux et environnementaux. S’il est prévu que la Commission rende plus tard dans l’année un rapport sur la mise en œuvre de ces actions, nous allons dès Rio porter ces idées sur une scène plus large.

Rio+20 se tiendra au moment où la crise économique, de par son ampleur, nous apprend deux choses. Tout d’abord, que les décideurs politiques doivent prendre en compte la qualité de vie. Le développement durable est une vision globale profondément ancrée dans la réalité de la vie des gens. La croissance économique est certes importante, mais nous devons également mesurer les effets des politiques économiques sur la vie des citoyens, dans leur pays et à travers le monde. Tant que nous n’aurons pas saisi l’importance de mesurer ces aspects, il restera difficile de concevoir que nous puissions développer les politiques nécessaires à leur prise en compte.

Le deuxième enseignement à tirer est que nous devons cesser de sous-estimer l’importance du capital naturel. La durabilité de notre développement dépend de la préservation d’écosystèmes sains et nécessite que les économies adoptent une approche rationnelle dans leur utilisation des ressources. De notre capacité à prendre la mesure de la santé des écosystèmes et des services qu’ils fournissent aux économies et aux sociétés dépendra notre faculté à atteindre cette durabilité.

Ceci relève du défi dans les circonstances actuelles, les bureaux statistiques et autres fournisseurs de données se voyant confrontés à des réductions de budget. Si la rationalisation de la collecte de données peut potentiellement en accroitre l’efficacité, il ne fait cependant aucun doute que nous préférerions voir s’accroître les investissements destinés à notre base de connaissances.

Ayant bien conscience des réalités politiques auxquelles nous faisons face, le Conseil a suggéré que de nouveaux indicateurs soient utilisés dès qu’ils seront disponibles. Nous ne pouvons toutefois nous permettre d’attendre que ceux-ci soient parfaits: qu’ils soient adaptés aux besoins présents sera dans un premier temps suffisant.

L’initiative « au-delà du PIB » a donné le coup d’envoi d’un débat mené sur l’ensemble du territoire européen, les États Membres s’étant emparés du sujet pour développer leurs propres réflexions. De premiers résultats ont été obtenus, mais certaines questions nécessitent encore de plus amples discussions. Pour cette raison, la Commission s’apprête à engager une consultation portant sur les indicateurs à utiliser pour contrôler l’efficacité de l’utilisation des ressources et déterminer des objectifs en la matière. Il est en effet nécessaire que nous en sachions davantage sur la taille, l’utilisation et la durabilité de notre base d’actifs naturels, ainsi que sur les façons de garantir que cette dernière demeure le fondement de notre prospérité et de notre bien-être. Vos points de vue seront en cela les bienvenus.

Citation

Herman E. Daly et Joshua Farley

“Même si nous ne parvenions jamais à quantifier [la satisfaction ou le bonheur]... de manière aussi précise que nous quantifions le PIB,… peut-être vaut-il mieux avoir vaguement raison que de se tromper avec précision.”

- Herman E. Daly et Joshua Farley, Auteurs de Ecological Economics: Principles and Applications. (2003), page 234

Pleins feux

Voir au-delà des statistiques – le rôle des valeurs

La vie économique d’une société est généralement décrite à l’aide d’indicateurs quantitatifs ou qualitatifs qui ne mettent pas en évidence le rôle des jugements de valeur. Contre cette tendance, Sanjay Reddy (Nouvelle école de recherche sociale) estime que de tels indicateurs économiques sont toujours associés, que nous le voulions ou non, à des valeurs et des jugements normatifs sous-jacents. Il serait ainsi nécessaire de faire ressortir ces derniers de façon claire et précise de telle sorte que le choix opéré entre les différents indicateurs puisse faire l’objet d’un débat se voulant aussi transparent et démocratique que possible. Les directions que nous donnons à l’économie devraient en effet être guidées par des valeurs appropriées.

Par exemple, mesurer la pauvreté sur notre planète n’est pas seulement une question de calcul, puisqu’avant de compter, il convient de savoir ce que nous comptons, et pourquoi nous le comptons. Mis à part les faits purement numériques - par exemple, le nombre de personnes vivant avec moins d’un dollar par jour -, certaines valeurs devraient avoir une place dans l’analyse, notamment le fait de savoir si un dollar par jour suffit pour couvrir les besoins de base dans une région ou un pays donné. Comment déterminons-nous l’équivalent en pouvoir d’achat d’un dollar en euros, en pesos ou en roupies ? Réponse : cela dépend de ce que nous avons l’intention d’acheter, ce qui dépend à son tour de ce à quoi nous attachons de la valeur!

Par ailleurs, la pauvreté monétaire n’est qu’un aspect de la pauvreté. D’autres facteurs, tels que la malnutrition ou l’accès aux services de santé, devraient être pris en compte. Sanjay Reddy a donc mis l’accent sur la nécessité de recourir à un autre type d’approche, relative à la possession de ressources locales suffisantes pour répondre aux besoins humains fondamentaux (pour en savoir plus sur les idées de Sanjay Reddy concernant la mesure de la pauvreté : http://www.columbia.edu/~sr793/count.pdf, 294 ko, en anglais).

Un autre exemple concerne la définition communément admise du PIB. Celle-ci ne tient en effet pas compte des pertes résultant, par exemple, de la destruction de la nature, même si un assainissement environnemental ou un effort de reconstruction créent des transactions monétaires et contribuent en cela au PIB mesuré. Ce à quoi nous attachons de la valeur, qu’il s’agisse de la préservation de la nature ou du travail reproductif et de soin, doit être inclus dans notre estimation de la production économique. Nous pouvons de plus choisir d’aller au-delà de l’utilisation des seuls prix du marché en agrégeant différents types de données pour déterminer la contribution de différentes activités au bien social. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Adam Smith avait défini la richesse des nations comme étant liée aux plaisirs, aux besoins et au confort des individus.

Des éléments normatifs sous-tendent également la définition du taux d’emploi. En effet, celle-ci contient, entre autres, des jugements de valeur sur le nombre d’heures que vous devez travailler pour être considéré comme actif. Plus précisément, une enquête sur la population active de l’UE définit par exemple comme actives les personnes effectuant un travail d’une durée minimale d’une heure par semaine seulement en échange d’une rétribution, de bénéfices ou d’avantages familiaux. Cette définition constitue la base de l’un des cinq objectifs principaux de l’UE pour 2020, à savoir l’augmentation jusqu’à 75 % d’ici 2020 du taux d’emploi des femmes et des hommes âgés de 20 à 64 ans. Nombreux étant ceux ignorant qu’il suffit de travailler une heure par semaine pour être considéré comme actif, les résultats de l’indicateur pourront donc conduire à des interprétations inappropriées de la situation réelle.

Pour ces différentes raisons, Sanjay Reddy soutient que la définition des indicateurs et des variables économiques devrait aller de pair avec la transparence des valeurs qui les sous-tendent, dans l’intérêt à la fois de la clarté technique et de la légitimité démocratique. Si cela ne représente pas une gêne dans le domaine des sciences sociales et de la politique, il s’agit en revanche d’un défi pour les spécialistes et le grand public. C’est qu’en fin de compte, les questions de mesure sont trop importantes pour être laissées aux seuls experts, bien qu’ils aient un rôle essentiel à jouer dans la clarification des choix à faire !

La position de Sanjay Reddy est résumée dans la vidéo "Facts and Values Are Entangled: Deal with It" de l’Institut pour une nouvelle pensée économique (INET), disponible sur la page Web INET http://ineteconomics.org/video/30-ways-be-economist/sanjay-reddy-facts-a....

Remerciements : Nous sommes très reconnaissants envers Sanjay Reddy, dont la contribution et les commentaires éclairés ont contribué à améliorer la qualité de cet article de première importance.

En bref

Un sondage en Italie confirme que les citoyens soutiennent largement la notion que le progrès doit être mesuré au-delà du PIB

Dans le cadre de l’initiative pour la mesure du progrès «Benessere Equo e Sostenibile (BES)» (Bien-être équitable et durable), le CNEL et l’ ISTAT avaient lancé en 2011 une consultation visant à déterminer les facteurs qui influencent la qualité de vie. Les résultats de cette consultation mettent en exergue que les facteurs considérés les plus déterminants sont la santé, l’environnement, l’éducation et la formation ainsi que la qualité des services publics - et confirment un large consensus pour aller au-delà du PIB.

Pour en savoir plus (en italien, pdf, 251 ko)

Conseil de ministres de l’UE souligne l’importance d’utiliser, de développer et de s’accorder sur des indicateurs complémentaires au PIB

Les conclusions du Conseil, adoptées le 9 mars 2012 sous le titre «Rio+20 : pistes pour un avenir durable», rappellent «que le produit intérieur brut (PIB) est principalement une quantification de la production qui ne tient pas compte de questions telles que la viabilité environnementale, l’utilisation du capital naturel et humain, l’utilisation efficace des ressources et l’inclusion sociale». Les conclusions soulignent aussi l’importance «d’utiliser, et au besoin définir et adopter, des indicateurs qui s’ajoutent au PIB pour donner une image plus précise de l’interdépendance entre les aspects environnementaux, économiques et sociaux de la richesse, de la protection sociale et du bien-être».

Pour en savoir plus (en anglais, pdf, 57 ko)

Le site web Beyond GDP célèbre son cinquième anniversaire

www.beyond-GDP.eu a été mis en place en 2007 comme plateforme de communication pour la conférence Au-delà du PIB. Le site web s’est depuis établi et sert de référence en matière d’information sur une mesure plus globale du progrès.

Des informations fréquemment mises à jour sont également disponibles ici: www.beyond-gdp.eu/fr/index.html

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