Témoignages de Stéphane Hessel

Un trait d’union entre Israéliens et Palestiniens

La programmation d’une rencontre entre jeunes Israéliens et Palestiniens dans le cadre des Dialogues en Humanité de 2007 a convaincu l’ambassadeur Stéphane Hessel de participer à ces journées. Il tenait à y exprimer que « pour parvenir à une résolution du conflit israélo-palestinien il est crucial de relayer l’action des Nations Unies par celles d’Orgnisations non gouvernementales(ONG) associatives ». (chapeau)

Françoise Nowak: Stéphane Hessel, votre activité d’ambassadeur de France, et votre réactivité aux grands événements du monde font que vous êtes extrêmement sollicité et occupé. Qu’est-ce qui a motivé votre participation à la « mouture » de l’été 2007 de Dialogues en humanité ?

S. H : En avril 2007, j’ai longuement séjourné en Palestine, à Bil’in. Les paysans qui résident là-bas travaillaient normalement dans des champs qui leur sont devenus inaccessibles, depuis la construction du mur-frontière, érigé par les Israéliens. Tous les huit jours, les villageois de Bil’in forment une marche non violente en direction de cette barrière. Je suis allé les rencontrer, pour discuter et manifester avec eux, en compagnie de deux partenaires français, d’une suédoise qui a reçu, il y quelques années, le prix Nobel de la paix, et d’Israéliens courageux.

Au-delà du bonheur de retrouver de vieux amis, dans le magnifique Parc de
la Tête d’Or, où les « Dialogues » ont dorénavant lieu, je suis venu ici, cette année, en écho à ce voyage. J’ai appris qu’un atelier consacré à la gestion des conflits entre Israël et
la Palestine figurait au calendrier de ces journées lyonnaises, et cela m’a convaincu de faire un déplacement spécifique, depuis Paris où j’habite, pour y participer. J’y ai notamment retrouvé des membres du Mouvement pour une alternative non violente, déjà présents à Bil’in, et c’était très émouvant.

F. N. : Quel a été le sens de votre intervention, durant cet atelier ?

S. H : J’ai essayé de faire un historique du problème : de rappeler ce qui s’est passé en 1948, en 1967, et d’expliquer où l’on en est aujourd’hui. D’un côté, pour les Israéliens, garder un état juif deviendrait impossible si les Palestiniens voulaient revenir sur leurs terres d’autrefois. De l’autre, les Palestiniens ne peuvent renoncer à Jérusalem, car c’est la deuxième ville sainte de l’Islam. Il faut donc changer les mentalités des uns et des autres, pour rétablir un dialogue et une confiance réciproque…d’où l’intérêt de faire se rencontrer des jeunes Palestiniens et des jeunes Israéliens. Connaître des gens des deux pays qui s’inscrivent dans ce processus de pacification, ainsi que ceux qui organisent leur rencontre, est très intéressant. Durant cet échange, j’ai en particulier beaucoup apprécié les interventions de Monsieur Edgar Laloum, ainsi que les propos éclairants d’une psychanalyste, elle aussi très investie dans ce travail.

Après cet atelier, j’ai repris la parole durant une «  agora », c'est-à-dire dans un débat plus élargi. J’y ai dit combien il est crucial, pour parvenir à une résolution du conflit israélo-Palestinien, de relayer l’action des Nations Unies par celles d’ONG associatives, qui constituent un important réseau international.

F. N. : Aviez vous participé, par le passé, à d’autres Dialogues en Humanité?

S. H : Oui, pour leur première saison, en 2002, époque où cet événement était programmé au château de
la Tourette, un bâtiment construit par Le Corbusier. Cette année-là, nous avions planché sur la définition même du mot « humanité ». Cela avait été l’occasion de réaliser, à partir d’expériences concrètes, combien chacun de nous doit surmonter son trop-plein… d’inhumanité au profit d’une humanité revendiquée, combien il est nécessaire de conquérir (et le mot n’est pas trop fort !) sa propre humanité. Dès cette première fois, ce qui était à l’ordre du jour, c’était d’effectuer une nouvelle prise de conscience pour échapper aux idéologies, de mettre à plat nos valeurs morales, et d’interroger le monde à partir de ces valeurs.

Pour moi, il y a un lien très puissant entre la démarche de faire émerger une déclaration universelle des droits de l’homme, menée par les Nations Unies, dans les années 1940, celle de programmer des Dialogues en Humanité, sous tendus par la pensée de Patrick Viveret, et le travail réalisé de longue date avec lui, au Centre international Pierre Mendès-France : dans cette structure, des spécialistes mettent en commun leurs approches très diverses -philosophique, scientifique ou politique- en vue d’oeuvrer à la construction d’une société plus juste et plus humaine.

F. N. : Au final, qu’avez-vous retiré des Dialogues en humanité de cette année ?

S. H : Une grande satisfaction, déjà parce que j’aime m’informer sur tout. Par ailleurs, je n’ai pas l’intention d’être encore longtemps très actif. Savoir que ces gens existent, qu’ils prennent en quelque sorte « le relais », est très important pour moi. Enfin, j’ai aussi trouvé du bonheur à être de ces journées : quant on apporte de l’espérance à un groupe, on en retire soi-même autant de bienfait que le groupe concerné.


Stéphane Hessel : ambassadeur d’humanité

De l’époque de la résistance à ce jour, le diplomate Stéphane Hessel n’a jamais dévié de sa ligne directrice : œuvrer à la mise en place d’une culture de la non violence, au service de l’humanité toute entière. (chapeau)

Stéphane Hessel est un « ambassadeur d’humanité » infatigable. Né à Berlin, en 1917, cet ambassadeur de France ne cesse encore aujourd’hui, à 90 ans, de défendre la paix et la non violence. Résistant de la seconde guerre mondiale, il rejoint le général de Gaulle en 1941. En 1944, il est envoyé en mission en France. Il y est arrêté par
la Gestapo puis déporté à Dora, d’où il parvient à s’échapper et à rejoindre l’armée américaine. En 1948, il participe à la rédaction de
la Déclaration universelle des droits de l’homme, démarche menée à l’initiative de l’ONU, et c’est pour lui le point de départ de toute une liste de missions dans le domaine des droits de l’homme ainsi qu’en matière de coopération entre les peuples.

Actuellement, Stéphane Hessel est membre du comité de parrainage de
la Coordination française pour la décennie de la culture de la non violence : une association dont l’ambition
est de favoriser le passage d'une culture de la violence à une culture de la non-violence, pour le bien des enfants et des adolescents du monde entier.

De façon concrète

Stéphane Hessel soutient, depuis sa création en 2001, le fonds associatif Non-violence XXI, mis en place par les 11 principales organisations non-violentes françaises. Il compte également parmi les membres fondateurs du Collegium international éthique, politique et scientifique, dont l’objectif est de trouver des réponses intelligentes et appropriées aux attentes des peuples, face aux nouveaux défis de notre temps.

Au delà des mots, Stéphane Hessel s’engage de façon concrète. En 2003, il a signé, avec d'autres anciens résistants, la pétition "Pour un traité de l'Europe sociale" et en août 2006, un appel contre les frappes israéliennes au Liban, paru dans Libération et dans L’humanité, à l’appel de l’Union juive de France pour la paix.

En 2007, il est allé soutenir sur place les manifestations pacifiques des habitants du village palestinien de Bil’in, privés de leurs champs par le mur-frontière édifié par les Israéliens.

Propos recueillis le 7 juillet 2007 par Françoise Nowak