Dalia OBEID

Comment reconquérir des espaces de liberté face aux logiques autoritaires au Liban ?
Dalia OBEID

* Ce texte est l’intervention de Dalia OBEID (membre du Mouvement de la Gauche Démocratique au Liban) au Dialogues en humanité à Lyon - Forum international de la question humaine

 

Le sort du monde arabe se trouve coincé entre les dictatures, les occupations et les courants islamistes extrémistes. Nous nous contenterons aujourd’hui de parler précisément de la question libanaise dans le sens où le Liban subit l’impact de la politique régionale et internationale.

L’ Etat Libanais se démarque des autres états arabes, nés à la même époque que lui. En fait, le Liban est construit sur le confessionnalisme politique et administratif institutionnalisé formellement. La répartition du pouvoir se fait entre les trois plus grandes confessions : le président est obligatoirement maronite, le premier ministre sunnite et le président du parlement chiite.

Toute la vie des libanais a été depuis gérée par la confession. L’état civil et le statut personnel relèvent du religieux : les mariages (il n’y a toujours pas de mariage civil, ce qui complique les mariages mixtes) les divorces, les funérailles, les naissances… chaque citoyen se revendique chiite, sunnite, orthodoxe, druze, maronite… avant de se présenter comme libanais. La guerre civile a à son tour, renvoyée chaque communauté à sa « région ». C’est ainsi, par exemple, que l’université libanaise s’est divisée en plusieurs sections : les unes pour les chrétiens et les autres pour les musulmans.

C’est cette division confessionnelle qui a fait du Liban, le plus vulnérable des pays arabes suite aux flots des réfugiés palestiniens, chassés brutalement et injustement de chez eux. Par ailleurs, la création d’un Etat juif, donc basé sur une religion, n’a pu que pousser les autres confessions à nourrir de telles ambitions afin de se « défendre ».

En 90, l’armée syrienne, présente sur le sol libanais depuis 76, suite à une entente israélo-syrienne, pénètre sur le reste du territoire libanais non occupé par Israël, et grâce au feu vert américain, le régime baasiste s’impose sur le champ politique libanais. La tutelle syrienne contrôlait tout : la politique, la sécurité, la liberté d’expression de même que la résistance du Hezbollah, parti chiite libanais et seule milice de la guerre civile a avoir le droit de garder les armes, transformée désormais en résistance au sud du Liban.

Au départ la résistance dans le sud étaient menée par la gauche. Cependant après la chute du communisme, il y eut une nouvelle forme de résistance, cette fois religieuse et non plus laïque, qui, financée par l’Iran, et appuyée par la Syrie, ne pouvait que véhiculer l’idéologie de la république islamiste iranienne. Le passage de la résistance laïque à la résistance islamiste, se fit par la chasse aux intellectuels de gauche, porteurs d’une autre vision du Liban. En 2000, après le retrait des troupes israéliennes du Liban, le Hezbollah, n’a pas rendu ses armes à l’Etat libanais.

Après l’assassinat de l’ex-premier ministre Rafic el Hariri en février 2005, le soulèvement populaire de la rue libanaise (appelé « l’Intifada de l’Indépendance »), le soutien international, et le changement de la politique des Etats-Unis après le 11 septembre, mirent fin 15 ans après, à la tutelle syrienne au Liban.

L’armée syrienne se retire du Liban au printemps 2005, mais passe à une nouvelle forme d’agression et de violence en s’attaquant aux intellectuels et aux politiciens. La première cible fut l’historien et journaliste Samir Kassir, un des co-fondateurs et des piliers du
jeune mouvement de la Gauche Démocratique libanais, dont je suis membre, fondé seulement quelques mois avant son assassinat.

Sa deuxième victime fut un autre grand intellectuel de la gauche, Georges Hawi, ancien secrétaire du Parti communiste libanais, et uns des premiers initiateurs de la réconciliation libanaise. Ensuite la série d’assassinats a ciblé deux journalistes et un nombre de politiciens anti-syriens avec des attentats dans plusieurs quartiers libanais terrorisant la population civile, qui ne voit plus son salut que dans la séquestration à domicile ou dans l’émigration.

Samir Kassir dans la lutte pour cette indépendance a milité pour la cause des intellectuels syriens persécutés par le régime pour la démocratie en Syrie. Pour lui, un printemps de Beyrouth allait sans doute créer un effet domino, provoquant ainsi une vague de démocratisation dans le monde arabe.

La nouveauté avec Samir Kassir c’est d’avoir permis un chemin interne, un appel à une nouvelle Renaissance arabe (la Nahda) qui se fraye entre les dictateurs arabes et l’hégémonie américaine. C’est-à-dire de faire entendre une voix arabe, moderne, démocratique, laïque, contraire à toute forme d’extrémisme religieux luttant aujourd’hui contre l’occupation étrangère.

Parallèlement cette lutte pour l’indépendance n’a pas pu être achevée pour plusieurs raisons. Les calculs confessionnels et l’agression syrienne ne permirent pas les réformes.

Que proposer alors pour reconquérir la liberté individuelle et collective au Liban ?

Il est nécessaire de commencer par l'abolition du confessionnalisme administratif, politique, et « social » qui consiste, par exemple, à régler indépendamment des bases religieuses les questions de « statut personnel, tout cela dans les limites d’un Etat, fort, et non plus menacé par une milice armée (le Hezbollah qui refuse même le dialogue quand on touche à la question de son désarmement).

Tout ceci dans la construction d’un Etat de droit, laïque, qui assure au citoyen, homme et femme (surtout, partenaire indispensable) la sécurité, et la liberté sous toutes ses formes, la liberté d’expression primant, vu que la libération de l’individu est fondamentale pour la création d’une société plus juste. Des réformes sont à faire sur tous les plans : politique, économique, social afin de lutter contre les privilèges sociaux dont bénéficient une petite minorité libanaise, alors que la grande majorité du peuple s’appauvrit de plus en plus.

Mais ne nous trompons pas, tant que la question israélo-palestinienne n’est pas réglée, et tant que la dictature du régime syrien est en place, et tant que la communauté internationale laisse faire toutes ses injustices, le Liban comme la région ne peut trouver la stabilité, la démocratie, la liberté et la paix.