Vivants, Debout
[toc]
Message à l’issue du séminaire sur « la révolution du vivant »
« Dialogues en Humanité », 7 et 8 mars 2005
Les Dialogues en Humanité, réflexion de fond sur la question humaine, se sont réunis à Lyon pour un séminaire, les 7 et 8 mars 2005.
Des échanges ont eu lieu entres scientifiques, industriels, membres de la société civile, élus politiques, Ils ont abordé un des sept rendez-vous majeurs de l’humanité avec elle-même : « la révolution du vivant ». Ces deux journées d’information, de réflexion et de débats ont abordé une double thématique : « agriculture et nutrition » et « une santé pour tous ».
À l’issue de ces journées, les participants ont décidé d’adresser un message aux acteurs de Biovision.
Repère
« La plupart des grands problèmes que rencontre l’humanité ne sont dus qu’à elle-même. »
Les évolutions des sciences de la vie sont telles que nul ne peut prédire quelles conséquences elles auront pour l’homme. Permettront-elles de développer les conditions d’une vie meilleure ? En ce domaine, les enjeux scientifiques, techniques, économiques, mais aussi sociétaux, et donc éthiques et politiques, sont considérables. Il s’agit souvent de vie ou de mort.
En essayant de prendre en compte l’ensemble de ces enjeux, les Dialogues en Humanité cherchent à placer le souci de l’Homme et de l’humain au cœur de leur réflexion. Les êtres humains, en effet, sont responsables d’eux-mêmes et du monde vivant. Ils se doivent de revendiquer cette responsabilité.
La croissance des connaissances et des techniques – et les pouvoirs afférents – a connu un rythme exponentiel, notamment dans les sciences du vivant. En revanche, les capacités des hommes et des groupes humains à se conduire avec sagesse n’ont guère augmenté. Pire, nos sociétés ont perdu l’habitude d’une interrogation sur les buts de l’action humaine. Que fera l’homme des immenses savoirs et pouvoirs qu’il vient d’acquérir ? Leur développement ne peut pas être une finalité en soi.
Ce qui est possible et rentable n’a pas de soi légitimité à être mis en œuvre. La question se pose donc de décider aussi démocratiquement que possible (aux échelons local, régional, mondial) de ce qui doit être fait, pour le mettre en œuvre ensuite avec énergie.
Pour décider en connaissance de cause, un double débat est indispensable :
- débat de type scientifique, sur les connaissances et les techniques, dans lequel sont engagés chercheurs et industriels,
- débat de type éthique et démocratique, sur les enjeux et les valeurs en cause dans les décisions à prendre, pour lesquelles tous les humains sont concernés.
L’extension des connaissances, et donc des pouvoirs de l’homme sur le vivant, le développement de l’agriculture et des industries de santé ont permis des progrès remarquables : accroissement de la production alimentaire qui a pu faire face au développement démographique, réduction de la mortalité infantile, augmentation, malgré de grandes disparités, de l’espérance de vie dans de nombreux pays… Pourtant, les questions et défis en cours sont urgents : sans large partage des connaissances, sans vaste débat démocratique, nous risquons « d’aller dans le mur ».
Les Dialogues en Humanité invitent les divers acteurs de Biovision à s’interroger sur quelques questions urgentes. Afin de répondre aux besoins fondamentaux des individus et des peuples, et de réduire des inégalités criantes, il devient urgent de dépasser une simple logique de l’offre pour développer une logique de la demande.
Agriculture et nutrition
Les besoins humains se mesurent en calories, mais aussi en relations humaines.
La réponse aux besoins alimentaires mondiaux passe nécessairement par une augmentation de la production, et donc de la productivité, mais à certaines conditions : préserver les systèmes locaux de production, développer l’agriculture des PVD ([1]) et PMA ([2]), ne pas les contraindre à être approvisionnés par les pays développés ([3]), qui, en outre, connaissent une forte tendance aux monopoles.
Sans protection préalable des marchés locaux, les solutions techniques sont inopérantes, voire contre-productives. Cette protection nécessite de tenir compte du stade de développement de ces pays. Elle passe par les politiques agricoles locales et régionales.
La recherche agronomique doit prendre en compte les besoins des PVD : satisfaction des besoins nutritifs de base au moindre coût, diversité des espèces consommées, nouvelles filières agroalimentaires, itinéraires techniques mis en place en fonction du contexte humain et économique.
Préserver l’environnement
L’émergence de technologies de ruptures (OGM, biotechnologie, biologie de synthèse…) pose de nouvelles problématiques en matière environnementale et sanitaire : incertitudes sur le long terme, irréversibilité des choix... À condition de penser et de produire autrement, la préservation de l’environnement est possible.
La notion d’empreinte écologique permet d’évaluer les impacts sur l’environnement : globaux (gaz à effet de serre…) et locaux (produits phytosanitaires…).
La production doit emprunter des voies durables :
- partir des évolutions possibles des systèmes agraires locaux et non seulement des technologies,
- rapprocher production et consommation pour réduire les transports, et s’appuyer sur des bilans énergétiques (production, échanges…).
Respecter le patrimoine de l’humanité
Les ressources mondiales en eau, en énergie, en alimentation relèvent du patrimoine commun de l’humanité.
Il est impératif d’établir un inventaire des connaissances et techniques qui ne sont pas brevetables.
Le financement de la recherche et du développement est une vraie question ([4]), mais la limitation du libre accès aux connaissances n’est pas admissible.
Nourrir les relations humaines
Se nourrir demande de disposer d’au moins 2200 calories par jour et par personne et de bénéficier de produits sains, à commencer par l’eau. Mais l’alimentation ne peut être réduite à ce qu’en appréhendent les sciences du vivant. Elle est au cœur d’un sentiment d’appartenance, vital pour l’homme, à une famille, une cité, une culture.
Une santé pour tous
L’accès à la santé pour tous, comme la nutrition et le respect de l’environnement, conditionne l’avenir de l’humanité.
Définir la santé
La santé n’est pas seulement « le silence des organes », l’absence de maladie. Selon la définition très large, et pourtant la seule réaliste de l’OMS, en 1947, elle est « un état de complet bien-être physique, mental et social ».
Au marché, opposer le droit
La santé est à la fois un droit et un marché, volumineux et particulièrement attractif pour les actionnaires. Elle a un coût, mais est aussi un levier de développement.
Comme marché, l’accès aux soins n’est possible qu’aux consommateurs solvables (au Sud, mais aussi au Nord). Comme droit public primordial, le droit à la santé rend inadmissible la limitation de l’accès aux soins.
Un système de ré-allocation des profits de l’économie de la santé s’impose pour que le droit à la santé soit effectif pour tous et que se réduisent les différences entre groupes sociaux et entre pays. Les industries du médicament, notamment, sont mises en demeure d’entendre ce message.
Favoriser des systèmes durables
L’universalité du droit à la santé et donc de l’accès aux soins, va de pair avec la particularité des modèles de santé selon les cultures. L’équité et la solidarité demandent de parvenir partout à des systèmes de santé indépendants, autonomes et durables, où soient pris en compte les désirs des citoyens et des peuples.
Instaurer la démocratie de la santé
La question de la santé, comme celle de la nutrition, est trop sérieuse pour être laissée aux mains des seuls spécialistes.
Il est urgent d’instaurer dans les politiques de santé, et de recherche, une démocratie nourrie d’expertise, au plan local, régional, mondial. Ce qui appelle un renforcement du pouvoir politique.
Simplifier pour agir
Faire reculer la surmortalité et les maladies les plus répandues ne requiert pas nécessairement des produits de haute technologie. Hygiène, eau potable, alimentation diversifiée, prévention relèvent d’approches culturelles autant que techniques et scientifiques. En Occident, le mal-être « mental et social » n’appelle pas d’abord des médicaments. Soigner et prévenir cette maladie chronique implique de s’interroger sur l’humanité de l’homme. L’humanisation est aussi importante que la vaccination.
Poser des gestes forts
Les défis de la révolution du vivant ne peuvent trouver de réponses que collectivement, grâce aux confrontations scientifiques, aux débats entre citoyens, aux décisions courageuses et responsables des acteurs économiques et politiques.
Il y faut du temps, mais le temps presse. Sans attendre, des gestes forts peuvent être posés. Parmi bien d’autres, nous suggérons l’examen de quelques-uns.
Ces suggestions viennent de propositions entendues en AG ou dans les couloirs.
À vérifier, préciser, compléter !
Un moratoire sur les OGM
Pour un examen, aussi objectif que possible, qui ne soit pas parasité par des considérations étrangères, les industriels producteurs d’OGM pourraient décider un moratoire lié à la préparation d’assises, locales, régionales, mondiales, aussi larges que possibles, où scientifiques, politiques, société civiles, industriels, institutions internationales pourraient se parler.
La proposition de vastes régions sans culture de plantes transgéniques pourrait être avancée d’emblée.
Un engagement pour l’accès aux médicaments
Les industries pharmaceutiques mondiales pourraient s’engager à prendre les moyens de favoriser l’accès aux médicaments pour les PVD.
Un abandon de propriété intellectuelle
La limitation actuelle de l’accès à la connaissance et à l’usage ([5]) qu’induisent les brevets ne peut durer.
Tout en assurant autrement la recherche développement, un abandon concerté de la propriété intellectuelle, pour les connaissances fondamentales, et même, dans certains cas, pour de la recherche appliquée doit être envisagé. L’OMS et la FAO peuvent offrir un cadre pour une telle négociation.
Mettre en place des lieux significatifs de débat démocratique
L’homme est la fin, la technologie, le moyen. Parce que l’humanité dispose de moyens et de pouvoirs formidables, il devient nécessaire de mettre en place une nouvelle gouvernance locale et mondiale.
Pour que la société civile puisse se prononcer sur les fins poursuivies, il convient de demander, tant aux industries qu’aux instances politiques de divers niveaux, d’organiser des débats démocratiques réunissant scientifiques, experts, citoyens, industriels…
([1]) Pays en voie de développement.
([2]) Pays les moins avancés.
([3]) En Europe une vache est plus subventionnée qu’un paysan en Afrique.
([4]) Cf. la lettre ouverte à l’OMS : http://www.cptech.org/workingdrafts/rndsignonletter.html
([5]) On connaît le cas limite de cet agriculteur canadien, juridiquement obligé de régler des royalties à la suite d’une contamination de son champ par des OGM.