Sortons Du Mur

L’idée

Depuis le temps que nous disons les uns et les autres dans nos réseaux respectifs que « nous allons dans le mur » si nous continuons dans la voie d’un productivisme insoutenable aggravé par un capitalisme financier de plus en plus autoritaire posons nous la question : et si le mur nous ne l’avions pas déjà percuté ?
Et si donc la question était désormais non pas d’éviter d’y aller mais de commencer à en sortir.

Car après tout que voyons nous si nous regardons un peu le rétroviseur de ces trente cinq dernières années (pour prendre avec 1972 une date qui soit écologiquement significative d’un début de prise de conscience, la conférence de Stockholm, mais cette date est aussi intéressante sur le plan culturel et politique : la suite proche des mouvements internationaux de 68, l’après Breton wood sur le plan économique par exemple) ?
Nous constatons que quantité de situations que nous vivons actuellement régulièrement, parfois au quotidien, auraient paru à l’époque relever du fameux risque de percussion mural :
l’élévation gravissime du CO2 et son cortège de catastrophes naturelles (sécheresses, canicules, inondations, tempêtes etc.), l’expérience de catastrophes technologiques majeures (Seveso, Bhopal, Tchernobyl) en constituent des exemples sur le plan écologique.
Mais le creusement des inégalités sur le plan social, l’explosion du capitalisme financier, la montée de l’intolérance se traduisant par une influence démesurée de courants xénophobes au cœur même de l’Europe auraient paru à l’époque aux courants humanistes, fussent ils de tradition conservatrice, relever du fameux mur à éviter.

Nous sommes en réalité en plein dans le bain de la grenouille que l’on ébouillante progressivement pour éviter qu’elle ne saute de la bassine.
Nous avons déjà fait un long chemin avec l’inacceptable et paradoxalement notre peur du mur à éviter a pour effet de nous rendre aussi impuissants que le lapin face au boa. D’où la nécessité d’un renversement de perspective susceptible, en nous rendant beaucoup plus lucide que nous le sommes habituellement sur notre présent et notre passé proche, de nous ouvrir paradoxalement des voies d’avenir plus lumineuses en repérant dans ce mur dans lequel nous sommes déjà bien entrés quelques brèches à élargir pour mieux en sortir.

Certes, le mur en question se présente davantage comme une série de murailles entrelacées que comme une simple barrière à franchir. Et il est vrai que si nous avons rencontré déjà nombre de murets, percuté des murs plus costauds qui ont déjà beaucoup blessé ou tué il y a toujours un ensemble de remparts plus lourds encore qui, dans le gymkana où l’humanité est engagée, peuvent produire encore beaucoup plus de dégâts voire, dans l’hypothèse de la sixième grande extinction, mettre fin à sa brève aventure dans le cosmos.
Mais si nous restons dans l’analogie de l’enchevêtrement de murailles plutôt que du mur simple nous pouvons dans le même temps où nous repérons les obstacles les plus dangereux encore devant nous nous diriger vers les brèches et tenter d’entraîner vers des paysages plus doux un maximum de compagnons d’infortune.

Le projet SDM ! « Sortons du mur ! » esquissé ici pour provoquer la discussion, l’imagination et l’action se nourrit d’abord de désir dont l’énergie est très supérieure à la peur.

Car il existe aussi des brouillards artificiels que nous prenons pour des remparts et ceux-ci sont parmi les principaux obstacles que nous rencontrons car ils nous bloquent à la racine même de tout processus d’imagination alternative.
Il s’agit en particulier de l’effet de « sidération » que produit le capitalisme contemporain. Sidération car il provoque une panne d’imaginaire telle que même ce qui reste de révolutionnaires professionnels n’ont pour tout programme que de revenir au bon temps des trente glorieuses et de sa croissance pilotée par l’état nation.
Quant aux plus radicaux des écologistes, tels de nouveaux cathares, ils n’ont pour tout message que de prêcher une décroissance peu propice à mobiliser les énergies.

Or quel est le contraire de la sidération.
L’étymologie nous renseigne sur ce point. Face au « sidus » de l’immobilité de la voûte celeste à laquelle croyaient les grecs et les latins, la terre et le monde sublunaire étaient le siège de la vie (et de son corollaire la mort) et du mouvement. « Desidere », racine étymologique du mot désir c’était donc être dans une situation inverse de l’éternelle immobilité : la vie et le mouvement.
Voilà pourquoi, comme nous le disons dans le cadre du processus international « Dialogues en humanité », nous avons besoin de réinventer du désir , un désir d’humanité. Face aux logiques mortifères, de Thanatos nous avons besoin comme le notait déjà Freud en 1930 de retrouver la force de vie de l’Eros. Il nous faut pourrions nous dire construire la SEM, la « stratégie érotique mondiale »

Cet enjeu renouvelé des logiques de vie face aux sidérations mortifères nous permet de traiter le plus difficile : notre propre barbarie intérieure.
Rien n’est plus facile que de se construire un ennemi supposé cause de tous nos maux.
Rien n’est plus difficile que d’organiser le travail d’une communauté sur elle-même afin de progresser dans sa qualité d’humanité.
C’est la raison pour laquelle les effondrements les plus graves viennent de crises intérieures à des collectivités qui sont alors source de désespoir et pas seulement de défaite ou d’échec.
Ce n’est pas la force du capitalisme qui a conduit à l’échec du communisme.

Et pour prendre des exemples français récents sur le plan politique, l’échec d’une candidature de la gauche « antilibérale » aux présidentielles, la crise gravissime (incluant la fraude) au sein d’Attac, l’autodestruction du parti socialiste organisée par ses responsables, l’incapacité des verts à porter une question écologique désormais reconnue comme centrale ont pour point commun d’être des phénomènes intérieurs liés notamment à une incapacité à traiter les enjeux émotionnels en leur sein.

Toute action transformatrice, surtout si elle se veut radicale, doit donc tenter de traiter la difficulté de la question humaine à sa racine et ne pas se contenter de prôner le changement pour les autres.

Sept principes peuvent nous guider dans cette direction :

1 - Articuler principe d’espérance et de responsabilité :

nous avons à juste titre insisté les uns et les autres depuis le livre majeur de Hans Jonas sur le principe de responsabilité. Mais il nous faut aussi retrouver le principe d’espérance bien repris par Edgar Morin à travers trois modalités qui peuvent nous être très utiles dans les temps cahotiques que nous allons de plus en plus traverser : l’improbable, les potentialités créatrices, la métamorphose.

2 - Articuler transformation personnelle et sociale :

tension dynamique du personnel et du mondial et pas seulement du local et du global. Car le plus difficile n’est pas la production économique mais l’organisation d’un vivre ensemble qui fasse sens et réponde à la demande fondamentale de tout être humain : le désir de trouver sa place dans une histoire qui fasse sens. Là où les économistes croyaient que la question préalable à résoudre était celle de la production abondante face à la pénurie nous voyons bien aujourd’hui que l’abondance est porteuse de dépression si les communautés humaines sont sans repères sur leurs projets de vie.

3 - Placer la construction de la joie de vivre au cœur des projets alternatifs :

non seulement pour résister au mal être et à la maltraitance du capitalisme et du productivisme mais aussi pour échapper aux dérives sectaires et non démocratiques de que l’on pourrait appeler le « militantisme sacrificiel ».

4 - Changer notre rapport à la richesse (et à l’argent), au pouvoir, mais aussi à la vie elle-même :

l’art de vivre « à la bonne heure » ; opposer la puissance créatrice et la capacité d’émerveillement (et d’indignation !) à la puissance dominatrice et au cynisme désabusé.

5 - Promouvoir « la haute qualité démocratique » (à l’instar de la haute qualité environnementale » :

construire le conflit comme alternative à la violence, le désaccord fécond comme outil de progression de la discussion dans un débat ; la démocratie étant notamment l’art de transformer des ennemis en partenaires-adversaires ; la pratique des arts martiaux et du « judo de masse » (cf Alinsky) est une école très riche de cette conflictualité non violente.

6 - Repérer les potentialités créatrices :

il ne suffit pas d’affirmer qu’un autre monde est possible ; en fait une autre manière d’être au monde est déjà là et il nous faut apprendre à voir pour à donner à voir et à mettre en réseau toutes les initiatives de ce que l’on appelle souvent l’émergence des « créatifs culturels »; cela permet d’articuler à l’instar de l’expérience du mouvement ouvrier mutualiste et coopératif au 19 ème siècle trois postures complémentaires et non contradictoires : la lutte, la proposition transformatrice (donnant lieu à bataille juridique par exemple) et l’expérimentation sociale (tout ce qui est immédiatement réalisable est entrepris).

7 - Principe de cohérence :

importance de la cohérence de la forme et du fond, et de la capacité à vivre réellement nos valeurs affichées en se souvenant du sens fort du mot valeur : la force de vie !

Premières pistes pour concrétiser cette approche

Repérage des potentialités créatrices

Les premiers réseaux potentiellement concernés

Ces réseaux s’inscrivent dans ce que l’on appelle de plus en plus l’émergence des créatifs culturels (ou des coopérateurs ludiques) dont l’enquête américaine a montré qu’ils représentaient 12 à 25% des plus de quinze ans.

L’enquête française, évoque, elle, les six traits des créatifs culturels représentant 17% des plus de 15 ans : (l’écologie, les valeurs féminines, l’être plutôt que le paraître, l’ouverture multiculturelle, l’implication sociale, l’intérêt pour les enjeux de développement personnel et les questions « spirituelles » ), et les quatre des « altercréatifs » (21%) (les quatre premières caractéristiques)

A titre indicatif et évidemment non exclusif on peut citer plusieurs réseaux directement concernés par ce projet :

Alliance pour la planète, Adels, ACIID, Banyan (réseau en lien avec les forums sociaux mondiaux) , Communication non violente, Collectif richesse, Dialogues en Humanité, 4D, Demain maintenant, Forum de la gauche citoyenne, GRIT-Transversales, Groupe veille Grenelle, Interactions transformation personnelle-transformation sociale, ODP, Association Sol, Terre et Humanisme (P Rahbi), Recit, Vecam, Villes Internet etc.

Du bon usage de la mémoire et du travail théorique

Se nourrir des tentatives antérieures, comprendre leurs réussites et leurs échecs (ex mvt ouvrier, coopératives et mutuelles)
Les apports théoriques (Proudhon, Fourier, part actuelle de Marx) et pluridisciplinaires (cf GRIT)

Les lieux

Parc tête d’or Lyon
Parc Bercy (festival terre Paris)
Main d’œuvre
Maison ouverte
Festival du vent Calvi

Un processus à construire

Mise en réseau des projets identifiés par approche de type « syndication » (pas seulement pour les sites)
Modules communs et repérables SDM par ex dans les différents événements et festivals
Incluant lien intelligence sensible, cohérence forme et fond
Permettant échanges de savoirs et d’expériences
Avancée et capitalisation

Des exemples d’application sur les événements 2008

Rencontre de Recit à Grenoble 4, 5 janvier 2008
Journée décentralisée du forum social mondial 26 janvier 2008
Printemps créatif St Ouen mars 2008
Festival de la terre Paris juin 2008
Dialogues en Humanité Lyon juillet 2008
festival du vent Clavi Toussaint 2008
Bengalore (Inde) novembre 2008
Fez (Maroc) rencontre sur les créatifs culturels (date en cours de fixation)
Berlin (Allemagne) fin juillet 2009

charte et méthodes

Une charte : Il s’agit de mettre en réseau tous ces acteurs en respectant leur diversité et surtout une logique de puissance créatrice et non de pouvoir dominateur: voir projet Celina ;

Un usage commun des NTIC afin de favoriser les synergies d’information, de délibération, de calendrier etc. et d’œuvrer ensemble dans l’esprit « coopérer pour ralentir » (et mieux vivre en sortant des cadences infernales du militantisme !)

Une monnaie commune : le sol en lien avec des systèmes d’échange locaux, des coopératives de temps et des réseaux d’échange de savoirs ;

Des méthodes déjà utilisées : les parcours « produit intérieur doux », les carnets d’étonnement du FSM et de Dialogues en Humanité, la méthode de construction de désaccords féconds (mvts de citoyenneté) les ateliers de TPTS, l’approche « nanoub » (nous allons nous faire du bien !) etc.

Et quantité d’autres idées à débattre et à expérimenter dans la gaieté , l’humour et la tendresse en se souvenant de la phrase de Sénèque : « ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas les faire, mais parce que nous n’osons pas les faire qu’elles sont difficiles ! »

Patrick Viveret