Ateliers Révolution-Du-Vivant

Synthèse des ateliers Agriculture et Nutrition et «Santé»

Dialogues en Humanité – Propositions pour BioVision 2005 – Lyon, 8 mars 2005

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Agriculture et nutrition

Animation des ateliers :

Sylvie Drouot-L’Hermine et Cyrille Harpet (atelier orange)
Jean-Pierre Decor et Arthur Readeker (atelier jaune)
Philippe Aigrain et Joris Vandeputte (atelier rouge)
Rapporteurs : Guillaume Arnould, Nicolas Mourgeon, Isabelle Volle

Trois ateliers Agriculture et Nutrition se sont tenus simultanément. Réunissant une trentaine de personnes, les débats font l’objet d’une synthèse générale présentée ici à partir des éléments repris par les rapporteurs de chaque atelier.

Une situation d’urgence :

« on va dans le mur avec les modèles actuels » du fait de :

  • l’augmentation de la population mondiale
  • des réponses aux besoins alimentaires à fournir dans des proportions considérables : mais l’augmentation de la production est-elle la seule solution ?
  • la coexistence des phénomènes de famine (manques) et de l’obésité (excès)
  • de la liberté du marché en matière d’agriculture dans les pays en développement, qui tend à détruire les systèmes locaux de production.
  • de politiques et moyens inadaptés aux contextes locaux (cas des grandes zones).
  • des réponses à court terme des grandes entreprises par rapport aux besoins de l’agriculture.
  • des impacts globaux et locaux sur l’environnement.

Marchés locaux, gouvernance globale

Les politiques agricoles sont nécessaires par pays ou par grands ensembles pour tenir compte des disparités dans le développement. Se développer suppose généralement de pouvoir vendre. Les problèmes agricoles ne sont pas déconnectés des conditions de vie des populations locales et de leur solvabilité. Si on n’a pas une protection des marchés locaux au préalable, les solutions techniques sont inopérantes. La protection des marchés est à moduler en fonction du stade de développement des pays. Elle renvoie aussi à un problème d’éducation du consommateur pour favoriser les achats locaux, question pertinente pour les pays du Nord comme ceux du Sud.

Les inégalités sociales et politiques à l’intérieur des pays (question de la réforme agraire par exemple) se conjuguent aux inégalités entre pays : peut-on viser l’autonomie alimentaire dans un contexte de géopolitique internationale ? Peut-on développer l’agriculture des PVD sans les contraindre à être approvisionnés par les pays du nord ? Les deux aspects politiques essentiels sont les systèmes de marché et la détermination des priorités de la recherche agronomique (développement de nouvelles filières agro-alimentaires, de nouveaux itinéraires techniques, recherche sur la manière de satisfaire les besoins nutritifs de base au moindre coût, développer parallèlement la diversité des espèces consommées et la préservation de la biodiversité).

Penser autrement, produire autrement, manger autrement…

La croissance démographique et les risques de changement climatique imposent de penser l’avenir autrement que par le passé. Les modes de production agro-alimentaire portés par les pays industrialisés sont à l’origine d’impacts globaux (gaz à effet de serre) et locaux (usages de produits phytosanitaires) sur l’environnement. La notion d’empreinte écologique permet de repérer des modes de production plus respectueux de l’environnement que d’autres. Comment faire pour privilégier les produits et les services (transport) qui émettent moins de gaz à effet de serre ?

Pour faire face à l’accroissement démographique, il s’agit bien de recourir à des technologies adaptées, mais aussi de partir des systèmes agraires locaux et non pas des seules technologies.

La notion de bassin naturel est importante mais se trouve souvent associée à la monoculture intensive. Ce mode de production exige un fort développement des transports. Comment donner priorité à la proximité dans l’aménagement du territoire ?

Les modes de consommation, les choix alimentaires peuvent avoir une incidence directe ou indirecte sur la préservation de l’environnement et sur la santé publique. La réduction de consommation de viande peut contribuer par exemple à réduire ces impacts. Peut-on s’inspirer du régime alimentaire des années 50 en Europe et aux Etats-Unis ?

La technique est un outil au service de la politique. L’éducation donne du sens à l’action politique collective qui reste déterminante. Comment soutenir les collectivités locales (des pays riches et pauvres) dans leur effort d’éducation sur la nutrition ? Ne faut-il pas mettre en place une gouvernance mondiale de l’agriculture et de la nutrition ?

Ruptures et confrontations

Dans le domaine agro-alimentaire, des séries de rupture et de confrontation sont observables à plusieurs niveaux : en premier, une confrontation entre les modèles de développement agricole (échelon global, échelon local), lesquels ne tiennent pas compte des spécificités culturelles, sociales et environnementales ; en second, des conflits d’usage et de techniques (culture traditionnelle, biologique et OGM) ; en troisième, des confrontations quant à la préservation des ressources (usage de pesticides pour protéger les cultures et impacts sur les ressources en eau).

Des confrontations sont aussi observables dans la perception et les interactions entre des acteurs, ici citadins et ruraux, là experts et non experts, entre chercheurs du domaine public et du privé. Ces clivages culturels, entre savoirs et pratiques, contribuent à maintenir un niveau de dialogue biaisé sinon inexistant.

Enfin, ces clivages sont accentués par des technologies de rupture apparues avec le nucléaire, les Organismes Génétiquement Modifiés.

La puissance des industries : OGM et nucléaire, même combat

L’émergence des grandes industries telles que le nucléaire et l’agro-alimentaire fait suite à des choix politiques. Détenteurs de pouvoirs financiers, scientifiques et technologiques importants, ils sont associés à des monopoles et se caractérisent par l’irréversibilité des choix. Dans ce contexte, des ONG exercent une résistance et une influence dans le débat public. Sont exigés la transparence des entreprises quant aux risques et un affichage des incertitudes relatives à ces nouvelles technologies. L’analogie entre les enjeux énergétiques (nucléaire, pétrolier) et alimentaires (OGM) est établie du fait de ces technologies de rupture.

Patrimoine commun et libre-échange

Que ce soit les ressources en eau, en énergies, en alimentation, elles relèvent d’un patrimoine commun. Les OGM relèvent aussi de ce patrimoine commun, d’où la nécessité de statuer sur ce patrimoine génétique (brevetable / non brevetable) et de développer une recherche mondiale publique. Il est impératif d’établir un inventaire de choses non brevetables, appartenant au patrimoine commun de l’humanité. Or, déjà la brevetabilité des OGM introduit des formes d’injustice : un cultivateur biologique dont les plants sont contaminés par les OGM d’une culture voisine est tenu d’acheter le brevet auprès de la firme propriétaire. Ensuite, la question de la légitimité du libre-échange des OGM se pose quant au bien commun qu’ils devraient représenter. Le risque est de voir surgir une production agricole centrée dans les pays du sud et la détention de brevets par les pays du nord, entretenant de nouvelles dépendances et obérant l’accès à l’autonomie. Dans ce contexte, quelle place est accordée pour les agricultures des pays du sud prises entre le libre-échange au détriment des productions locales et les politiques agricoles menées en Europe et aux Etats-Unis ? Pour reprendre une formule lapidaire, comment arbitrer sachant qu’une vache en Europe est plus subventionnée qu’un paysan en Afrique.

Enfin, l’absence de bilan énergétique dans les coûts de production de l’agro-alimentaire (production dans des bassins naturels mal adaptés) renforce la dépréciation des productions locales.

Légitimité du débat et dialogues Nord-Sud

Les acteurs des pays dits en développement ou encore les moins avancés ne sont pas ou trop peu représentés dans les Dialogues en Humanité. Peut-on parler en leur nom ? Peut-on imaginer les mêmes Dialogues à Ouagadougou ? Quelle est l’échelle pertinente pour la tenue de débats citoyens ? L’agglomération, la ville, la région pour les questions relatives à l’agriculture ? Pour faciliter le débat public et sortir du blocage entre experts et profanes, faut-il imaginer créer des espaces démocratiques en entreprise ? Recourir aux outils tels que les Wiki et Internet ? Cela reste toutefois des outils au service des hommes et des dialogues à instaurer mais qui ne sauraient se substituer au dialogue vrai en humanité, dans l’échange des regards, dans la présence physique, dans l’interpellation éthique que suscite le visage de l’autre.

Atelier Santé n° 1

Animation : ((Marie-Françoise Villard)), ((Jean-Philippe Bonan))

En matière agricole et de santé publique, les limites sont celles de la solvabilité des acteurs. L'existence de systèmes économiques et financiers capables d’assurer la solvabilité est vitale et préalable à toute production satisfaisant les besoins. Seul un marché capable de faire circuler les services et l’information peut aussi faire circuler des denrées, comme ((Adam Smith)) le formulait dès le XVIIIe siècle (La richesse des nations).

Notre réflexion de ce matin avait une dimension cachée mais centrale : elle renvoie aux mythes : nos propos véhiculent toutes sortes de croyances relatives à ce que nous pouvons espérer, au souhaitable et au possible, aux craintes et aux risques. La règle de notre parole est de tenter de conjurer des dangers potentiels à partir de convictions fondamentales. Nous prenons au sérieux nos craintes, réfléchissons en humains représentants notre espèce pour soulever des questions qui nous mettent en relation avec une Idée de nous-même qui nous intègre à l'humanité. Tel est le statut particulier de la parole à Dialogues en Humanité. A partir des affects fondamentaux, nous croisons les dimensions de scientificité et des sciences sociales, et esquissons la manière dont nous pouvons nous rendre maîtres de notre destin : le Genre humain est en jeu aussi dans l’agriculture et la santé !

De la santé à la démocratie

Peut-on penser la santé en termes économiques ? Comment penser le rapport privé/public ? La question de la santé n'est-elle pas trop sérieuse pour être laissée aux mains des spécialistes ? Comment instaurer la démocratie dans la politique de santé et de recherche ? La médecine n'est-elle pas le prototype d'un rapport hiérarchique où règnent les experts et le mandarin ? Ne faut-il pas prendre en compte dans les attentes de tous la part réduite du temps de travail par rapport à la durée effective de la vie humaine dans les pays riches ? Comment informer les patients ? Autant de questions brûlantes.

Il conviendrait de tendre vers une démocratie qui accepte de se nourrir de l’expertise, mais qui refuserait qu'elle devienne une sorte de dictature, et qui la cantonnerait au rôle d'aide à la formation des jugements.

Il importe évidemment de rappeler que Lyon a une place spécifique dans le domaine de la santé (100 000 salariés) * autant dire qu'il y a là un enjeu de réflexion civique et identitaire considérable. Il y a là un projet de « pôle de compétitivité » de santé biologie qui engage une véritable coopération métropolitaine. Mais que signifie en cette matière la « compétitivité » ? Une santé compétitive dans une échelle mondiale ? au niveau d’une collectivité locale, d’un territoire. Qu’est ce qu’une santé compétitive ? En quoi la santé contribue-t-elle à l'attrait de territoires où il fait bon vivre ? Un territoire sera d'autant plus compétitif que l'on aura envie d'y venir, et la santé y participe. La Ville de Lyon a un rôle au niveau du bien être et valorise la compétitivité d’une ville et de ses services par rapport à une autre, en terme de qualité et d'accessibilité, de tranquillité des espaces publics, etc. Des maisons médicales de garde peuvent elles exister hors de Lyon ? Il convient à l'évidence d'avoir d'autres représentations de la richesse et d'autres rapports à la monnaie pour éviter des effets pervers.

La santé est une filière économique, certes. Mais il faut aussi intégrer les citoyens dans le domaine de la santé. A quel niveau l'implication de tous peut-elle se faire ? Local, régional, mondial ? Il convient certainement de favoriser le service public en lui donnant plus de moyens, plus de continuité, et en favorisant sa collaboration avec le privé.

La santé « pour tous » engage-t-elle des réponses singulières, une responsabilité locale, des échanges culturels entre pays ? A tous ces niveaux il y a quelque chose à penser. Un telle dynamique est porteuse d'un renforcement du pouvoir politique par la régulation des modes d'accès et de l'allocation de moyens.

Nous serions donc à la veille de créer une démocratie du bien-être (Welfare) où la construction d’une expertise civique viendrait assouplir l'expertise comme domination, que nous sommes nombreux à rejeter. Il faut construire conditions d’une délibération civique.

L'accès aux soins

Comment résoudre les dissonances entre patient et médecin ? Dans la formation médicale, entre l'objectif de santé pour tous et la qualité réelle des soins répondant aux maladies graves ? La recherche de sophistication des protocoles de soins s'est substituée à l'exigence hippocratique de soulager la douleur et de na pas faire de mal. La scientificité est devenue une forme de conviction quasi-religieuse qui ne cherche guère à comprendre les autres. Pourtant le besoin de connaissance est un besoin pour tous : c'est le rapport entre question économique et approche de la santé. Si la monnaie devient une fin en soi, elle engage une forme de maladie mentale où les hommes se méprisent au lieu de s'estimer; où la santé publique n'est plus un souci prioritaire alors même que la santé pour tous est un horizon parfaitement accessible, et que les gains financiers de l'amélioration de la santé dans le monde seraient considérables, de véritables leviers de développement.

La distance qui nous sépare de cet objectif semble alors invalider le projet démocratique lui-même, alors même que la démocratie semble conditionner toute richesse et toute générosité véritables : quelle richesse est humaine si elle n’est pas assujettie à une démocratie vivante ? Et les limites de cette démocratie s'aperçoivent dans les différences caractérisant l'accès aux soins entre groupes sociaux et entre pays. La question de l'accès aux soins est donc centrale, tant dans les pays développés (où existent d'importantes différences d'accès entre populations) que dans les pays du Sud. Résoudre ces inégalités relève d'une question d’égalité entre citoyens, c'est un problème politique.

Comment donner les outils et les informations pour que localement et globalement on puisse les utiliser ? N'y a-t-il pas en Europe une « médecine de brousse » pour ceux qui n’ont pas moyen d’accéder à santé, et ceci même en France ?
Question de la prévention, accessibilité culturelle, financière. Comment appréhender, comme le dit un livre récent, « l’hôpital vu du lit », quand on passe de l’autre côté ?

Faisons donc la part entre des risques, des craintes, d’un côté et de l’autre des ressources. Etablir une relation entre ces deux pôles, telle est le véritable enjeu démocratique. Du côté du risque, n'est-ce pas un mythe que la « santé pour tous » quand des épidémies restent toujours possibles ? Et si on ne meurt plus de mort naturelle, mais d’une maladie, cela veut dire qu'il y a des coûts importants et démultipliés. L'amélioration de qualité de vie est un horizon réaliste, mais passe-t-il toujours par des besoins hospitaliers ?

Il existe des définitions de la santé, et une santé pour tous est possible selon divers critères. Ces définitions sont évidemment sujettes à évolution, par exemple pour apprécier la douleur de l'enfant et la réalité de sa prise en charge.
Voici par exemple trois définitions de la santé :

  • Celle de l’OMS pose un « état complet de bien être physique psychique et social ».
  • Elle se différencie de l'approche philosophique de Claude Bernard qui renvoie au « silence des organes » (la santé serait ainsi une boite noire pour une médecine ne connaissant que ses dérèglements)
  • Et tout autant de l'approche par le risque tenu pour inacceptable et qui engage la nécessité de soins : la santé est ici indissociable de la fragilité humaine.

Par delà le fait de savoir comment ces définitions sont établies (et par qui), elles posent questions : une santé pour tous, est-ce une santé parfaite pour tous ? De qui vaut il mieux s’occuper ? Peut-on sélectionner les bénéficiaires prioritaires en équité ou en justice ?

Problèmes en suspens

Ce sont autant de questions à résoudre. Il y en a bien d'autres : comment développer l'accès aux soins pour tous ? Quelles actions individuelles et collectives peuvent appuyer les organisations soucieuses de la santé pour tous les vivants ? Quels sont les facteurs qui dégradent et qui améliorent la santé ? Comment penser et organiser la prévention? L'évolution de la société est-elle toujours accompagnée par celle du système de la santé ?

Si la monnaie n’a de sens qu’en tant que moyen de faciliter les échanges et de stimuler l’activité, la question de la solvabilité devrait pouvoir être résolue, et nous devons critiquer les excès de la quantification dans le domaine de la santé.

C'est la question de la politique des temps de vie : il faut changer notre représentation de l’activité. Face aux grandes pathologies mondiales, il apparaît à l'évidence que certains soins dispensés dans les pays riches relèvent d'une médecine de confort. A contrario, comment prendre en charge les maladies mentales ? Cela ne renvoie pas à des traitements médicamenteux produisant une guérison rapide, mais renvoie à une vaste politique de santé publique. A la lumière de cet exemple, il apparaît que les orientations des politiques de santé relèvent souvent de combinaisons d'intérêt. Certaines maladies sont elles plus rentables que d’autres ? C'est la question de la détermination des politiques de recherche et des tensions entre recherche privée et publique : quelle est l'importance des calculs de rentabilité ?

Dans ces domaines, la solidarité humaine se justifie pour des raisons systémiques, tant soigner les sociétés pauvres et les pauvres de toute société participe de la prévention destinée aux riches et au reste de la société. Il convient donc de ne pas surinvestir la médecine curative par rapport à la prévention.

Conclusions

Il faut évidemment tenter de simplifier et de hiérarchiser les objectifs pour pouvoir agir concrètement et établir une véritable démocratie de la santé. Cela passera nécessairement par le renforcement de la prévention et des moyens alloués à la santé publique. Par opposition à une médecine à deux vitesses (ou plus) qui, oppose les personnes en fonction de leurs ressources, et oppose « santé d’en haut » et « santé d’en bas », il faut instituer une démocratie compétitive et évaluative de la santé de tous : une approche démocratique civile de la santé associera expertise civile et expertise civique. La Santé pour tous c’est d’abord la santé pour chacun de nous par la prévention. Cela s'oppose à la médecine curative – qui devrait aussi s'attaquer aux pathologies de la richesse et du pouvoir !

La santé ne s’arrête donc pas à la médecine et il y a quelque chose de honteux à conditionner les soins à l'argent disponible alors même que la santé est un droit public primordial. La Santé pour tous c’est aussi la santé de tous à travers la prévention et l'éducation à la santé et au savoir vivre : l'expertise civile et civique passent forcement par l'éducation de chacun et de tous : la santé, c'est l'affaire de tous ! Ici, les oppositions entre privé et public devraient être dépassées, et nous devrions promouvoir l'information, l'écoute et l'accompagnement, qui participent des soins : il importe que la société civile intègre les questions de santé dans ses préoccupations fondamentales.

Atelier Santé n° 2

Animation : ((Bernard Léon et Françis Pithon)

Après les communications de la matinée, la question centrale porte sur la place de l’homme dans le développement des biotechnologies. Madame Lardy lance la discussion en se demandant comment évaluer la place des médicaments dans l'amélioration de la santé. La formation à la santé doit être intégrée à l'interrogation sur le développement individuel et collectif : hygiène, usage des médicaments et éducation des populations sont des facteurs centraux.

La santé pour tous ? Comment assurer son développement mondial ?

Dans ce contexte, le génie génétique pourrait avoir pour effet pervers de créer une dépendance à l'égard de la consommation médicale (utopie de la santé parfaite). Quelles priorités dans la dépense publique ? Les arbitrages entre les budgets de la recherche posent la question des débats collectifs en matière de santé publique et des priorités de recherche : comment éviter d'opposer de manière stérile le progrès des recherches fondamentales et l'aide au développement ?

A quoi bon des recherches sur des médicaments auxquels les destinataires ne peuvent avoir accès, faute de systèmes de santé appropriés ? Comment dépasser la contradiction entre le droit des brevets dans industrie pharmaceutique et la nécessité de favoriser l'accès aux soins pour les populations des pays en voie de développement ? On remarque par ailleurs que l'opinion publique qui s'est mobilisée à propos de l'utilisation des OGM dans l'alimentation ne s'est guère manifestée à propos de la présence d'OGM dans les médicaments ?

Les médecins peuvent à juste titre se tenir pour illégitimement désignés comme dépendant des entreprises pharmaceutiques. La relation du médecin au patient relève d'un engagement humaniste. Les sciences doivent d’abord être au service des hommes. Le développement des biotechnologies doit intégrer des préoccupations éthiques (la relation à l'autre selon Lévinas pouvant servir ici de référence).

L'accès à la santé pour tous soulève la question du financement des recherches. La lettre adressée récemment par les chercheurs à l'OMS (voir sur le wiki) insiste sur la nécessité de répartir les investissements de recherche dans la perspective des « bien communs mondiaux » (ou biens publics mondiaux) auxquels devraient répondre les travaux des laboratoires (tant privés que publics). L’objectif de régulation de la recherche peut inviter à prélever un pourcentage du PIB des principaux pays pour l'affecter à la recherche médicale publique. Ce serait le moyen de contrôler l'ultralibéralisme en fonction de normes liées au bien public et d'une supervision internationale.

Mais il restera la question de l’éducation des acteurs du monde de demain. Quelle santé pour demain : c'est la question des coûts (par ex. : dépenses hôpitaux), de la distribution des capitaux, de l’organisation des structures. Va-t-on vers une marchandisation générale de la vie sociale ? Homogénéisation ?

Recherche et médecine, quelles priorités ?

La question de la diversité culturelle a des implications sur la formation médicale dans les pays non occidentaux, surtout si les structures de santé publique font défaut. Il faut insister sur les conditions culturelles, éducatives et sociales comme des préalables à l'appropriation des technologies. Il faut financer des formations et des infrastructures de santé publique pour améliorer durablement la santé publique : la question est donc moins celle du coût des médicaments que celle des infrastructures médico-sociales. Une approche humaniste privilégiera l'écoute, et la modestie dans le soutien aux populations marginalisées. Elle requiert une réflexion anthropologique.

  • Quel est l'état du droit international autour des OGM ? Le droit européen n'est pas encore fixé.
  • Quelles alternatives à la brevetabilité du vivant ? Quelle organisation pour que la recherche soit diffusée comme un bien public ?
  • Quel est le système le plus efficace dans la durée ? Comment éviter d'asservir recherche à des objectifs purement scientifiques qui ne prennent pas en compte les besoins les plus criants. Peut-on éviter d'opposer les deux orientations ?
  • La question des coûts de la recherche et des enjeux d’investissements est posée. Comment orienter les travaux de recherche ? Si le rapport coût / bénéfice est un indicateur, les dépenses de recherche peuvent aussi aboutir à des travaux dénués d'applications concrètes.
  • La recherche ne devient-elle pas trop souvent une fin en soi ? Doit-elle être orientée par des objectifs déterminés ? Mais en ces domaines, la complexité est de règle et il n'y a pas de choix « monocritère ».

Recherche médicale et sciences sociales : quelle équité dans l'accès aux soins ?

Quel est le rôle des responsables politiques ? Ont-ils un droit de regard sur la recherche? Peut-on préciser la place de la médecine dans biotechnologies ? Il n'y a pas de lien entre la diffusion effective et les investissements de recherche. Les biotechnologies ne sont pas réservées au domaine de la santé (le textile les intègre aussi). Or les maladies de base ne requièrent pas nécessairement des produits de haute technologie : combien d'Etats sont en échec pour améliorer leurs systèmes de soins depuis qu'ils sont indépendants ? Comment endiguer le développement du SIDA en Afrique ?

La Santé se définit comme bien être physique, mental ET social : plusieurs facteurs jouent, ainsi l'environnement, par exemple, et l'offre de services de médicaments n'est qu'une composante dans l'approche de santé publique : il y a parfois des obstacles d'une toute autre nature à l'accès au soins : question de l’accès physique, financier et culturel (on se demandera quel est l'accès aux soins pour les femmes en Afghanistan, ou dans d'autres pays : Amartya Sen, prix Nobel d'économie n'a-t-il pas établi qu'il « manquait » 100 millions de femmes en Inde ? Les problèmes ne sont pas toujours sophistiqués : l'hygiène, l'eau potable et l'alimentation peuvent être des causes de surmortalité dont les causes relèvent d'approches sociologiques et culturelles autant que techniques et scientifiques.

En Occident, mal être, individualisme, stress et autres dérèglements sont des maladies chroniques qui renvoient également à une détresse humaine plutôt qu'à des pathologies relevant des pharmacopées de pointe. L'homme est en situation dans le monde et son vécu psychologique détermine sa compréhension de lui-même et des autres (Max Scheler) : la promotion de l’humanisme est par soi-même un levier d'action. La solution ne passe donc pas forcément par les médicaments (Cf en France consommation anti-dépresseurs). Les échanges d’expériences, l'injection de l’homme au centre des préoccupations est une manière d'aborder la crise contemporaine (Cf Husserl : pas de responsabilité sans sujet conscient).

Conclusions

Le modèle de santé urbain occidental surprotégé ne saurait être le modèle de santé unique. Sommes nous capables de juger des nécessités des pays comme l'Inde, Thaïlande, qui développent leur propres accès à la santé ? Il y a donc désaccord entre la médecine en Orient et en Occident. Le statut des personnes diffère en tout selon les univers culturels et on pourrait citer les rituels de la naissance, de la maladie, de la mort. Ne pas imposer notre modèle de santé, reconnaître des compétences différentes (risque d’exporter nos propres problèmes ?) Quelle priorité d'intervention ? Faut-il vacciner, faut-il apprendre contraception ? Les problèmes d’urbanisation sont en réalité des problèmes majeurs de santé pour demain, hors de toute pathologie médicale, comme le démontre la grave mortalité des jeunes par accidents. Et comment faire face à la solitude des nombreuses personnes âgées ?

Il y a des problèmes de régulation démocratique au niveau mondial. La définition de l'éthique par Ricoeur renvoie au désir d’une « vie bonne avec et pour les autres dans des institutions justes ». Or il n’y a pas qu’un modèle de vie bonne, mais aussi un problème de justice. Les sciences humaines devraient contribuer à la formation des médecins et des scientifiques. A rebours les lacunes des chercheurs en sciences humaines (manque d’ouverture sur d'autres disciplines) limitent l'interdisciplinarité et la mixité des compétences, en dépit de sa nécessité : la vaccinologie doit prendre en compte les facteurs culturels...

L’éthique est une réflexion sur l’humain et le sens de nos actions. Elle renvoie à la déontologie et aux pratiques médicales. Elle situe la notion de responsabilité au cœur de toutes les actions humaines. Le développement durable intègre la recherche de sens, la responsabilité sociale et le repositionnement des grands industriels à la demande de la société civile. En résumé, la question de la santé pour tous renvoie aux droits de l’homme, aux devoirs des Etats et aux droits des populations. L'équité dans l'accès équitable aux soins (offre comme accès financier) passe par une réflexion sur les indicateurs développement humain des Nations-Unies.

“Une santé pour tous”

Synthèse des étudiants journalistes de l’UPI

La question est de trouver un système plus efficace afin de penser et mettre en œuvre un projet qui fonctionnerait dans la durée. Entre autre, une lettre envoyée au conseil exécutif de l’OMS, visant à indexer le financement de la recherche sur un pourcentage du PIB de chaque pays, est la preuve même que notre culture occidentale amène à une uniformisation de la médecine sur notre modèle de santé. Le colloque a rappelé que ce modèle ne prenait pas en compte les spécificités propres à chaque culture.

La nécessité de considérer la santé comme une science humaine à part entière et de recréer un dialogue entre le médecin et son patient paraît indispensable, afin d’enrayer le phénomène de sur-médicamentation, par l’éducation du patient. Ainsi médicamenter les populations des pays en voie de développement ne suffit pas. La formation et l’éducation sont à la base d’un système de santé indépendant, autonome, et durable.