Pour une politique de la relation [Manifeste]

MARCHANT,
ÉCRIVANT,
PREMIÈRE ESQUISSE
POUR MANIFESTE

Plusieurs associations, compagnies d’artistes, des chercheurs et d’autres personnes se sont retrouvés depuis avril 2013 pour cheminer autour de cette question : “altérité, Universalité : quel monde pour demain ?” Nous savons que chaque mot de cette phrase doit être interrogé en tenant compte de l'analyse que les uns et les autres font de l'état du monde contemporain, mais aussi que certains usages aujourd'hui usurpent ces mots et les dénaturent. Nous-mêmes, nous avons procédé à de nombreuses modifications avant d'arriver à une entente.
Le texte qui suit ne reflète pas forcément la pensée précise ou plus nuancée de chaque signataire. Cette convergence intervient cependant dans un contexte de crise sociétale sur laquelle nous partageons cette idée de fond : le Divers de nos sociétés est une richesse et le nouvel horizon de nos cultures. il devrait donc être une priorité dans l’agenda des citoyens et des politiques publiques. Le chantier que nous inaugurons ainsi, avec ce texte, repose sur des enjeux d’espérances collectives, car nous pensons que « le Monde n’est pas seulement à habiter mais aussi à inventer » (Patrick Chamoiseau). Nous espérons que celles et ceux qui se retrouvent dans ce texte, le signeront et nous rejoindront pour lui donner des perspectives d'actions.

POUR UNE POLITIQUE DE LA RELATION

EN maRChaNt,
EN éCRivaNt,
PREmièRE EsqUissE
PoUR UN maNifEstE

Nous traversons une époque d'incertitude qui, sous les effets de la mondialisation économique, n'a pas de précédent. Les contradictions que vit le monde contemporain mettent en péril un certain nombre de droits et d'acquis sociaux, politiques et culturels. Ces acquis sont le fruit de plusieurs décennies de luttes contre la misère et pour faire respecter les principes de l’Egalité, de la Justice et de la Dignité humaine, principes dont l’efficacité constitue aujourd’hui l’horizon d’espérance de l’immense majorité du genre humain. Les contradictions du système globalisé génèrent par contre des violences exacerbées, nationales, ethniques, environnementales, mais aussi interindividuelles. C’est le futur même de l’humanité qui est interrogé, malgré l’accumulation inédite de ressources, de forces productives, de connaissances et malgré la proclamation quasi universelle de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme comme fondements
de la société.
Au cours des dernières décennies, le "système-monde" est devenu certes multipolaire, mais en accentuant ses hiérarchies. Le durcissement des inégalités, la suppression de millions d’emplois dans les pays industriels, le développement de la précarité, la concentration des populations dans des ghettos sociaux, la surenchère sécuritaire et l'interdiction de se déplacer librement pour certains (sans risquer de mourir) sont des évolutions inquiétantes de notre monde.

La crise est le cadre dans lequel les questions sociales et culturelles se posent aujourd'hui. Mais cette crise n'est pas seulement à penser en termes de redistribution : c'est une transformation, une mutation profonde de nos sociétés qui est en jeu. La mondialisation économique conduit à des situations d’interactions accrues et accélérées entre les individus, les groupes et les nations ; elle a ouvert le champ de la mondialité. Un monde nouveau est en gestation. Un monde où toute personne doit trouver sa place quelles que soient ses origines, ses cultures, ses langues, ses manières de voir, de penser et d’être.

Le signe visible de ces mutations est que nous vivons tous dans des villes-monde, des quartiers-monde, des villages-monde. Ces villes, quartiers et villages sont multiculturels et leurs espaces publics deviennent interculturels. il s’agit donc de penser une politique interculturelle de ces espaces où chaque différence participe à la création du vivre ensemble.
Nous ne partons pas de rien, ni pour notre éthique ni pour nos pratiques. Nous inscrivons au contraire nos engagements dans des héritages sociaux, culturels, politiques et intellectuels qui défendent pour l'essentiel le libre-arbitre dans le partage, la rencontre et la Relation et la responsabilité d'être ce que nous voulons en dehors de ce que l'on veut faire de nous. Ces héritages, nous les assumons comme une éthique vivante qui nourrit nos pratiques au présent, au-delà de toute frontière quelle qu'elle soit. Elle nous rend, chacun, « disponible pour la rencontre, et l’expérience, et l’événement de l’Autre... [Car] C’est ainsi que la Relation ouvre le futur aux grandes fécondités. C’est ainsi qu’elle assure au présent son degré indispensable d’amour, de partage, de juste fraternité, et son souci de la moindre différence. C’est ainsi qu’elle ouvre à notre devenir l’appétit le plus vaste pour la diversité. » (Patrick Chamoiseau) L'usage que nous faisons du terme interculturel interroge les frontières, toutes les frontières : politiques et policières des états ou des agglomérats d’états, idéologiques des représentations, des identités et des structurations hiérarchiques, voire scientifiques des prétentions "primordialistes" qui hiérarchisent les êtres humains selon le social ou l'ethnique ou la « race » ou la croyance, ou telle ou telle histoire nostalgique, nationale ou civilisationnelle, supposée pure, originelle, authentique.

Nous ne sommes pas dans une dynamique de construction d'un système mais plutôt à la poursuite de chemins dont les jalons reposent sur des enjeux d’espérance collective. Nous avons des objets communs de réflexion et d’action et nous nous proposons de leur donner forme avec celles et ceux qui en ressentent l'urgent besoin et le désir. Nous constatons en effet que les aspects de la multiculturalité sont le plus souvent ignorés, ou déniés au profit d'une gestion à court terme de ses effets stigmatisants, notamment à travers la tentation de segmenter le territoire en espaces distincts créant des frontières sociales visibles et invisibles.
Dans ce sens, la lutte contre l’ethnocentrisme et l’égocentrisme est indispensable. il n’est plus temps de considérer son point de vue personnel (individuel ou collectif ) comme étant le seul "bon", ou le meilleur et encore moins l’unique. Il est temps par contre de penser chacun de nos mondes comme un « Tout-Monde » (Edouard  Glissant).

Une "mutation anthropologique" est à l'oeuvre et nous pensons essentiel de travailler sur ses effets implacables, ils s'imposent à toutes et tous et dans tous les domaines. Il existe des échanges et des transformations qui demandent une reconnaissance  par la société. C'est une richesse dynamique qu'il faut mettre en valeur.

Nous sommes porteurs d’une interrogation : comment construire une Relation entre les uns et les autres dans un vouloir vivre-ensemble, laïc et socialement reconnaissant ?

Ces deux valeurs (la laïcité et la reconnaissance) nous semblent devoir cadrer le devenir de nos sociétés et fonder une politique de la Relation : qui fait lien, qui fait échange qui peut faire récit commun. Notre préoccupation majeure est de promouvoir une idée renouvelée de l'Universalité : qui ne soit plus pouvoir ou toute-puissance d'un ordre mondial mercantile, socialement et culturellement injuste, mais une «diversalité» (Edouard Glissant) qui prend en compte la dignité de tous. Pour partager et construire ensemble dans ce sens, il nous faudra travailler sur les mots et leurs usages pour ouvrir le champ d'un nouvel imaginaire. Nous partageons cette idée que les mots sont importants et qu'il faut rester vigilant sur leurs usages et leurs rendements concrets : idéologiques, sociaux, économiques. L’interculturel désigne pour nous cet enjeu majeur, car nous savons qu’il y a des discours et des pratiques totalitaires qui se positionnent à l’inverse de nos intentions, comme les fondamentalismes religieux, politiques, nationalistes, éthnicistes ou mercantiles. Nous avons la conviction que la connaissance et la reconnaissance (en quoi consiste la promotion de l’interculturalité) dans les espaces de vie (quartiers, villes et territoires), peuvent contribuer à modifier les représentations et à constituer une ressource politique, sociale et culturelle importante. Comme nous avons la conviction que le travail de rencontre, d'établissement de relations et de "créolisation" sociale peut contribuer à terme à la refondation de la citoyenneté sur la base d'une égalité effective des Droits.

Lyon, 24 mars 2014

POUR TOUTES CELLES ET TOUS CEUX QUI VOUDRONT SIGNER ET FAIRE VIVRE CE
MANIFESTE, INSCRIVEZ VOTRE SIGNATURE SUR LE SITE DE LA MAISON DES PASSAGES

www.maisondespassages.org

Les premiers signataires
A2P Nord-Sud-Sud / ADATE / Adrien Franck / Amirouche Aurélie / ARTAG - Centre social à l'unisson /
Azzimonti Francesco / Bacot Yolande / Balume Ya-Mutuale / Barret Françoise / Barthez Jean-Claude /
Beauvoir Marcel / Boutin Elisa / Camara Ganda Oumar / CCO de Villeurbanne / Cédiey Eric /
Chaouite Abdellatif / Chopin Nadine / Cie Novecento / Collectif de l'Atre / Compagnie Gertrude II /
Corso Cécile / Dire d'Etoile / EPI de Vaulx-en-Velin / Fall Fati / Ferhat Bahija / FIJI-RA / Frérot Olivier /
Gilbert Jeanne / Guichard Bruno / Gumpel Georges / ISM-CORUM/ Jaganathen Sandra / Jamonneau Baptiste /
Kebbouche Saïd / La famille Carton Pâte / La Maison des Passages / La Tribu Hérisson / Levin Sarah /
Malia Compagnie / Massalve Emmanuelle / Meier Florence / Meynier Gilbert / Mommey-Sothier Martine /
Pascaud Audrey / Paturel Guy / Perret Zohra / Perrin-Niquet Christine / Pitiot Christine / Pousset Xavier /
Prince-Agbodjan Didier / RADDHO Diaspora / Ragon Louise / Raphel Dominique / Revue Ecarts d'identité /
Righi Farid / Sana Serge / Sebihi Nadia / Som I Joseph Désiré / Tayebi Mohamed / Tellache Karim /
Thévenin José / Thibault-Verrier Yvette / Vaillé Magali / Zeglama Hanane /