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Provocation pour un Dialogue en humanité

PROVOCATION POUR UN DIALOGUE EN HUMANITE
Ordep Serra

 

Vous m’avez posé une question qui me semble digne d’être interrogée : vous me demandez ce que nous, les étrangers, espérons de la France. Eh bien, d’abord, il me faut relire votre proposition, c’est-à-dire, votre provocation. Je crois que vous voulez savoir qu’est ce que des étrangers comme nous espèrent de vous, de cette France qu’ainsi vous nous donnez à penser.

Il faut bien que je m’explique sur la modification que j’ai fait dans le contenu de la question. Elle m’était indispensable et voilà pourquoi : je ne vous suspecte point d’un ethnocentrisme aussi grossier que celui qui prévaut quand on oublie deux choses fondamentales, c’est-à-dire, lorsqu’on oublie, en premier lieu, qu’il n’existe point des « étrangers » comme une catégorie homogène, qu’il n’y a rien de plus hétéroclite que cette masse confuse dont la seule unité est construite de façon arbitraire par une distinction unilatérale et fortement biaisée, entre « nous autres » et « vous autres » (ce qu’on pourrait bien dire en espagnol de la manière suivante : entre nosotros y vosotros, mais qui dans votre langue comme dans la mienne ne sonne pas aussi « naturel »).

En second lieu, on ne peut pas oublier que quand nous parlons d’« étranger » et de « natif », nous avons pour ainsi dire affaire à des shifters sociologiques, puisque les positions ainsi distinguées sont toujours interchangeables, réversibles ; qu’elles ne sont en effet que des positions, puisque chacun est étranger pour les « autres » qu’il classifie comme çà. Qui veut ou voudrait éviter les conséquences éthiques et phénoménologiques de ce shifting, doit se faire prisonnier de son pays, de son peuple, de soi même, s’aveugler à un tel point qu’à la fin, il ne saura reconnaître sa conditions humaine. Eh, bien, quiconque s’occupe de la promotion de dialogues en humanité est très loin de cette ingénuité, très loin de la perversité d’un ethnocentrisme qui aboutirait à réduire les interlocuteurs à une altérité vide.

Il me semble aussi évident qu’il y a des spécifications implicites dans votre provocation. Je crois que vous voulez interroger des étrangers qui ont une relation spéciale avec la France, autrement dit, qui peuvent la regarder d’un point de vue capable d’autoriser (ou non) l’espoir, prenant aussi franchement en considération son contraire (c'est-à-dire, la crainte). Je ne suis qu’un de ces étranger et ne peux point parler au nom des autres, dont le nombre et la variété sont très grands et qui, par conséquent, peuvent avoir des points de vue très différents , qui certes, ne sont pas unanimes sur ce qui touche à la France et à ce que vous voulez savoir. Il y a, bien sûr, des étrangers comme moi, ou dans la même situation que moi, c’est-à-dire dans une position (historique, sociologique) qui les mène à voir votre pays à peu près de la même distance, peut-être d’une perspective sinon identique, en tout cas proche de la mienne. Cependant, je ne les connais pas tous ; je ne peux point les identifier ici sans risque d’erreur, si tant est qu’il en existe. Mais je crois reconnaître une condition qui nous rapproche, nous autres étranger, ici présents. Quand j’emploie l’expression, « des étrangers comme moi » ou « comme nous », je veux dire : des étrangers qui veulent bien participer de ce dialogue « en humanité » et veulent comprendre comment la France s’y révèle, ou du moins s’y avère interrogeable. Mais évidemment, il y a des différences entre nous, parce que nous sommes aussi, dans une grande mesure, étrangers les uns vis-à-vis des autres ; et notre communion peut osciller pour diverses raisons.

Somme toute, il ne me reste qu’une possibilité pour entreprendre la tâche dont vous m’avez chargé. Je renonce aux généralisations et parle simplement de ma vision personnelle, de ce que je vois et crois, de mes espoirs, désirés et craintes en relation à la France. Je ne crois pas souffrir d’originalité extrême ; il se peut bien que je coïncide ainsi avec un certain nombre d’autres. Et s’il arrive que mes amis non Français ici présents me trouvent un peu trop idiosyncratique, s’ils considèrent que mon discours et ma position sont vraiment excentriques, je ferai appel aux philosophes français pour qui souvent il faut décentrer pour comprendre.

Pour illustrer ce que je veux dire, je vous raconterai une petite histoire. Arrivé à  Paris pour un stage au Centre Louis Germet de l’EHESS, j’ai eu l’occasion d’être logé dans un foyer des Pères du Saint Sacrement, rue Friedland. L’accueil et la cordialité de ces bons religieux nous ont rapprochés. Ils me demandèrent pourquoi j’avais choisi la France pour y conclure mes études et je leur répondis que c’était parce que j’ai du sang français. Ils voulurent alors savoir comment ma généalogie me rattachait à la France. Ma réponse fut simple : en fait, je descends d’un peuple indigène du Brésil, les Tupinambas, ces fameux cannibales tant loués par le Seigneur de Montaigne ; or, mes ancêtres avaient dévoré quantité de missionnaires français. J’ai ajouté que cela expliquait mon amour pour la France et, particulièrement pour la cuisine française. Ils ont reçu en riant mon explication et me l’ont faite répéter maintes fois aux autres hôtes de leur foyer, français et étrangers.

Il est évident que je parlais sur le ton de la boutade, mais il y a du vrai dans l’histoire que je leur ai racontée, et à laquelle j’ai fini par croire. Il est grandement probable que je descende effectivement des premiers habitants de la terre où je suis né ; les Bahianais sont le fruit d’un grand métissage auquel ont participé des européens, des indiens et des nègres africains, bien que les noirs prédominent dans notre population. Mais ce n’est pas le plus important. Mon ami François Laplantine pourra vous confirmer que dans l’histoire récente du Brésil (au XXème siècle), un mouvement culturel très important a fait bon usage métaphorique de l’anthropophagie pour indiquer son programme : celui d’un groupe d’artistes, d’écrivains et de penseurs qui proclamaient nécessaire non simplement d’imiter, mais aussi de consommer, d’absorber, de « dévorer » la civilisation européenne pour nourrir le chaos brésilien et lui faire produire une nouvelle culture. Ces modernistes, comme ils s’appelaient, étaient fortement impressionnés par l’art et la littérature français, en particulier, mais ils étaient à la fois fiers de la nouveauté du Brésil.

Quant à moi, avec ma  petite histoire généalogique, je voulais dire que la France était déjà présente dans mon imagination, dans mon désir et dans ma mémoire bien avant d’en fouler pour la première fois le territoire.

Les premiers à me parler de votre pays ont été de pauvres poètes analphabètes  que j’ai écouté chanter dans une foire de ma petite ville natale, les aventures de Roland et des Douzes Paires de France. Une chanson anonyme qui m’a beaucoup impressionné quand j’étais enfant parlait d’un homme à qui un grand roi promettait comme cadeau de noces, pour qu’il épousa sa fille, Europa, Françia et Bahia (Bahia est l’Etat du Brésil où je suis né). Et l’homme refusait ! Je déduisais que la princesse devait être terriblement laide et détestable, seule explication au renoncement d’un pauvre musicien aux trois parties les plus importantes du monde.

Dans mon pays, quand j’étais jeune, l’influence de la culture française était beaucoup plus forte qu’aujourd’hui et se faisait sentir même dans les classes populaires. Bien illustrative de ce prestige est la chanson de notre folklore dont je vous ai parlé. Et bien, si pour le peuple qui la chantait, la France était un continent aussi grand que l’Europe, pour beaucoup de Brésiliens plus instruits elle était, sans aucun doute, le centre de la civilisation européenne, de la civilisation tout court. Je reviens à la métaphore moderniste que j’ai élue et adaptée à ma façon : par sa richesse intellectuelle, historique et culturelle, par sa créativité et son raffinement, la France nous semblait très bonne à manger.

Je suis également conscient du fait qu’il n’y a point de nation homogène, que la France est très complexe, qu’elle est une « communauté imaginaire », tout comme le Brésil, avec une considérable diversité et des différences sociales, culturelles et politiques très grandes en son sein. Or, en matière d’amour et d’appétit, on est sélectif ! J’aime mon pays, mais il y a dans la société brésilienne beaucoup de choses que j’abhorre et déteste, que je refuse, que je trouve insupportables et répugnantes. Dans la France aussi, je dois le dire. Voilà….Mes ancêtres étaient anthropophages, non sarcophages ; bien au contraire, ils haïssaient la pourriture.

Je cours le risque de vous causer un certain dégoût avec mon insistance envers une rhétorique cannibale, ou, plus précisément, dans l’évocation d’un cannibalisme devenu rhétorique. L’anthropophagie provoque une horreur fort légitime et compréhensible. Mais je crois que le vice contraire est aussi horrible et même plus dangereux : l’attitude « anthropoémique », comme l’a qualifié Lévi-Strauss. Cette compulsion qui consiste à vomir les autres, les «différents », les étrangers, les pauvres, les « impurs », les migrants, les nomades, les « incapables », les « inférieurs » …. Ceux qui, en somme (comme proclament les xénophobes de tous les pays, à peu près dans le monde entier), ne doivent point être « ici » parce qu’ils ne sont pas « comme nous ». Les prétextes de l’exclusion varient : le ban se proclame au nom de la race, de la culture, de l’identité nationale, des raisons d’État, de l’économie, de la civilisation, du bon goût, etc.

A la rigueur, aujourd’hui, la xénophobie n’est qu’une expression entre autres d’une tendance qui s’universalise au sein d’un ordre capitaliste essentiellement destructif, un ordre qui crée l’obsolescence d’hommes et de femmes, de groupes entiers, et leur attribue la responsabilité de cette réduction ; qui arrive à convaincre des multitudes de la nécessité de pratiquer le rejet de ses proches et prépare ainsi souvent les convertis à sa logique d’exclusion, à être écartés, sans possibilité de défense, quand cela conviendra aux intérêts des contrôleurs de la richesse. Le prix de l’adhésion à ce credo est la perte progressive de la citoyenneté et, enfin, de l’humanité. C’est en réfléchissant à ce sujet que j’ai écrit un petit poème, dont l’original en portugais est encore inédit. Voici sa traduction :

 

Le visiteur qui, en vain, sonna
A ma porte, la nuit entière,
L’homme obscur, le vagabond
Que j’ai chassé de ma terre
Et par la force et par la loi,
L’étranger que je connais pas
_ Oh misère ! _C’était moi

Enfin, la France que j’aime, c’est celle où je me trouve aujourd’hui : la France des Dialogues en Humanité.

50 propositions pour changer de cap

http://www.lelabo-ess.org/ Un livre blanc sur « l’économie sociale et solidaire, une réponse entrepreneuriale face à la crise » est en cours d’une première finalisation et sera disponible, sous forme de synthèse de travaux, et soumis au débat à partir du 1 er novembre sur le site www.lelabo-ess.org. Intitulé désormais sous un vocable nouveau plus concret et plus audacieux « 50 propositions pour changer de cap », ce document est le fruit d’un travail qui a associé de nombreux acteurs de l’économie sociale et solidaire. Il sera débattu plus particulièrement au cours du mois de l’économie sociale et solidaire qui démarre le 1 er novembre et devrait être présenté lors des élections régionales en mars 2010 aux candidats des diverses listes en présence.

Mené à l’initiative de Claude Alphandery, président d’honneur de France active, en collaboration avec Laurent Fraisse du Crida (Centre de recherche et d’information sur la démocratie et l’autonomie) et Tarik Ghezali, avec l’appui de la Fondation Charles Léopold Meyer, ce document affirme les fondements de son choix en faveur d’une économie sociale et solidaire, synonyme « d’un autre modèle de développement », qui est une « manière de sortir de la crise par le haut », « un laboratoire qui ouvre les champs des possibles », tout « en mettant des limites au marché, à l’accumulation », devant « réduire les inégalités », et pouvant « faire du territoire l’économie réelle », etc.

Une fois ce cadre bien explicité, les propositions sont vastes, argumentées et opérationnelles. On retiendra parmi elles, celles concernant un nouveau partenariat sur les politiques d’intérêt général et la demande d’un « Etat qui investisse le social ». Puis plus précisément, celles ayant trait à l’emploi de qualité avec par exemple les demandes suivantes : « Préserver et maintenir les emplois de l’ESS face à la crise », « investir dans les capacités humaines pour répondre au besoin de main d’œuvre de demain », « conditionner la participation aux politiques d’emplois aidés à une politique de consolidation et développement d’activité d’intérêt général », et « faciliter la relocalisation de certaines activités économiques ».

Autre développement au sein de ces 50 propositions, « ouvrir la gouvernance des entreprises aux autres parties prenantes », « développer une finance solidaire et responsable », « faire émerger une nouvelle génération d’entrepreneurs sociaux », etc.


Pour plus d'informations : « le labo de l’ESS met en débat 50 propositions pour changer de cap » sera disponible à partir du 1 er novembre sur www.lelabo-ess.org .

A quoi sert l'argent

La dette des gouvernements, des entreprises et des ménages a atteint des proportions astronomiques et enfle de plus en plus démesurément de jour en jour.
D’ou vient tout cet argent ?
Comment peut-il y avoir TANT d’argent à prêter ?
La réponse est… qu’il n’y en a pas.
De nos jours, L’ARGENT S’EST FAIT DETTE.
S’il n’y avait PAS DE DETTE
Il n’y aurait PAS D’ARGENT
Si tout ceci vous laisse perplexe, rassurez-vous, vous n’êtes pas le seul ou la seule.
Très peu de gens comprennent ce système, même si nous sommes tous touchés.

LA SOLUTION:
N'empruntez plus aux banques.
Car les banques n'ont pas d'argent, ils vivent grâce aux dettes, qui leur sert à fabriquer de l'argent.

La version long métrage d'animation, dynamique et divertissant, de l'artiste et vidéographe Paul Grignon, explique les effets magiques mais pervers du SYSTEME ACTUEL D'ARGENT-DETTE dans des termes compréhensibles pour tous.

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Croissance de la richesse économique ou bien-être durable pour tous ?

Jean Gadrey, économiste, est membre du Conseil scientifique d’Attac-France ; il est aussi membre de la « Commission de Mesure de la Performance Économique et du Progrès Social », présidée par Joseph Stiglitz. Il travaille depuis longtemps sur les indicateurs de richesse ; on trouvera ici le diaporama de sa dernière présentation intitulée "Croissance de la richesse économique ou bien-être durable pour tous ?" Cette question prête à des explications qui peuvent, au sein même du Conseil scientifique, parfois quelque peu diverger. Jean Gadrey lui-même recommande la prudence dans l’interprétation de certains graphiques (voir par exemple ce qu’il écrit sur l’espérance de vie). Tous s’accordent, en revanche sur le fait que le PIB ne peut être le seul, et hégémonique, indicateur de progrès de l’activité humaine.

Télécharger le document complet avec les graphiques : (pdf 1,2 Mo)
  Croissance de la richesse économique ou «bien-être durable pour tous» ?

Comment en est-on venu à penser qu’un pays peut aller mieux alors que ses habitants vont moins bien ?

Le besoin de croissance : une croyance plus que jamais répandue, mais plus que jamais contestée

Croyance à droite comme à gauche :

  • Nicolas Sarkozy, le 14 septembre 2007 :
    « Que la croissance soit à 1,9 % ou 2,3 %, au fond, cela ne change pas grand-chose car, ce que je veux, c'est 3 %. De toute façon, il faut faire les réformes pour gagner ce point de croissance. »
  • Dominique Strauss-Kahn, Directeur général du FMI depuis le 1° novembre 2007 Conférence de presse le 1° octobre Les missions du FMI sont :
    « La promotion de la croissance, le plus haut niveau d’emploi, la promotion du commerce international… »
  • Jacques Attali, le 1° septembre 2007 :
    « Le monde enregistre une croissance moyenne de 5 % l'an depuis plusieurs années… Nous devons viser 5 % de croissance ».
  • Ségolène Royal, le 28 avril 2007, sur France 2, en réponse à la question suivante de Gilles Leclercq :
    « Mais quand même, avec une dette de 1 200 milliards d’euros, où faites-vous des économies ?
    Sa réponse :
    « Je relance la croissance. Je relance la croissance… C’est pas un pari, c’est une question de confiance. Ça n’est pas un pari, c’est une réalité. Je suis convaincue que la croissance va repartir ».
  • Georges W. Bush (en matière d’environnement) :
    « la croissance n’est pas le problème, c’est la solution »

Le doute s’installe, la contestation monte

Mettre en avant la croissance, le « toujours plus », c’est laisser de côté de grandes questions, comme : toujours plus de quoi, pour qui et avec quelles conséquences pour l’avenir ?

La métaphore du gâteau est « insoutenable » : le gâteau est de plus en plus gros, mais de plus en plus « empoisonné ».

De grandes institutions internationales commencent à prendre le virage : Nations Unies, OCDE, Union européenne…

Une croissance sans limite est-elle pensable ?

Des calculs à la portée de tous
Avec 2 % de croissance par an du PIB/h, nos descendants auraient, en 2100, de quoi acheter six fois plus de biens et de services !

Indépendamment même des questions écologiques, six fois plus de quoi ?

Quand arrête-t-on cette course éperdue pour réfléchir aux fondamentaux du bien vivre ? Sans attendre ? Plus tard ? Trop tard ?

Que mesure-t-on avec la croissance du PIB et qu’oublie-t-on ?

Premiers éléments sur la différence radicale entre PIB et bien-être.

Qu’est-ce que le PIB ? Et la croissance ?

Le PIB = somme des valeurs produites dans la sphère marchande et des coûts de production des services non marchands

La croissance : c’est celle du PIB, déduction faite de l’inflation

Croissance de quoi ?

  • Les dommages écologiques et sociaux du modèle actuel de croissance ne sont pas déduits. Ils deviennent énormes.
  • Détruire (la société, l’environnement) puis réparer (en partie) est une « contribution » de plus en plus importante au PIB.
  • Des contributions positives essentielles au bien-être ne sont pas comptées : bénévolat, travail domestique, progression du temps libre choisi.

Croissance pour qui ?

Pauvreté, inégalités, insécurité sociale… ne sont pas comptées.

Selon Joseph Stiglitz, la croissance américaine de 2000 à 2007, montrée partout en exemple, n’était ni soutenable ni équitable. C’était « un mirage » : « même avant le crash, la majorité des Américains étaient moins bien lotis qu’en 2000. Nous avons connu une décennie de forte croissance du PIB et de déclin pour la plupart des gens ».

Croissance avec quelles conséquences dans le futur ?

Pour ne pas aggraver l’effet de serre, il faudrait émettre moins de 1,8 tonne de CO2 par personne dans le monde (ou, pour les spécialistes, 1/2 tonne d’équivalent carbone). L’économie et la population mondiales en émettent environ le double, la France quatre fois plus.

D’accord, le PIB/h n’est pas le bien-être, d’accord « l’argent ne fait pas le bonheur », mais, dit-on, ils y contribuent fortement.

Pour savoir s’il existe une relation positive entre PIB/h et bienêtre, ou entre croissance et mieux-être, ou « développement » (humain, durable…) on peut utiliser, outre la réflexion philosophique et l’introspection, diverses mesures :

  1. Des indicateurs multiples, selon plusieurs dimensions communément admises du bien-être ou du développement.
  2. Des indicateurs synthétiques obtenus comme « agrégats » ou moyennes de plusieurs indicateurs de bien-être.
  3. Des « enquêtes d’opinion » sur la « satisfaction de vie ».

On peut alors croiser ces mesures « objectives » ou « subjectives » du bien-être avec le PIB/h ou avec sa croissance.

Des variables « objectives » de développement humain, de bien-être, de « développement durable »…croisées avec le PIB par habitant :

pas de corrélation dans le groupe des 30 à 40 pays les plus riches !

Premier exemple : l’espérance de vie. L’espérance de vie progresse nettement avec le PIB/h, mais…

… au dessus de 18 000 dollars de PIB/h en 2004, l’espérance de vie n’est plus corrélée avec le PIB/h

Prudence dans l’interprétation :
au cours du temps, le « nuage de points » de ces graphiques se déplace vers le haut :
l’espérance de vie a progressé dans le monde : 58 ans au début des années 1970, 66 ans aujourd’hui. Il y a donc eu dans le passé une progression simultanée dans le monde, y compris les pays riches, du PIB/h et de l’espérance de vie. Mais l’absence de corrélation constatée précédemment indique que la croissance n’est plus, au-delà d’un certain seuil, une condition nécessaire à la progression de l’espérance de vie, laquelle renvoie à d’autres facteurs bien plus décisifs.

Comment expliquer que des pays dont le PIB/h est deux, trois voire quatre fois (Chili, Costa Rica) inférieur à celui des plus riches aient pratiquement la même espérance de vie, supérieure à 78 ans ? Il existe de multiples façons d’allonger l’espérance de vie.
À un pôle, le modèle américain inégalitaire et coûteux de « réparation médicale » des dégâts d’un mode de production et de vie qui affecte la santé, ce qui exige un haut niveau de richesse et un système médical hypertrophié.

De l’autre, des modèles où l’on dépense peu par habitant en « réparations médicales » parce que les modes de vie et de travail sont moins agressifs pour la santé et parce qu’il y a moins d’inégalités.

L’éducation, sous l’angle de la scolarisation : la corrélation avec le PIB/h est forte, mais elle disparaît au-delà de 12 000 $

PIB/habitant et cohésion sociale ? (le coefficient de Gini indique des inégalités plus fortes lorsqu’on va de 0 à 100).
Mais, au-dessus de 12 000 $, il n’y a plus aucune corrélation

Environnement : la croissance aggrave nettement une situation déjà très inquiétante. Le cas des émissions de CO2

Selon le PNUD (27 novembre 2007), il faudrait, pour éviter une catastrophe climatique, « peut-être la menace la plus grave qui ait jamais pesé sur l’humanité », que les pays riches réduisent de 80 % leurs émissions de CO2 d’ici 2050 (une division par 5). L’objectif officiel en France est une division par 4.

Cela voudrait dire en moyenne une réduction de 3,5 % PAR AN. C’est plus que ce qui a été obtenu en France entre 1990 et 2005 !

La consommation d’énergie, quant à elle, a continué à progresser au cours des dernières années en France. Il faudrait très vite changer de modèle de production et de consommation. On commence quand ?

Des indicateurs synthétiques qui ne confirment pas non plus les équations croissance = progrès et PIB/h = bien-être

Les indicateurs synthétiques du PNUD

  • Développement humain (IDH)
  • Pauvreté (IPH)
  • Parité hommes-femmes (IPF)

 

IDH 2004 PIB/hab.(PPA) Pauvreté IPH-2 Participation des femmes: IPF
1. Norvège 4 1. Suède 1. Norvège
2. Islande 5 2. Norvège 2. Suède
3. Australie 13 3. Pays-Bas 3. Islande
4. Irlande 3 4. Finlande 4. Danemark
5. Suède 15 5. Danemark 5. Belgique
6. Canada 9 6. Allemagne 6. Finlande
7. Japon 17 7. Suisse 7. Pays-Bas
8. États-Unis 2 8. Canada 8. Australie
9. Suisse 6 9. Luxembourg 9. Allemagne
10. Pays-Bas 8 10. France 10. Autriche
11. Finlande 14 11. Japon 11. Canada
12. Luxembourg 1 12. Belgique 12. États-Unis
13. Belgique 10 13. Espagne 13. Nouv-Zélande
14. Autriche 5 14. Australie 14. Suisse
15. Danemark 7 15. R-Uni 15. Espagne
16. France 16 16. États-Unis 16. Royaume-Uni
17. Italie 19 17. Irlande 17. Irlande
18. Royaume-Uni 12 18. Italie 18. Singapour
19. Espagne 21   19. Argentine
20. Nouv-Zélande 24   20. Portugal
21. Allemagne 18   21. Costa Rica

L’indice de santé sociale américain
En baisse tandis que le PIB monte

 

Enfants Adolescents Adultes Pers. âgées Tous âges

Mortalité
infantile

Maltraitance
des enfants

Pauvreté
infantile

Suicide des
jeunes

Usage de
drogues

Abandons
d'études
universitaires

Enfants nés
de mères
adolescentes

Chômage

Salaires
hebdomadaires
moyens

Couverture
par
l'assurance
maladie

Pauvreté des
plus de 65 ans

Espérance de
vie à 65 ans

Délits violents

Accidents de
la route
mortels liés à
l'alcool

Accès à un
logement d'un
prix
abordable

Inégalités de
revenu
familial

Les composantes de l'indice de santé sociale

En France, le Baromètre des Inégalités et de la Pauvreté (BIP 40)
Six grands domaines, près de 60 variables

 

  EMPLOI REVENU SANTE LOGEMENT EDUCATION JUSTICE
Pondérations (en %) 25 25 12,5 12,5 12,5 12,5

Le BIP 40 : les inégalités progressent quand l’indicateur augmente

L’empreinte écologique d’une population (une personne, une région, un pays, l’humanité…)

C’est la surface de la planète dont cette population dépend, compte tenu de son mode de vie et des techniques actuelles, pour ses besoins

  • - en produits du sol (agriculture, sylviculture) et en zones de pêche
  • - en terrains bâtis ou aménagés (routes et infrastructures)
  • - en forêts capables de recycler les émissions de CO2 (empreinte énergie) et plus généralement en surfaces d’absorption des déchets

Si toute l’humanité accédait au mode de vie américain (sur la base des techniques de production actuelles), il faudrait cinq planètes.

Il en faudrait trois si la référence était le mode de vie des Français.

Les écarts d’empreinte entre groupes sociaux au sein d’un même pays vont de 1 à 10, et nettement plus si l’on tient compte des modes de vie les plus luxueux.

PIB par habitant et « vie jugée satisfaisante » ou « bien-être subjectif » :

Peu ou pas de corrélations au dessus de 15 000 $ de PIB/h

Corrélation entre le PIB/h et la satisfaction de vie, au-dessus de 15 000 $ de PIB/h, il n’y a plus de corrélation

Est-ce que, malgré tout, le fait d’avoir une vie JUGÉE satisfaisante progresse avec le temps, ou d’une génération à l’autre, alors que le PIB/h ne cesse de progresser ? NON, en tout cas dans beaucoup de pays riches, et dans les réponses aux enquêtes « subjectives ».
En France de 1973 à 2005, le PIB/h a été multiplié par deux.
Alors, plus heureux ?

Inquiétudes fortes pour l’avenir dans tous les pays « riches »
Selon le Centre d’analyse stratégique (29 octobre 2007), 76 % des Français pensent que la vie de leurs enfants sera plus difficile que la leur. Ce chiffre est de 63 % en Europe.

CONCLUSION

L’indispensable débat public sur ce qui compte et sur ce qu’il faut compter
L’usage politique de tels indicateurs implique qu’ils aient une légitimité, non seulement aux yeux d’experts, mais aussi et surtout aux yeux des citoyens. Cela suppose des débats ouverts visant à construire des cadres et des référentiels partagés, à « révéler des préférences collectives » sur le « développement humain durable ».

La crise rend encore plus nécessaire le recours à de nouveaux indicateurs
Si l’on reconnaît que la crise actuelle est la conjonction de phénomènes multidimensionnels, les indicateurs les plus pertinents comme repères de sortie de crise doivent accorder au moins autant de poids aux questions sociales et écologiques qu’à l’économie et à l’emploi.

 

Défis-mondiaux Défis-Humains

DÉFIS MONDIAUX, DÉFIS HUMAINS

L’humanité est confrontée à des rendez-vous cruciaux où elle joue sa propre existence. Elle se trouve devant des défis identifiés, en particulier les risques écologiques et les inégalités sociales qui mettent en danger le vivre-ensemble. Ces risques ne sont pas simplement juxtaposés. Ils peuvent interagir et provoquer des crises systémiques, par exemple des crises financières. À l’échelle générationnelle, l’ensemble de ces risques relève du court terme : ce sont des enfants déjà nés qui seront concernés.

Dans cette période critique de l'histoire de l'humanité, personne ne peut relever les défis séparément. Nous avons donc besoin de construire des alliances entre des types d’acteurs aux intérêts et visions de l’avenir diverses, voire contradictoires, mais qui ne peuvent pas s’enfermer dans des stratégies parallèles. Nous devons agir sur plusieurs leviers et passer des alliances, y compris conflictuelles.Le Forum de Lyon vient de montrer qu’elles sont envisageables.Face à l’ampleur des risques majeurs, nous devons construire ces alliances entre institutions internationales, acteurs économiques, société civile, territoires, puissance publique, traditions spirituelles…
Il ne s’agit pas de masquer les différences et les divergences mais, dans le cadre d’alliances nouvelles, de repérer des zones d’accord fondamentales et de construire des zones de désaccords et de conflits positifs. Des « plates-formes d’accords partiels » sont possibles sur des enjeux majeurs tels que l’eau, les risques de guerre, le dérèglement climatique, la lutte contre la misère, la prolifération des armes de destruction massive…

Ces stratégies supposent de s’appuyer sur la capacité de l’humanité à faire face aux défis qu’elle rencontre, comme elle l’a fait au long de son histoire. Il est donc urgent de développer notre désir d’humanité. Notre action ne peut pas s’appuyer seulement sur une « heuristique de la peur » (H. Jonas). La lucidité sur la gravité des risques est en effet nécessaire, mais la peur finit par générer impuissance et angoisse. Pour faire face aux risques, nous devons miser à la fois sur « le principe espérance » et sur le « principe de responsabilité ». Nous sommes ainsi mis au défi de développer de l’imaginaire positif, du désir d’humanité. Nous sommes devant la nécessité d’un saut qualitatif qui fasse passer l’humanité à un niveau de conscience supérieure ; pas seulement une conscience rationnelle supérieure, mais l’intelligence du cœur. Nous ne sommes plus dans l’ordre de l’hominisation, mais dans celui de l’humanisation [# C’est la perspective qui anime les « Dialogues en humanité » : à travers le dialogue et la confrontation entre les expériences, les cultures, les traditions, les disciplines (sciences, arts, spiritualités, politique, monde de l’entreprise…), nous pouvons tous ensemble tenter de mieux comprendre ce qui fait l’humain et tenter de grandir ensemble vers plus de sagesse, plus de confiance en soi, en l’autre, en l’avenir, vers plus de compréhension et plus de justice.]

Patrick Viveret, philosophe, directeur du Centre international Pierre Mendes France

La crise de la démesure

La crise de la démesure "Dans Nouvelles Clés"

Patrick Viveret, ancien compagnon de route de Michel Rocard, est conseiller référendaire à la Cour des Comptes. Également écrivain et philosophe, il est un altermondialiste convaincu, qui travaille notamment sur un projet de monnaie locale (ou open money). Pour lui, notre société est dans une crise éthique et spirituelle et sa publicité qui tente de nous faire croire que le mal-être se résoudra par l’avoir est une toxicomanie. De même les paradis fiscaux deviennent, sous sa plume, des enfers fiscaux pour le collectif. Cet homme de pensée et d’action est, avant tout, un constructeur. Il propose une méthode pour gérer les désaccords, tant affectifs que politiques, afin d’éviter les malentendus et les procès d’intention.

Nouvelles Clés : La crise actuelle, vient-elle des Etats-Unis ou du cœur de l’homme ?
Patrick Viveret : Les deux sont simultanément vrais. La crise est liée à de la démesure, à ce que les grecs appelaient "l’ibris". Dans son versant écologique, suite à deux siècles de productivisme, c’est de la démesure dans le rapport à la nature. La crise financière est liée à celle de l’économie spéculative dans son rapport à l’économie réelle. Il faut savoir que sur les 3.200 milliards de dollars qui s’échangeaient auparavant chaque jour, moins de 3 % seulement correspondaient à des biens et des services réels.
Démesure aussi dans le creusement des inégalités sociales quand 225 personnes ont des revenus équivalents à 2 milliards et demi d’êtres humains ou quand 3 personnes ont des revenus équivalents aux 48 pays les plus pauvres du monde (chiffres officiels des Nations Unies). Cela a été particulièrement spectaculaire aux Etats-Unis mais on retrouve cette crise sur la planète entière. Cela renvoie aussi à la question du cœur de l’homme car elle est aussi un dérèglement dans l’ordre émotionnel. On paye, à travers cette démesure, les conséquences du mal-être et du mal de vivre. Les budgets de stupéfiants et d’armements totalisent plus de vingt fois les sommes qui seraient nécessaires pour l’eau potable, l’accès aux soins de base, la lutte contre la malnutrition, etc...

Les paradis fiscaux sont, en fait, des enfers

Et au cœur de tout cela, il y a un poumon central qui s’appelle les "paradis fiscaux", que je préfère appeler les "enfers fiscaux". Ils ne sont paradis que pour les bénéficiaires de ce mécanisme scandaleux. Vus du côté des citoyens et des acteurs publics se sont des enfers fiscaux.
N.C. : Quelle est leur importance ?
P. V. : Ils représentent 11.000 milliards de dollars. Il faut avoir les ordres de grandeur en tête. Le plan Paulson de sauvetage des banques aux Etats-Unis, c’est 800 milliards de dollars. Cela nous paraît déjà démesuré. Pour le sauvetage du système bancaire on nous parle de centaines de milliards de dollars et on continue à nous dire, par ailleurs, que les caisses sont vides pour les enjeux sociaux, les enjeux écologiques, etc... Or là, c’est 11.000 milliards de dollars qui, eux-mêmes, ont des éléments d’effet levier. Il y a les systèmes d’assurance de l’économie spéculative, que l’on appelle les "swaps", et là c’est 18.000 milliards de dollars. Ensuite l’ensemble des produits dérivés correspond à 60.000 milliards de dollars.
Si l’on va jouer sur le levier de ces enfers fiscaux, on joue sur un levier extraordinairement important.
N.C. : Comment faire ?
P. V. : Nous pourrions poser une procédure d’engagement mutuel. Nous pourrions dire : "Nous citoyens, consommateurs, collectivités territoriales, nous prenons l’engagement mutuel d’arrêter tout commerce avec un acteur quel qu’il soit dont on aura fait la preuve qu’il a un lien avec un enfer fiscal. Nous demandons la création d’une commission d’enquête, pour être nets sur l’information, et d’une commission de veille et de suivi lorsque des opérations civiques auront été déclenchées". Par exemple, on peut imaginer donner un délai pour la partie des acteurs qui diraient en gros : "Je ne le savais pas". Il y a quantité d’acteurs, un peu comme l’histoire Madoff aux Etats-Unis, qui découvrent après coup, qu’ils avaient dans leur portefeuille des éléments qui transitaient par les (paradis) enfers fiscaux. Ces acteurs-là, on peut présumer de leur bonne foi. On peut alors leur donner un délai mais à ce moment-là il faut un dispositif de veille, de suivi et d’évaluation pour s’assurer qu’ils prennent les mesures nécessaires. S’ils les ont prises il n’y a pas de problème. S’ils ne les ont pas prises, on applique la procédure d’interdiction de tout commerce. Cet argent récupéré pourrait servir à du développement humain réellement soutenable. Cette procédure joue aussi bien sur les dimensions personnelles, sur les changements de posture individuelle que sur les changements de nature structurelle.
N.C. : Qu’entendez-vous par nouvelle citoyenneté planétaire ?
P. V. : Tout être humain est un citoyen de la terre des droits et des devoirs. Il n’y a pas de sans-papier possible. Nous avons besoin de faire vivre cette citoyenneté terrienne et l’opération "enfers fiscaux" en est un bon exemple.
Nous avons besoin de faire naître l’équivalent d’une contribution publique mondiale pour aller traiter les grands problèmes vitaux sur lesquels l’humanité risque la sortie de route : l’écologie, le climat, la biodiversité, le creusement des inégalités sociales et le dialogue des civilisations pour éviter les nouvelles formes de déviance. A travers l’opération "enfers fiscaux", nous avons un formidable moyen de commencer à faire vivre cette citoyenneté mondiale. On peut dire qu’une partie de cet argent pourrait être récupérée par des collectivités territoriales ou par des Etats. Et une partie pourrait être récupérée par un fonds mondial qui aurait vocation à devenir le premier fonds de contribution public de la citoyenneté terrienne.

Société de consommation = société de consolation

N.C. : Pourquoi dîtes-vous que l’Occident est dans une misère éthique ?
P. V. : C’est une misère éthique, affective et spirituelle. Le monde occidental a principalement généré des systèmes comparables à la toxicomanie. Ils sont organisés autour de l’avoir, comme compensation de l’insatisfaction dans l’ordre de l’être. C’est dans le domaine de la publicité qu’on le voit avec le plus d’évidence. Il y a plus de 700 milliards de dollars annuels de publicité, dont l’essentiel tourne en rond. A quoi servent ces 700 milliards ? Que nous dit la publicité ? Elle nous fait rêver à du bonheur, à de la beauté, à de la sérénité, bref, à du développement dans l’ordre de l’être. Là où la publicité est mensongère, c’est qu’elle prétend que ce développement dans l’ordre de l’être passe par une consommation et une croissance dans l’ordre de l’avoir.
C’est comparable à la toxicomanie parce que c’est une promesse non tenue qui se traduit par une soustraction. La soustraction génère ensuite de l’addiction. Notre "société de consommation" est une "société de consolation". Face à la démesure, la réponse est du côté de la simplicité et de la sobriété... qu’il faut organiser avec la question du bonheur et celle du bien-être.
N.C. : Le mieux-être, est-ce la question de l’autre ?
P. V. : Le mieux-être se décline sur les trois grands modes de communication :
- Communication dans nos rapports avec la nature en cessant de la traiter comme un ennemi.
- Guerre avec autrui également, vous avez raison. Autrui, considéré comme un rival menaçant crée une tension permanente de compétition.
- Mais guerre aussi avec soi-même, rupture de communication avec l’être en nous, manque de vie intérieure, etc...
Le mieux-être, c’est rétablir la communication dans ces trois directions : avec la nature, avec autrui, avec nous-mêmes. Comme la plupart des grandes sagesses nous le disent, il y a un rapport étroit entre la qualité de relation avec soi-même et la qualité de relation que l’on a avec autrui. La plupart du temps, on est d’autant plus en guerre avec autrui que l’on est intérieurement en guerre avec soi-même.

Qu’est-ce qu’une intelligence émotionnelle collective ?

N.C. : Vous approchez l’inconscient mais vous ne le nommez jamais ?
P. V. : L’inconscient est un sujet en soi ! Il faudrait, à mon avis, mieux le cerner. Il y a eu plusieurs variantes dans les traditions psychanalytiques. Ce n’est pas exactement la même chose si l’on est chez Freud ou chez Jung.
N.C. : Le travail sur soi est une nécessité ?
P. V. : Il y a besoin de l’émergence d’une qualité de conscience supérieure. Une part de cet inconscient est à reconnaître pour le faire advenir. L’émotion nous meut. Il n’y a pas d’intelligence sans désir et au cœur de l’émotion, il y a du désir. Avec du désir, on peut faire du meilleur : l’humanité a déplacé des montagnes ! Mais c’est aussi avec du désir que l’on a fait des génocides, des crimes, des guerres et des grandes sociétés totalitaires. Il nous faut donc réfléchir à ce que l’on pourrait appeler une intelligence émotionnelle collective et penser le lien entre la question émotionnelle et la question de l’intelligence.
N.C. : Que pensez-vous des monnaies alternatives ?
P. V. : La monnaie renvoie à de la confiance et à une communauté. Cela est vrai pour les monnaies alternatives ou complémentaires comme pour les monnaies officielles. La crise financière actuelle est une prise de conscience d’une communauté qui se dissout car, notamment, sous le poids des inégalités sociales, le "vivre ensemble" n’a plus de sens.
Je participe à des initiatives qui visent à promouvoir des monnaies solidaires et des monnaies d’utilité écologique et sociale. Il n’est pas trop difficile de trouver un vecteur qui serve d’étalon d’échange. Par contre, il est plus difficile de créer une qualité de confiance et de construire une communauté qui s’y appuie.
Des pays ont eu l’occasion d’aller très loin dans l’expérimentation de monnaie alternative. Je pense en particulier à l’Argentine au moment de la grande crise de ces dix dernières années. Le système des créditos a été utilisé par plus de 7 millions de personnes. C’était une réussite formidable en matière de monnaie alternative. Mais on a vu les mêmes comportements fétichistes à l’égard de l’argent se reproduire ensuite à l’égard de ces créditos. On a eu des spéculateurs et de la surémission. Il faut donc toujours se souvenir que la monnaie, y compris quand elle se veut alternative, reste un simple outil et un moyen au service d’une fin. Si l’on n’a pas travaillé sur la qualité de confiance, donc la qualité relationnelle, donc la qualité de mieux-être d’une communauté, la monnaie, fusse-t-elle alternative, ne résoudra pas les problèmes de la communauté.

Pour une méthodologie de construction de désaccord

N.C. : Elle nous oblige donc à bien gérer nos désaccords ?
P. V. : La monnaie est un outil d’échange. Dans une communauté politique on a besoin d’outils de délibération. Le savoir construire ses désaccords est un vecteur très important pour la qualité démocratique. Ce n’est jamais le désaccord qui est menaçant, pas plus que le conflit d’ailleurs. Le désaccord comme le conflit sont des outils au service d’un "vivre ensemble" et une alternative à la violence. Dans une méthodologie de construction de désaccord, il y a trois temps : d’abord "réduire l’opacité" pour s’assurer que l’on parle de la même chose et que l’on a bien le niveau d’information qui nous permet de parler de la même chose. Ensuite, construction du désaccord proprement dit. Puis, traitement du désaccord. Quand on fait ce type de procédure on se rend compte que les 2/3 et même souvent les ¾ des désaccords étaient en réalité des malentendus au sens le plus fort du terme. C’est-à-dire que l’on n’a pas entendu ce que disait l’autre. Le procès d’intention est l’une des conséquences directes du malentendu. Tandis que si l’on sait suffisamment écouter pour se mettre d’accord sur les objets de désaccord, le progrès que l’on a fait dans la qualité d’écoute et le plus souvent aussi dans la qualité d’estime d’autrui, fait que, même si le désaccord demeure, la qualité du désaccord de sortie est infiniment supérieure au désaccord d’entrée. De plus, l’expérience prouve que très souvent il y a des dépassements dynamiques de ce désaccord qui apparaissent possibles.

À lire de Patrick Viveret :

Reconsidérer la richesse, éd. de l’Aube
Pourquoi ça ne va pas plus mal ? éd. Fayard
De la guerre économique à la guerre sociale ? éd. Rue d’Ulm

Les vœux de résistance de Stéphane Hessel

A 93 ans, Stéphane Hessel est le plus jeune d’entre nous par la vitalité de son engagement et sa force d’espérance. Il est depuis 2003, un des premiers co fondateurs des Dialogues en humanité pour le Collegium International Ethique Scientifique et Politique.

Les vœux de Stéphane Hessel pour 2011 sur Mediapart
envoyé par Mediapart.

Né à Berlin en 1917, immigré en France en 1925, naturalisé en 1937, prisonnier évadé en 1940, il rejoint le général de Gaulle à Londres en 1941. Résistant, agent de liaison au BCRA, il est arrêté en France en 1944, puis déporté, notamment au camp de Dora, où il échappera de justesse à la pendaison. Diplomate à partir de 1945, ambassadeur de France, il fera de la question des droits de l’homme son combat sans partage ni relâche, comme l’illustre son ferme engagement pour la cause palestinienne. En cette fin d’année 2010, Stéphane Hessel est unanimement célébré comme une sorte d’incarnation de l’exact contraire de cette basse époque que symbolise le sarkozysme. Reprise de son appel lancé lors de la cérémonie annuellement organisée par Citoyens résistants d’hier et d’aujourd’hui au plateau des Glières, haut lieu de la résistance et de son martyr, l’exceptionnel succès de librairie d’Indignez-vous ! est à lui seul un chaleureux signe d’espoir en cette froidure hivernale.

Ami et soutien de la première heure de Mediapart, Stéphane Hessel a volontiers accepté de présenter ses vœux d’un citoyen résistant à tous « les citoyens et citoyennes qui savent résister ». L’enregistrement a eu lieu en son domicile parisien, jeudi matin 30 décembre. Qu’il en soit chaleureusement remercié. Voici donc avec un peu d’avance des vœux de résistance, en quelque sorte nos contre-vœux avant ceux que prononcera, vendredi 31 décembre 2010 au soir, un président aussi discrédité qu’inaudible. Leur texte est en-dessous de la vidéo, et tous deux sont en accès libre. N’hésitez donc pas à les faire circuler, à les envoyer à vos proches et à vos amis, à les transformer en une grande vague d’espérance face à l’inquiétude.

Mes chers compatriotes,

La première décennie de notre siècle s’achève aujourd’hui sur un échec. Un échec pénible pour la France ; un échec grave pour l’Europe ; un échec inquiétant pour la société mondiale.

Souvenez-vous des objectifs du millénaire pour le développement, proclamés en 2000 par la Conférence mondiale des Nations-Unies. On se proposait de diviser par deux en quinze ans le nombre des pauvres dans le monde. A la même date, on entamait une nouvelle négociation pour mettre un terme au conflit vieux de trente ans du Proche Orient - les Palestiniens auraient droit à un État sous deux ans. Échec sur toute la ligne ! Une plus équitable répartition entre tous des biens communs essentiels que sont l’eau, l’air la terre et la lumière ? Elle a plutôt régressé, avec plus de très riches et plus de très très pauvres que jamais.

Les motifs d’indignation sont donc nombreux. Ce petit livre Indignez-vous ! - qui a eu un extraordinaire succès auprès des parents, et plus encore de leurs enfants, auxquels il s’adresse -, c’est quelque chose qui me touche profondément. De quoi faut-il donc que ces jeunes s’indignent aujourd’hui ? Je dirais d’abord de la complicité entre pouvoirs politiques et pouvoirs économiques et financiers. Ceux-ci bien organisés sur le plan mondial pour satisfaire la cupidité et l’avidité de quelques-uns de leurs dirigeants ; ceux-là divisés et incapables de s’entendre pour maîtriser l’économie au bénéfice des peuples, même s’ils ont à leur disposition la première organisation vraiment mondiale de l’histoire, ces Nations-Unies auxquelles pourraient être confiées d’un commun accord l’autorité et les forces nécessaires pour porter remède à ce qui va mal.

Au moins nous reste-t-il une conquête démocratique essentielle, résultant de deux siècles de lutte citoyenne. Elle nous permet de revendiquer le droit de choisir pour nous diriger des femmes et des hommes ayant une vision claire et enthousiasmante de ce que la deuxième décennie qui s’ouvre demain peut et doit obtenir. Voilà la tâche que je propose à tous ceux qui m’écoutent. Qu’ils prennent appui sur les auteurs courageux qui se sont exprimés ces derniers mois, sur Susan George et son beau livre Leurs crises, nos solutions, sur Edgar Morin et son dernier tome L’Ethique, sur Claude Alphandéry et ses propositions pour une économie sociale et solidaire. Avec eux, nous savons ce qu’il est possible d’obtenir.

N’attendons pas. Résistons à un président dont les vœux ne sont plus crédibles.

Vivent les citoyens et les citoyennes qui savent résister !

Manifeste pour la métamorphose du monde

http://www.paskua.net/Projet de civilisation

Le philosophe Edgar Morin, le politologue Pierre Monod et l’artiste Paskua lancent un « Manifeste pour la métamorphose du monde ».
Ils y proposent sept réformes fondatrices : réformes politiques, économiques, sociales, de la pensée, de l’éducation, des modes de vie et de la morale. Les trois auteurs préfèrent s’adresser aux artistes du monde entier qu’aux dirigeants du G20. « Il y a des raisons d’espérer », écrivent-ils. « Les grands mouvements de transformation commencent toujours de façon marginale, déviante, modeste, voire invisible. (…) Aujourd’hui l’alter mondialisme devient un terme à prendre à la lettre : l’aspiration à un autre monde. Elle se manifeste par des myriades de pensées, d’initiatives, d’actions multiples dispersées dans la société civile et qui sont ignorées par les structures politiques et administratives sclérosées. »

 

Chers amis,
 
 
 
Permettez nous de vous saluer et de vous féliciter pour votre initiative de former le groupe « Métamorphose ». Nous ne nous étonnons pas que les premiers à s’engager dans ce combat pour le futur soient des artistes. Ils ressentent plus profondément et plus vite que les autres la souffrance et les espérances du monde, leurs œuvres libèrent des forces génératrices – créatives. Nous vous invitons à mettre vos talents au service du vaste mouvement pour la métamorphose du monde dont vous serez les pionniers. L’œuvre singulière de notre ami Paskua en incarne l’avant-garde.
 
Vous êtes témoins et acteurs de la crise du monde qui affecte toutes les sphères. Une analyse systémique montre  qu’elle est le résultat de  l’enchevêtrement de multiples composants, des relations et rétroactions innombrables qui se tissent entre des processus extrêmement divers ayant pour sièges les systèmes économiques, sociaux, démographiques, politiques, idéologiques, religieux, l’éthique, la pensée, le mode de vie, l’écosystème, tous en crise.
Le vaisseau spatial terre n’a pas de pilote. Ses quatre moteurs, la science, la technique, l’économie, le profit, sont, chacun incontrôlé. En l’absence d’une gouvernance mondiale, le vaisseau va vers la catastrophe. C’est l’hypothèse la plus probable.
L’improbable c’est la capacité d’une guidance en temps utile pour suivre un autre itinéraire permettant de traiter les problèmes vitaux pour l’humanité, en premier lieu la dégradation de la biosphère sans oublier les menaces nucléaires qui ne sont pas disparues.
Il faudrait une métamorphose, qui dans l’état de conscience actuelle est une hypothèse improbable, quoique non nulle. Mais qu’est, au fait, une métamorphose ? Sinon le changement d’une forme en une autre, et, en biologie, une transformation importante du corps et du mode vie au cours du développement de certains animaux comme les batraciens et certains insectes. Ainsi on parle des métamorphoses du papillon ou des grenouilles. Ici l’auto-destruction est en même temps auto-construction, une identité maintenue  dans l’altérité.
Plus généralement la naissance de la vie est une métamorphose d’une organisation chimico-physique. Les sociétés historiques le sont devenues à partir d’un agrégat de sociétés archaïques. Vie et société sont le produit de métamorphoses. Elles sont en danger. L’histoire c’est aussi l’issue tragique du développement d’une capacité à détruire l’humanité. Il y a donc la nécessité vitale d’une meta-histoire. Il n’a pas de fin de l’histoire, contrairement à la thèse de Fukuyama qui avait tiré du triomphe du capitalisme la conclusion de sa pérennité. Les capacités créatrices ne sont pas épuisées. Une autre histoire est possible.
 
Il y a des raisons d’espérer.
 
L’Homme Générique  de Marx exprime ses vertus génératrices et créatrices inhérentes à l’humanité. Il y a toujours en lui  ces capacités. On peut user de la métaphore des cellules souches dormantes dans l’organisme adulte et que la biologie moderne  a révélées. De même, il y a dans les sociétés normalisées, stabilisées, rigidifiées, des forces génératrices-créatrices qui se manifestent. : « International art movement for the metamorphosis of the world » en est la preuve.
 
La crise financière et économique pousse actuellement nombre de dirigeants et d’économistes réveillés de leur torpeur à « réformer le capitalisme ». C’est une nécessité que certains considèrent encore comme une contrainte conjoncturelle. Mais il s’agit d’une crise systémique, beaucoup plus large et profonde, la crise planétaire multidimensionnelle. Et avec elle est concerné l’ensemble des peuples. C’est dans leur sein que vont s’éveiller des forces créatrices et une volonté transformatrice. Si une hirondelle ne fait pas le printemps, des signes forts sont apparus.
Ainsi, de Seattle à Porto Alegre s’est manifestée une volonté de répondre à la mondialisation techno-économique par le développement d’autres formes de mondialisation, allant vers l’élaboration d’une véritable « politique de l’humanité », qui devrait dépasser l’idée de développement.
Nul ne peut faire l’impasse sur l’aspiration multimillénaire de l’humanité à l’harmonie, qu’elle prenne la forme du paradis, des utopies, des idéologies libertaire, socialiste, communiste, puis des révoltes juvéniles des années 60 (Peace-Love). Cette aspiration n’a pas disparu. Elle se manifeste par des myriades de pensées, d’initiatives, d’actions multiples dispersées dans la société civile et qui sont ignorées par les structures politiques et administratives sclérosées.
Les grands mouvements de transformation commencent toujours de façon marginale, déviante, modeste, voire invisible. Il en a été ainsi des religions, de Bouddha, Jésus, Mahomet, du capitalisme, de la science moderne, du socialisme. Aujourd’hui l’alter-mondisme devient un terme à prendre à la lettre : l’aspiration à un autre monde.
Des centaines de propositions ont vu le jour, cela ne suffit pas à en faire un projet sociétal cohérent, alternatif, réaliste et visionnaire. C’est ce « supplément d’âme » que nous proposons avec les « 7 réformes fondatrices » d’une « Voie nouvelle ».
À cette fin, 7 orientations principales sont proposées : la réforme politique, politique de l’humanité et de civilisation ; réformes économiques ; réformes sociales ; réforme de la pensée ; réforme de l’éducation ; réforme de vie ; réforme morale.
 
1. La réforme politique :  politique de l’humanité et de civilisation
 
La voie en a été tracée par des travaux successifs pour régénérer la pensée politique.
Il y a plus de 40 ans Edgar Morin constatait la crise de la politique à tous les échelons. La politique en miettes trahissait la difficulté, l’échec dans la gestation d’une politique de tout l’être humain, ou anthropolitique.  C’est ce dernier concept majeur qui sera développé et enrichi dans des œuvres successives.
Aujourd’hui, avec la mondialisation, la crise politique est à la fois plus profonde et généralisée, elle touche tous les niveaux et conduit à veiller à penser en permanence et simultanément planétaire, continental, national et local.
 
La politique de l’humanité est planétaire et « la terre-patrie » est l’héritière concrète des internationalismes, encore en germe au sein de l’alter-mondialisme.
 
Il s’agit de sauvegarder indissolublement l’unité et la diversité humaine. Le trésor de l’unité humaine est la diversité, le trésor de la diversité est l’unité. Il s’ensuit la nécessité d’institutions planétaires pour la sauvegarde de l’humanité, compétentes pour traiter les problèmes vitaux et mortels de la biosphère, de l’économie, des inégalités sociales, de l’infériorité du statut de la femme, des armes de destruction massive.
Dans le monde global, le développement d’une conscience planétaire est la dimension du défi, et est inséparable de celle du destin commun de l’humanité. Cette conscience entière, encore embryonnaire, sera la condition de la réforme de l’ONU, instance d’une société-monde dotée d’un système juridique, d’une gouvernance, d’un horizon de démocratisation, de solidarité, de fraternité. À son tour l’institution rétroagira positivement sur le développement de la conscience planétaire.
 
C’est aussi à l’échelle globale qu’il convient de revenir sur l’idée de développement qui est devenu le leitmotiv de tous les discours politiques. Il faut dépasser cette notion ou développer l’idée elle-même.
 
Sa carence tient à son noyau exclusif technico-économique fondé sur le seul calcul.  Le développement technico-économique est conçu comme la locomotive qui doit forcément entraîner démocratie et vie meilleure. La réalité est plus ambivalente. C’est aussi la destruction des solidarités traditionnelles, l’exacerbation des égoïsmes, et, finalement, l’ignorance des contextes humains et culturels. En effet, le développement tel qu’il est pratiqué s’applique de façon indifférenciée à des sociétés et cultures très diverses, sans tenir compte de leurs singularités, de leurs savoirs, savoir-faire, arts de vivre, y compris chez les peuples que l’on réduit à une vision analphabétisme alors qu’on en ignore les richesses de leurs cultures orales traditionnelles.
 
Le développement repensé doit respecter les cultures et intégrer ce qu’il y a de valable dans l’idée actuelle de développement, mais pour le concevoir dans les contextes singuliers de chaque culture ou nation.
La politique de réforme de la civilisation concerne toutes les parties du monde occidentalisé. Elle s’exercerait contre les effets négatifs croissants du « développement » de notre civilisation occidentale, viserait à restaurer les solidarités, re-humaniser  les villes, revitaliser les campagnes. Elle renverserait l’hégémonie du quantitatif au profit de celle du qualitatif, de la qualité de la vie, « moins mais mieux », contribuerait à la réforme de vie.
Elle reconsidérerait nécessairement la notion de croissance, dépassant l’alternative croissance/décroissance, elle prendrait en compte ce qui doit croître ou décroître, ce qui doit demeurer stationnaire, au terme d’une réflexion plus complexe que la croissance à tout prix.
Une telle réforme, de portée planétaire pourrait et devrait être entreprise à l’échelle d’une nation, exemple pour son extension à l’échelle continentale. L’Union Européenne et l’Amérique Latine paraissent plus mûres pour s’engager dans cette nouvelle voie.
 
2. Les réformes économiques
 
La débâcle financière, la récession économique, les plans de sauvetage du crédit, condition permissive du capitalisme, la protection par l’Etat d’industries entières comme l’automobile, la relance de dépenses d’infrastructure, conduisent les dirigeants d’un monde désormais pleinement capitaliste à essayer de le remettre sous contrôle, à placer « un pilote dans l’avion ». Simultanément à notre réunion et cet appel,  le G20 se réunit. Nous verrons ce qu’il en sort. Nous verrons s’il s’agit d’un jeu à somme nulle, chacun  protégeant son économie et se gardant que les partenaires en bénéficient.
Les victimes de la crise ne sont pas les banquiers, ni les riches, mais les gens pauvres des pays riches et les pauvres des pays pauvres. La récession crée du chômage, mais elle est aussi prétexte à licenciements pour, dans le cadre d’une compétition féroce, réduire les dépenses salariales afin d’assurer les profits. Les dirigeants du monde ne sont pas frappés subitement par la grâce de la nuit française du 4 août 1789 et l’abolition des privilèges, la plupart d’entre eux en sont les défenseurs. Il faut donc, en plus de la contrainte du sauvetage du système, la poussée des forces sociales dispersées dans le monde, pour donner un sens aux mesures et ouvrir une nouvelle voie, établir une institution permanente, sorte de  conseil de la sécurité économique, chargé des régulations de l’économie planétaire et du contrôle des spéculations financières.
La sortie du modèle énergétique actuel est le grand chantier du siècle. Il n’est plus durable, non seulement en raison de l’épuisement, un jour ou l’autre, des ressources pétrolières, mais de la détérioration de l’environnement, du changement climatique dont il est vraisemblablement  une des causes.  On ne sous-estime pas le mouvement de recherche et développement d’amélioration des rendements énergétiques et des énergies renouvelables, mais le principal tient à la réforme du modèle de développement et à celle du mode de vie.
Il faudra faire face aussi à un autre défi mondial : nourrir l’humanité. Bien que le boom démographique se soit atténué, il n’en demeurera pas moins que dans 50 ans il y aura -sauf pandémie mondiale- 9 milliards d’êtres à nourrir. Les superficies cultivables n’étant pas extensibles, il faudra augmenter les rendements des terres. Comment ? Par l’utilisation massive des engrais et pesticides, dont on mesure les dégâts dans les pays qui ont industrialisé leur agriculture ? L’irrigation, qui consomme la plus grande part de l’eau, qui, par ailleurs, devient une ressource rare ? Par la modification génétique des organismes, avec les interrogations redoutables pour l’environnement et la mise en tutelle des paysans par les monopoles ?
Politiques de l’énergie et de la faim peuvent être en opposition. Celle des biocarburants à partir de produits agricoles signifie que la priorité est donnée, implicitement, au modèle de consommation actuel de l’énergie, et que le reste compte moins.
Il faudra que la communauté internationale fasse des choix clairs.
 
Quel autre modèle est envisageable ?
 
D’abord par un New Deal de grands programmes collectifs à l’échelle de l’humanité. Ces grands programmes mondiaux devraient être complétés par des programmes continentaux et nationaux
Le dégagement de la tyrannie des marchés internationaux requiert localement l’essor d’une économie plurielle. Des initiatives sont en cours, par exemple la création et l’extension des mutuelles, des coopératives de production et de distribution, les coopératives de femmes en Afrique et en Asie, le commerce de proximité de l’alimentation, le commerce équitable, des entreprises citoyennes, l’agriculture fermière et biologique, le micro-crédit, voire des monnaies locales. Toutes ces actions, au raz du sol, nées dans le système et à cause de lui, sont autant de chrysalides de la métamorphose
 
3. Réformes sociales
 
Le monde crie d’inégalités et d’injustices. Les idéaux libertaires, socialistes, communistes, ont historiquement combattu celles-ci. De nouveau l’internationalisme, mais planétaire cette fois, est à l’ordre du jour. La pauvreté continue à frapper une grande partie de la population du globe, alors que jamais les disponibilités scientifiques, techniques n’ont été aussi grandes. Les inégalités s’expriment grossièrement par les inégalités du PIB entre nations et par personne.
Le rêve ancien de l’utopie égalitaire, par exemple, un revenu universel d’existence, reste une visée qui n’est pas celle des institutions internationales actuelles. Les différenciations ont grandi avec la mondialisation. Le Tiers-Monde  des années 60 a volé en éclats. L’économie pétrolière a donné une rente de situation aux pays du Golfe, qui ont fait appel à des migrants, corvéables et rejetables. La Chine, virée au capitalisme sauvage, réalise l’accumulation primitive sur le dos des masses paysannes. Sa percée industrielle pour les biens manufacturés, si elle permet, heureusement, des progrès du niveau de vie interne, a pour contre partie la suppression d’emplois ailleurs et une pression sur les salaires des pays développés. Le problème est devenu la répartition du profit à l’échelle mondiale. Comment permettre la progression du niveau de vie dans les pvd sans altérer celui des pays développés et résorber les inégalités partout ? Comment faire converger des forces sociales défendant leurs revendications nationales dans un ensemble plus vaste dominé par les firmes multinationales ?
Nous pourrions en Europe fournir de premières réponses. L’harmonisation salariale « vers le haut » est le combat à venir, car il est clair que le capital tentera de faire supporter le poids de la crise à ses salariés. L’harmonisation de la protection sociale, et celle de la fiscalité, sont d’autres chantiers.
Qu’en est-il aussi de la retraite des personnes âgées. Fort heureusement l’espérance de vie a augmenté suite aux progrès de la médecine et de l’hygiène. Mais cette prolongation est très inégale entre, par exemple Haïti et le Japon, et en France entre cadres supérieurs et ouvriers. La conséquence de l’allongement de la vie c’est le vieillissement de la population, et avec elle, partout, la difficulté du financement des retraites et de la protection sociale. Vaste question qui ne peut-être reportée en attendant l’hypothétique retour de la croissance et qui met à l’épreuve la solidarité intergénérationnelle. Des normes mondiales, là encore, seraient en phase avec le problème sociétal.
 
Les réformes économiques et sociales sont en relation récursive. Les choix dans la division internationale du travail déterminent les choix sociaux et réciproquement. Ils doivent être traités de pair en anticipant leurs conséquences, y compris leurs impacts géopolitiques.
 
4. Réforme de la pensée.
 
Il est difficile de penser le présent de la crise planétaire et ses perspectives. D’autant que la vitesse des transformations et la mondialisation qui agissent sur toutes les sphères brouillent les représentations. La complexité de la situation donne le vertige et conduit la plupart d’entre nous à un sentiment d’effroi et d’impuissance qui amènent à renoncer à sa compréhension et à l’action.
La compréhension du monde  est impossible avec le morcellement actuel de la pensée. L’enfermement disciplinaire rend inapte à percevoir et concevoir les problèmes fondamentaux et globaux, d’où la nécessité d’une pensée complexe qui puisse relier les connaissances, les parties au tout, le tout aux parties, et qui puisse concevoir la relation du global au local et du local au global. Nos modes de pensée doivent intégrer un va-et-vient constant entre ces niveaux.
Pour dominer la complexité du monde, le système de pensée doit être complexe.
Si nos esprits restent dominés par une façon mutilée, incapable de saisir les réalités dans leur complexité et dans leur globalité, si la pensée philosophique reste enfermée dans des jeux de dentelle, alors nous allons vers des catastrophes. Seule une pensée apte à saisir la complexité non seulement de nos vies, destins, de la relation individu-société-espèce, mais aussi celle de l’ère planétaire, peut opérer le diagnostic  de la course de la planète vers l’abîme, et définir les orientations qui permettraient de donner un fil directeur aux réformes primordiales.
En bref, seule une pensée complexe peut nous armer pour préparer la métamorphose globale, sociale, individuelle et anthropologique.
 
5. Réforme de l’éducation
 
Elle est peut-être la condition permissive de tout le reste.
 
L’éducation forme un guide d’existence, individuel et collectif, un modèle qui se transmet entre générations. C’est un système de puissance lourde, à inertie et temps long. C’est pourquoi elle est au cœur de l’évolution des sociétés.
La transmission de connaissances ne met pas à l’abri des erreurs et illusions qui parasitent l’esprit humain. Il s’agit d’armer chaque esprit dans le combat vital pour la lucidité. Il est donc nécessaire d’introduire et de développer dans l’enseignement l’étude des caractères cérébraux, mentaux, culturels, des processus et modalités des connaissances, des dispositions tant psychiques que culturelles. Cette remarque préalable soulève le problème de l’adéquation de l’éducation actuelle et de son contenant.
Les principes d’une connaissance pertinente  sont les suivants : promouvoir une connaissance capable de saisir les problèmes globaux et fondamentaux pour y inscrire les connaissances partielles et locales ; enseigner la condition humaine ; expliquer l’identité terrienne ; éveiller à la compréhension de l’autre. Partant de ceux-ci il faut bâtir de nouveaux curricula.
 L'enseignement doit contribuer, non seulement à une prise de conscience de la trinité individu-espèce-société, et ce qu’elle implique comme comportement vis-à-vis des autres et de la nature, avec notre Terre-Patrie, mais aussi permettre que cette conscience se traduise en une volonté de réaliser la citoyenneté terrienne.
 
6. La réforme de vie
 
C’est le problème concret sur lequel devraient converger toutes les autres réformes.
 
Nos vies sont dégradées et polluées par l’état monstrueux des relations entre les humains, individus, peuples, par l’incompréhension généralisée d’autrui, par le prosaïsme de l’existence consacrée aux taches obligatoires que ne donnent pas de satisfaction, et qui déferlent à présent dans le monde entier, par opposition à la poésie de l’existence qui est congénitale à l’amour, l’amitié, la communion, le jeu.
La recherche d’un art de vivre est un problème très ancien abordé par les traditions de sagesse des différentes civilisations et en occident par la philosophie grecque. La réforme de vie vise à régénérer  l'art de vivre en art de vivre poétiquement. Elle se présente de manière particulière dans notre civilisation occidentale caractérisée par l'industrialisation, l'urbanisation, la recherche du profit, la suprématie donnée au quantitatif… Civilisation qui régit aujourd’hui sur la planète apportant non seulement ses indéniables vertus mais aussi ses moins indéniables vices et dégradations qui se sont révélées dans le monde occidental d'abord et qui déferlent à présent dans le monde entier.
L’homme vit aujourd’hui dans une « Technosphère ». Et il en fait partie intégrante. Malgré l’essor récent des biotechnologies, c’est la civilisation mécanique qui domine depuis la révolution industrielle du 20 e siècle, et dont la robotisation constitue le point dominant. Le chronomètre est le maître, et, avec lui, les cadences de travail, la réduction des temps alloués et le stress, les flux tendus dans l’entreprise, contraintes de la compétitivité et du profit à court terme. Les nouvelles technologies de l’information, potentiellement libératoires de la communication personnelle, deviennent une tyrannie avec le téléphone portable, la perte de liberté qui s’ensuit quand tout individu peut-être suivi voire traqué n’importe où.  Ainsi, la combinaison  de l’évolution de la civilisation industrielle sous l’emprise des nouvelles technologies, des nouvelles conditions du  travail et du profit, provoque une mutation par rapport au temps, l’urgence se transforme en instantanéité. Le culte de l’urgence conduit à une société malade du temps, et qui perd le temps de vivre. Elle se défend en  revendiquant du temps libre.
La société en devient consciente et réagit avec les moyens dont elle dispose. L’aspiration à « une vraie vie » se manifeste sous la forme d’antidotes au mal-être physique, moral et spirituel par le recours aux psychiatres, psychanalystes, aux psychotropes, addictions et drogues diverses. Elle se tourne aussi vers la religion, l’occultisme, pour satisfaire ses besoins spirituels étouffés dans une civilisation vouée aux besoins matériels, à l’efficacité et à la puissance.
 
 La réforme de vie doit nous conduire à vivre les qualités de la vie, à retrouver un sens esthétique, à travers l'art bien sûr mais également dans la relation à la nature, dans la relation au corps, et à revoir nos relations les uns aux autres, à nous inscrire dans des communautés sans perdre notre autonomie. C'est le thème de la convivialité évoqué par Illich dans les années 70. Il existe aujourd'hui, un peu partout, des germes de cette réforme. Ils apparaissent à travers l’aspiration  à une autre vie, le renoncement à une vie lucrative pour une vie d’épanouissement, les choix de vie visant à mieux vivre avec soi-même et autrui, ainsi que dans une recherche d’accord avec soi-même et le monde. Cette aspiration à vivre "autrement" se manifeste de façons multiples et l'on assiste à des recherches tâtonnantes, un peu partout recherche de la poésie de la vie, amours, fêtes, copains, raves parties. Si on considère ensemble ces éléments qui, séparément, semblent insignifiants, il est possible de montrer que la réforme de vie est inscrite dans les possibilités de notre civilisation. Le dénominateur commun en est : la qualité prime sur la quantité, le besoin d’autonomie est lié aux besoins de communauté, la poésie de l’amour est notre vérité suprême.
La prise de conscience que « la réforme de la vie » est une des aspirations fondamentales dans nos sociétés est un levier qui peut puissamment nous aider à  ouvrir la Voie.
 
7 La réforme morale
 
Barbarie de nos vies ! Nous ne sommes pas intérieurement civilisés. La possessivité, la jalousie, l’incompréhension, le mépris, la haine, l’aveuglement sur soi-même et sur autrui sont notre quotidien. Que d’enfers domestiques sont les microcosmes de l’enfer plus vaste des relations humaines.
Nous retombons là sur une préoccupation très ancienne puisque les principes moraux sont présents tant dans les grandes religions universalistes que dans la morale laïque. Mais les religions qui ont prôné l’amour du prochain ont déchaîné des haines épouvantables, et rien n’a été plus cruel que  ces religions d’amour.
Il semble donc évident que la morale mérite d’être repensée  et qu’une  réforme  doit l’inscrire dans le vif du sujet. La réforme morale nécessite, d’abord,  l’intégration, dans sa propre conscience et sa propre personnalité, d’un principe d’auto-examen permanent, car, sans le savoir, nous nous mentons à nous-mêmes, nous nous dupons sans cesse.
Si on définit le sujet humain comme un être vivant capable de dire « je », autrement dit d’occuper une position qui le met au centre  de son monde, il s’avère que chacun de nous porte en lui un principe d’exclusion (personne ne peut dire «je » à ma place). Ce principe agit comme un logiciel d’auto-affirmation égocentrique, qui donne priorité à soi sur toute autre personne ou considération  et favorise  les égoïsmes. Dans le même temps, le sujet porte en lui un principe d’inclusion qui nous donne la possibilité de nous inclure dans une relation avec autrui, avec les « nôtres » (famille, amis, patrie), et qui apparaît dès la naissance où l’enfant ressent un besoin vital d’attachement. Ce principe est un quasi logiciel  d’intégration dans un nous, et il subordonne le sujet, parfois jusqu’au sacrifice de sa vie. L’être humain est caractérisé par ce double principe, un quasi  double logiciel : l’un pousse à l’égocentrisme, à sacrifier les autres à soi ; l’autre pousse à l’altruisme, à l’amitié, à l’amour... Tout, dans notre civilisation, tend à favoriser le logiciel égocentrique. Le logiciel altruiste et solidaire  est partout présent, inhibé et dormant, et il peut se réveiller.  C’est donc ce logiciel  qui doit être développé.
Il faut donc concevoir également une éthique à trois directions, en vertu de la trinité humaine : Individu-société-espèce, les trois en interrelations permanentes.
Dans ce sens, l'éthique individu-espèce nécessite un contrôle mutuel de la société par l'individu et de l'individu par la société, c'est-à-dire la démocratie; et au xxie siècle la solidarité terrestre.
L'éthique doit se former dans les esprits à partir de la conscience que l'humain est à la fois individu, partie d'une société, partie d'une espèce. Nous portons en chacun de nous cette triple réalité. Aussi, tout développement vraiment humain doit-il comporter le développement conjoint des autonomies individuelles, des participations communautaires et de la conscience d'appartenir à l'espèce humaine.
À partir de cela s'esquissent les deux grandes finalités éthico-politiques du nouveau millénaire : établir une relation de contrôle mutuel entre la société et les individus par la démocratie, accomplir l'Humanité comme communauté planétaire.
 
En conclusion : limites et possibilités
 
Les réformes sont interdépendantes. Les réformes morale, de la pensée, de l’éducation, de civilisation, de la politique, celle de la réforme de vie s’entr’appellent les unes les autres. Par là même leurs développements créeraient une synergie, une dynamique nouvelle qui serait plus que leur somme.
Ceci est une énorme potentialité, mais nous devons aussi être conscients de leur limite.  Homo est  non seulement sapiens, faber, economicus, mais aussi demens mythologicus, ludens…   On ne pourra jamais éliminer la capacité délirante, on ne pourra jamais rationaliser l’existence (ce qui serait au demeurant, la normaliser, la standardiser, la mécaniser…)  On ne pourra jamais réaliser l’utopie de l’harmonie permanente, du bonheur assuré.
Ce qu’on peut espérer  c’est non plus le meilleur des mondes, mais un monde meilleur.
Revenons au point de départ : nous allons vers l’abîme. Mais il y a des milliards de chrysalides végétales, animales, humaines qui sont en métamorphose. Ce sont des forces immenses potentielles mais conditionnées à leur environnement. Concernant l’humanité des forces, encore virtuelles pour l’essentiel, doivent se mobiliser. L’abîme comme la métamorphose ne sont pas fatals.
La Voie des sept réformes proposée ici nous semble la seule susceptible de  régénérer assez le monde pour faire advenir la métamorphose, pour un monde meilleur.
En faire une réalité suppose la mobilisation de tous ceux qui y aspirent, en un véritable
 
« Mouvement pour la Métamorphose du Monde ».
Edgar Morin, philosophe, sociologue
Pierre F. Gonod, prospectiviste, politologue
Paskua, artiste plasticien
 Voir Edgar Morin « Introduction à une politique de l’homme » Seuil 1965
« Pour une politique de civilisation » Arléa 2002 ; « Terre-patrie » Seuil 1993
 le site de Pierre Gonod http://www.prospective-projet-politique.eu/ppp.php
 la page Wikipedia sur Edgar Morin  http://fr.wikipedia.org/wiki/Edgar_Morin
 la page Wikipedia sur Paskua http://fr.wikipedia.org/wiki/Paskua

 

Paskua, artiste, à l’origine de l’« International Art Movement for the Metamorphosis of the World »

Quand l’humanité joue son avenir

Quand l’humanité joue son avenir

« La maison brûle mais nous regardons ailleurs ». La phrase qui ouvrait le discours du Président de la République française lors du « sommet de la terre » à Johannesburg reste toujours dramatiquement juste, y compris pour son propre gouvernement. Les signaux d’alerte qui montrent que l’humanité est à l’un des plus décisifs moments de sa jeune histoire ne cessent de s’allumer mais nous continuons à gérer nos petites affaires, à défendre nos petits intérêts, à mijoter nos petites haines, comme si nous avions l’éternité devant nous. Il nous faut, sur la plupart des grands défis où l’humanité joue son avenir, adopter désormais la méthode du pacte de Genève dont les deux camps de la paix palestiniens et israéliens viennent démontrer la possibilité et l’utilité. Au lieu d’une politique de petits pas à partir de la situation existante, il faut partir du problème et des éléments de sa solution. C’est un processus analogue alors au sevrage et à la cure de désintoxication dont on sait qu’il est infiniment plus efficace que la simple réduction dans la prise de drogue, de tabac ou d’alcool. Mais la drogue cette fois ci c’est celle de l’argent, de l’avoir et du pouvoir.

Il faudrait, pour ne prendre que le seul exemple du défi écologique, organiser un conclave de chefs d’état, leur projeter l’exposition Climax (actuellement à la Villette) et ne les laisser sortir qu’une fois adopté un plan mondial pour réduire drastiquement nos émissions de gaz carbonique allant bien au delà du protocole de Kyoto. Si nous n’avons plus la possibilité, du fait de nos aveuglements antérieurs, d’empêcher un réchauffement de l’ordre de 2° d’ici la fin du siècle, il est de notre responsabilité d’éviter qu’il avoisine ou dépasse les 6° ce qui constituerait un bouleversement aux conséquences incalculables dans tous les domaines de la vie humaine. Le changement radical de nos modes de production, de consommation et de vie n’est plus un sujet de colloque mais une nécessité vitale pour cet homo si peu sapiens qu’il a réussi, en deux siècles de productivisme forcené, à épuiser des ressources écologiques qui ont pris des millions d’années à se former et à dérégler des écosystèmes pourtant vitaux pour sa survie. Comme le note justement Jean Pierre Dupuy dans son livre « Pour un catastrophisme éclairé1 » notre problème , s’agissant des catastrophes, c’est que nous savons qu’elles se produiront si nous continuons cette course de vitesse insensée, mais que nous n’y croyons pas. Comme nous réduisons le principe de précaution à un simple risque statistique potentiel, nous avons toujours plus urgent, plus profitable à faire que de mobiliser nos énergies pour prévenir ces risques. Or ceux ci non seulement s’accumulent mais font système car les défis sanitaires, sociaux, alimentaires, pour ne prendre que les plus criants sont, si on les regarde lucidement, de même nature que les défis écologiques.

C’est l’objet de « Dialogues en humanité2 » que de sonner le tocsin tout en montrant que l’humanité, peut, tout en assurant sa survie, franchir un saut qualitatif décisif dans son histoire et réussir, dans l’ordre de l’humanisation, ce que la vie a su inventer dans l’ordre de l’hominisation. Car il s’en est fallu de peu que le fragile rameau hominien des mammifères ne disparaisse. S’il a pu, malgré sa vulnérabilité, poursuivre sa route, c’est du fait de l’émergence de la conscience et de sa capacité créatrice et adaptatrice inédite. Mais c’est aussi cette conscience réduite à une rationalité instrumentale devenue destructrice qui est à la source des pages les plus noires de l’histoire humaine qui culminèrent dans la solution finale, ce génocide construit comme une entreprise industrielle efficace. C’est donc dans son rapport à elle même, dans sa vigilance à éviter les dérèglements de sa conscience, dans sa lutte contre sa propre barbarie intérieure que l’humanité joue son avenir.

D’où viennent les grands maux de l’humanité ?

L’une des leçons les plus claires des études internationales sur les grands risques de l’avenir est en effet la suivante : la plupart des grands maux qu’une logique de développement durable cherche à combattre : pauvreté, faim, non accès à l’eau potable, soins insuffisants ou inexistants, dérèglements écologiques etc. ne sont pas dus à des raretés physiques, techniques ou monétaires. Selon le PNUD les dépenses de publicité annuelles dans le monde sont dix fois supérieures aux sommes qu’il faudrait mobiliser chaque année pour éradiquer la plupart de ces fléaux.

Les comparaisons n’ont qu’une valeur d’exemple mais elles n’en illustrent pas moins de façon frappante l’utilisation qui est faite des ressources de la planète . Les chiffres suivants, issus du rapport du Pnud3 , illustrent jusqu’à la caricature le décalage entre ces ressources que l’on ne trouve pas pour traiter le nécessaire mais que l’on sait dégager pour s’occuper du superflu. 6 milliards de dollars pour l’éducation, on ne les trouve pas. Mais les achats de cosmétiques aux USA en représentent déjà 8 milliards. L’accès à l’eau et à l’assainissement pour tous exigerait 9 milliards de dollars (évidemment avec des technologies simples et de la main d’oeuvre locale ; si l’on prend les chiffres des multinationales de l’eau il en faudrait dix fois plus). Mais ces neuf milliards restent inaccessibles tandis que, dans le même temps, les achats de crèmes glacés en Europe en représentent 11 milliards. La satisfaction des besoins nutritionnels et sanitaires de base supposerait, elle, 13 milliards ; l’achats d’aliments d’animaux en Europe et aux USA en représente 17 !
Et si l’on évoque cette fois le superflu dangereux, le décalage tourne à l’obscénité :
consommation de cigarettes en Europe (50 Md$), achat de boissons alcoolisés en Europe (105 Md$), consommation de stupéfiants dans le monde (400 Md$) et, last but not least, dépenses militaires dans le monde (780 Md$) !

La prédiction de Gandhi se trouve ainsi vérifiée : « il y a suffisamment de ressources sur cette planète pour répondre aux besoins de tous mais pas assez pour satisfaire le désir de possession (au sens de la cupidité) de chacun ». C’est dire que c’est plus l’avidité et la dureté des coeurs que la rareté des ressources qui fait problème tant pour cette génération que pour les suivantes. La définition du développement durable en termes de besoins est trop réductrice par rapport à la principale difficulté qui est moins celle de la satisfaction des besoins (entendus comme besoins vitaux) que la propension à satisfaire des désirs de richesse ou de pouvoir, très au delà du nécessaire pour les riches et les puissants, et souvent en deça du seuil vital pour les nouveaux misérables de cette planète.

Or, on peut difficilement nier qu’il existe un lien entre le creusement de ces inégalités mondiales et la question centrale de la sécurité. Nombre d’êtres humains sont potentiellement dans la situation de considérer qu’ils n’ont rien à perdre, au minimum en émigrant illégalement, au pire en tuant ou en se tuant dans des actes de suicides meurtriers à l’encontre des symboles de la puissance et de la richesse. Ils sont une proie facile pour les entreprises terroristes, mafieuses ou sectaires.

En ce sens on ne peut dissocier le développement humain du développement durable et il faut donner à l’objectif de développement humain sa pleine épaisseur éthique et spirituelle. L’humanité est menacée certes, et même menacée gravement et à court terme, de voir son aventure se terminer prématurément mais cette menace est pour l’essentiel due à sa propre inhumanité. S’il est nécessaire de réunir, comme à Rio et à Johannesburg, des « sommets de la terre », s’il est très utile comme l’a déjà fait la ville de Lyon, en partenariat avec la Croix Verte présidée par Michael Gorbatchev, d’organiser des « Dialogues pour la Terre », il est non moins nécessaire d’organiser des « Dialogues en Humanité ». Ces Dialogues visent à construire un processus international permettant de réunir, si possible d’ici la fin de la décennie, et en lien avec les objectifs du Millenium des Nations Unies, ce que nous avons provisoirement appelé un « forum mondial sur la question humaine ».

Un projet « anthropolitique »

Pourquoi parler de « question humaine » alors que nous présentons souvent le fait de replacer « l’homme au centre » comme une réponse à nombre de difficultés sociales, économiques ou politiques ? Et bien justement parce que cette réponse ne va pas de soi. Veut-on replacer au centre du processus de la vie l’espèce qui, de la St Barthelemy a Auschwitz, a inventé le carnage ? On voit bien que l’humanité n’est une avancée qualitative du processus vital que si elle est capable de traiter sa propre inhumanité. Vieille question pour la sagesse. Mais question neuve, si on la traite comme question politique, ce qu’Edgar Morin appelait le projet « anthropolitique ».

Ce projet, Dialogues en humanité propose de le construire autour de sept grands défis, sept rendez vous de l’humanité avec elle même où notre famille humaine risque la régression voire la destruction mais ou elle peut aussi franchir des sauts qualitatifs dans la voie de sa propre humanisation.

  1. le défi de la paix et de la guerre et de la menace croissante des armes de destruction massive ;
  2. la pauvreté et la misère et le cocktail explosif qu’elle peuvent former avec l’humiliation ;
  3. le risque de guerre de civilisation qui constitue l’une des formes de ce cocktail explosif ;
  4. le défi écologique sous toutes ses formes ;
  5. le défi de la révolution du vivant dont le couplage avec la mutation informationnelle en produisant des capacités de maîtrise et de production de la vie inédits peut aussi, s’il est mal utilisé, nous conduire à une forme de « post-humanité ».
    Deux défis transversaux enfin qui constituent les deux faces de cette anthropolitique :
  6. la capacité de l’humanité à traiter sa propre part d’inhumanité et donc
  7. sa capacité d’autogouvernance démocratique.

L'espace planétaire appelle en effet un renversement radical d'une logique de civilisation et de pacification fondée sur la peur de la barbarie extérieure. La plupart des grandes philosophies politiques ont distingué “un état de nature”, où l'homme était renvoyé à la violence et à la guerre, d'un “état civil” où les rapports étaient pacifiés, l'État disposant seul du monopole de la violence légitime, selon l'expression fameuse de Max Weber. La guerre interdite à l'intérieur mais licite à l'extérieur, tel est le fondement des grandes formes politiques que s'est donnée l'humanité de lacité grecque aux États-Nations en passant par les empires. L'étranger, l'infidèle, le barbare ont constitué ainsi les figures de l'adversaire, celui face auquel la communauté se constituait et maintenait son unité.
Nous n'avons pas encore pleinement mesuré à quel point la mondialité et le fait démocratique bouleversent radicalement cette distinction pluri- millénaire. La démocratie en organisant une division à l'intérieur de la cité ou de la nation, fait baisser nécessairement la tension par rapport à l'extérieur. La mondialité, elle, conduit l'humanité à se poser la question de son unité et de sa gouvernance sans que, pour le moment du moins, elle puisse recourir à la facilité d'ennemis extra-humains pour construire sa propre pacification. Depuis 1492 et la découverte de l'Amérique, c'est-à-dire depuis qu'il n'existe plus de terra incognita pour l'humanité, c'est ainsi contre la barbarie intérieure que se joue le destin de la mondialité et c'est en Europe que le déplacement de cet enjeu de civilisation a pris sa dimension la plus tragique. C'est aussi sans doute pourquoi l'Europe, parce qu'elle a su inventer un au-delà à Auschwitz, se doit de montrer qu'il existe une voie planétaire vers le meilleur, elle qui porte dans sa chair la démonstration que l'humanité, quand elle s'enivre de volonté de puissance, peut toucher le fond de l'inhumanité.

Il nous reste peu de temps, probablement à peine un demi siècle pour que notre famille humaine évite la « sortie de route » pour des raisons écologiques, des risques d’autodestruction ou de mutation génétique incontrôlée. Les vieilles conceptions geopolitiques de la rivalité de puissance sont inadaptées à ces défis qui exigent au contraire une formidable capacité d’intelligence collective, la mise en oeuvre de stratégies coopératives et non guerrières, et un changement radical de mode de développement qui place le désir d’humanité au coeur de sa perspective. Comme le notait justement Eric Fromm dans son ouvrage prophétique « Avoir ou Etre » : Pour la première fois dans l’histoire, la survie de l’espèce humaine dépend d’un changement radical du coeur humain. Mais ce changement n’est possible que dans la mesure où interviennent des changements économiques et sociaux capables de donner au coeur humain la chance de changer, le courage et l’envie d’accomplir ce changement.

  Viveret Quand l'humanité joue son avenir (fichier pdf).

Patrick Viveret, magistrat à la Cour des Comptes, auteur de « reconsidérer la Richesse » (ed de l’Aube) est l’un des initiateurs du projet « Dialogues en humanité »


  1. Ed du Seuil, Paris, 2003.
  2. Rencontre internationale qui se déroule à Lyon en prélude au sommet mondial des villes pour l’information.
  3. PNUD - Programme des Nations Unies pour le développement. Rapport mondial sur le développement humain. Ces chiffres légèrement augmentés restent valables cinq ans après.

Sortir d’une vision réductrice de l’activité

Sortir d’une vision réductrice de l’activité

Patrick Viveret [i]

Une grande partie des problèmes écologiques et sociaux auxquels nous nous heurtons vient d’une conception réductrice, voire contre- productive de la notion d’activité. Celle-ci repose sur la vision de la comptabilité nationale construite après la seconde guerre mondiale dans une vision industrialiste de la reconstruction des économies d’après guerre.

Prenons d’abord l’exemple de ce que l’on pourrait nommer l’impensé écologique de nos modèles de représentation et de calcul de la richesse. Dans cette perspective la question écologique ne se pose pas puisque la nature est traitée comme un réservoir de ressources quasi inépuisable et gratuit. Dès lors que l’on définit la valeur économique par sa rareté et son prix un bien écologique abondant et gratuit –fut-il aussi vital que l’air ou l’eau- n’a aucune valeur économique. Paradoxalement c’est lorsqu’il est en voie de destruction - du fait de sa pollution notamment - qu’il va rentrer dans le circuit de la valeur économique. Dans le cas de l’eau c’est la construction d’une usine d’assainissement ou l’exploitation d’une source d’eau minérale qui va être créatrice de valeur économique dès lors que l’eau potable n’est plus directement accessible. Une compagnie multinationale de l’air organisant un marché de l’air pur pour ses clients pourrait bien remplir demain des fonctions analogues si la dégradation de l’air respirable continue de se poursuivre. On voit clairement aujourd’hui les effets contreproductifs de notre modèle de valorisation économique sur des secteurs tels que l’agriculture. Toutes les fonctions écologiques et sociales remplies par les métiers de pays (les paysans) se trouvaient dévalorisées : préservation de la nature, aménagement du territoire, lien social etc. tandis que seule la production agro alimentaire massive sur le modèle industriel se trouvait valorisée. La disparition des haies, la pollution des nappes phréatiques, la désertification des campagnes, le dégagement excessif de gaz à effet de serre et les atteintes majeures à la biodiversité étaient inscrites dans cette approche réductrice de la valeur économique.

Sur le plan social, les conséquences sont tout aussi redoutables en particulier dans les domaines clefs que sont l’éducation, l’emploi, les retraites et le système de protection sociale. Si l’on considère la vie dite active au sens économique et statistique du terme celle-ci ne correspond guère qu’à un peu plus de 10% du temps de vie global[ii]. En sont par exemple exclues les activités domestiques non marchandes, le capital social[iii] considérable que représentent la vie associative bénévole et l’ensemble des échanges de connaissance non marchands. Dans cette vision le financement d’un système de protection sociale qui, par nature, doit couvrir les 100% du temps de vie (et même davantage car l’accompagnement de la naissance est aussi pris en charge) suppose que les 11% de vie active soient « pressurés » à l’extrême avec toutes les conséquences contreproductives en termes de stress et de souffrance au travail que cette pression peut engendrer.

Sur le plan des retraites la contre-productivité est totale. Trois éléments de progrès social manifestes : la prolongation de l’espérance de vie, l’allongement du temps éducatif et la réduction du temps de travail se transforment en deux sources de régression sociale, la réduction des pensions et/ou la mise en cause des droits à la retraite dès lors que les éléments de progrès vont avoir pour effet mécanique de déséquilibrer le rapport entre les prétendus actifs et les prétendus inactifs. Le seul fait par exemple que le report de la moyenne d’entrée dans la vie dite active du fait du nombre croissant de jeunes faisant des études supérieures devient à l’autre bout de la chaîne de vie une source de régression sociale. Et l’on vante par ailleurs le fait que nous soyons entrés dans des économies et des sociétés de la connaissance ! De même on se félicite régulièrement de la vitalité de la vie associative que l’on a dotée d’une charte lors du centenaire de la loi de 1901. Mais les activités bénévoles continuent à être considérées comme improductives et ceux qui s’y adonnent comme inactifs au sens de la comptabilité nationale. C’est évidemment absurde : la contribution sociale apportée par la vie associative non marchande est absolument essentielle et il suffit d’imaginer une grève générale des associations pour comprendre qu’une bonne partie d’un pays moderne se trouverait paralysée. Or le rôle des jeunes retraités dans la vie associative est déterminant. Repousser l’âge de ce temps de libre activité qu’est la retraite (terme de plus en plus inadapté à la situation du 3ème âge), c’est se priver de cette contribution essentielle. D’autant que, circonstance aggravante, on continue de licencier massivement les seniors malgré tous les discours officiels et que l’on est en train de recréer les conditions d’une pauvreté de masse pour nos aînés avec les conséquences sociales et humaines dramatiques que nos sociétés ont déjà connu à l’époque où la plupart des personnes âgées étaient dans un statut d’ »économiquement pauvres ».

Si l’on aborde maintenant les problèmes de l’emploi la vision réductrice de l’activité a pour effet de passer à côté de la question la plus importante qu’est conduit à se poser un être humain. Et cette question ce n’est pas seulement : « qu’est ce que je fais dans la vie ? » mais, plus fondamentalement « qu’est ce que je fais de ma vie ? ». Cette interrogation, au sens le plus fort du terme, nous amène à nous interroger sur la notion d’œuvre et de métier beaucoup plus riche que celle job, de travail ou d’emploi.

Ainsi le mot métier est construit par le compagnonnage à partir de deux mots : le ministère, qui signifie « le service » et le « mystère ». Un métier c’est un ministère mystérieux. Que l’on soit dans le rapport à la nature, dans la transformation de la nature, c’est à dire dans les métiers manuels, ou que l’on soit dans le rapport à autrui dans les métiers relationnels, c’est toujours un accès au mystère de l’univers et de l’altérité qui est en cause. Le mot « métier » est un mot très fort, qui n’a rien à voir avec un mot aussi pauvre que « boulot ». C’est un mot qui renvoie à un autre terme qui a gardé sens encore aujourd’hui, c’est le mot « vocation ».

Quand on parle de vocation, on est bien sur l’axe de projet de vie et c’est le même mot qui est à l’origine de profession avant sa réduction techniciste. Parce qu’aujourd’hui quand on dit qu’on va professionnaliser un milieu, cela signifie tout simplement que l’on va serrer des boulons par ci, standardiser par là, ou encore techniciser. Mais professare, c’est la même racine que prophétie. On ne professe que si l’on est habité par le projet que l’on veut transmettre.

Cette question n’est pas simplement de nature culturelle ou civilisationnelle, elle est de nature économique. Si par exemple on continue à raisonner simplement dans les catégories classiques de job ou d’emploi, nous allons rapidement vers une contradiction insoluble. Pour reprendre l’expression consacrée trois pays le Brésil, l’Inde et la Chine pourraient à eux seuls être à la fois la ferme du monde, le bureau du monde et l’usine du monde. Si notre raisonnement se limite à l’idée que l’emploi est une offre d’entreprises et qu’elle est corrélée au degré d’employabilité, nous irons de plus en plus vers des formes de chômage de masse mondial, avec tous les effets dramatiques que cela peut entraîner. Il y a un moment où il faut prendre le problème par l’autre bout. Celui du métier au sens fort du terme et qui consiste à dire que tout être humain a au moins un métier de base, un métier matriciel dont les autres dépendent. Ce métier matriciel porte un nom : c’est un métier de chargé de projet. Chargé de projet de sa propre vie. Et c’est tout l’intérêt de la société que ce métier soit détecté (rôle de l’éducation) et ensuite exercé dans de bonnes conditions. Parce qu’un être humain qui n’arrive pas à prendre en charge sa propre vie, non seulement se détruit lui-même, mais les dégâts collatéraux de la non prise en charge de son propre projet de vie finissent par coûter très cher à la société.

Le droit au métier est ainsi beaucoup plus fondamental que le droit au travail et correspond mieux à l’objectif historique que s’était fixé le mouvement ouvrier à l’origine : celui de se libérer à terme de la pénibilité du travail et de la dépendance du salariat pour aller vers ce que Hannah Arendt appelait l’œuvre[iv]. Et si l’on veut conserver malgré tout le mot travail au moins faut il reprendre cette distinction chère à André Gorz de travail contraint et de travail choisi car sinon on confond deux réalités contradictoires. D’un côté il y a le trépied positif qui correspond à ce que le syndicalisme place sous le terme de droit au travail. Ce trépied c’est a) l’aspiration de tout être humain à disposer des moyens de mener une vie décente (grâce à un revenu et une protection sociale suffisants) ; b) l’aspiration à être reconnu comme utile et donc à prendre sa place dans la société ; c) la possibilité de se construire soi même (l’estime de soi) en lien avec cette reconnaissance et ces moyens de vivre. Mais il existe un autre trépied qui correspond à l’origine historique et étymologique du travail comme « tripalium », cet outil destiné à empêcher les chevaux de se débattre pendant qu’on les ferre et que l’on pouvait utiliser également comme instrument de torture. Le travail alors c’est un rapport entre la pénibilité, la dépendance et la nécessité. Pour des raisons de survie une personne accepte une activité pénible qui la place en situation de dépendance. Au sens précis du terme une personne condamnée à la mendicité est un travailleur : pour des raisons de survie elle accepte une situation humiliante qui la rend complètement dépendante du bon vouloir d’autrui. On comprend bien que lors qu’on parle de la valeur- travail ce n’est pas du tout la même chose d’évoquer le premier trépied ou le second. C’est la raison pour laquelle je préfère personnellement parler de droit au métier, plutôt que du droit au travail. Le droit de chaque être humain à faire de sa vie une œuvre constitue alors le lien du syndicalisme de demain et des objectifs historiques du mouvement ouvrier d’hier. Un syndicalisme « ouvrier » ne se réduirait pas dans cette perspective à un syndicalisme de salariés. Non seulement il prendrait en charge l’aspiration des salariés à aller vers le travail choisi plutôt que vers le travail contraint, mais il se préoccuperait aussi, en lien avec toutes les forces sociales qui sont déjà sur ce terrain à prendre en charge l’aspiration de tout être humain à s’accomplir dans des projets de vie. Ce syndicalisme là est alors par exemple l’allié naturel de forces qui œuvrent pour ne pas réduire l’éducation à la formation car ex-ducere, conduire au dehors, c’est permettre à un être humain d’accéder à l’autonomie, ou pour reprendre une belle expression de la philosophe Simone Veil : « élever un être humain c’est l’élever à ses propres yeux ». C’est l’allié de toutes les forces qui œuvrent à une émancipation des êtres humains, c’est un acteur qui ne cantonne pas sa perspective à la défense du salariat mais qui situe cette défense et cette humanisation légitime dans une perspective transformatrice et émancipatrice d’ensemble qui s’intéresse à la totalité du temps de vie et pas seulement aux 11% qualifiés de « productifs ». C’est parce que ce syndicalisme là est déjà en marche dans les fait d’ailleurs qu’il est possible d’avoir des syndicats dans des domaines aussi divers que l’éducation, l’habitat, la consommation que des chômeurs ont pu se syndiquer et que l’économie sociale et solidaire à travers ses coopératives, ses mutuelles et ses associatives fait tous les jours la preuve qu’il existe un syndicalisme d’entrepreneurs alternatif au syndicalisme patronal.

[i] Philosophe, conseiller maître honoraire à la Cour des Comptes, auteur de « reconsidérer la Richesse » (éditions de l’Aube)
[ii] 11% si l’on prend une vie de 76 ans exprimée en heures de vie. En fait c’est déjà moins puisque l’entrée dans la vie active est désormais davantage à 24 ans qu’à 20 (cf. Roger Sue les temps sociaux)
[iii] Terme utilisé par Putnam l’un des participants à la commission présidée par Joseph Stiglitz et Amartya Sen.
[iv] Cf. Hannah Arendt : la condition de l’homme moderne.

Sortons Du Mur

L’idée

Depuis le temps que nous disons les uns et les autres dans nos réseaux respectifs que « nous allons dans le mur » si nous continuons dans la voie d’un productivisme insoutenable aggravé par un capitalisme financier de plus en plus autoritaire posons nous la question : et si le mur nous ne l’avions pas déjà percuté ?
Et si donc la question était désormais non pas d’éviter d’y aller mais de commencer à en sortir.

Car après tout que voyons nous si nous regardons un peu le rétroviseur de ces trente cinq dernières années (pour prendre avec 1972 une date qui soit écologiquement significative d’un début de prise de conscience, la conférence de Stockholm, mais cette date est aussi intéressante sur le plan culturel et politique : la suite proche des mouvements internationaux de 68, l’après Breton wood sur le plan économique par exemple) ?
Nous constatons que quantité de situations que nous vivons actuellement régulièrement, parfois au quotidien, auraient paru à l’époque relever du fameux risque de percussion mural :
l’élévation gravissime du CO2 et son cortège de catastrophes naturelles (sécheresses, canicules, inondations, tempêtes etc.), l’expérience de catastrophes technologiques majeures (Seveso, Bhopal, Tchernobyl) en constituent des exemples sur le plan écologique.
Mais le creusement des inégalités sur le plan social, l’explosion du capitalisme financier, la montée de l’intolérance se traduisant par une influence démesurée de courants xénophobes au cœur même de l’Europe auraient paru à l’époque aux courants humanistes, fussent ils de tradition conservatrice, relever du fameux mur à éviter.

Nous sommes en réalité en plein dans le bain de la grenouille que l’on ébouillante progressivement pour éviter qu’elle ne saute de la bassine.
Nous avons déjà fait un long chemin avec l’inacceptable et paradoxalement notre peur du mur à éviter a pour effet de nous rendre aussi impuissants que le lapin face au boa. D’où la nécessité d’un renversement de perspective susceptible, en nous rendant beaucoup plus lucide que nous le sommes habituellement sur notre présent et notre passé proche, de nous ouvrir paradoxalement des voies d’avenir plus lumineuses en repérant dans ce mur dans lequel nous sommes déjà bien entrés quelques brèches à élargir pour mieux en sortir.

Certes, le mur en question se présente davantage comme une série de murailles entrelacées que comme une simple barrière à franchir. Et il est vrai que si nous avons rencontré déjà nombre de murets, percuté des murs plus costauds qui ont déjà beaucoup blessé ou tué il y a toujours un ensemble de remparts plus lourds encore qui, dans le gymkana où l’humanité est engagée, peuvent produire encore beaucoup plus de dégâts voire, dans l’hypothèse de la sixième grande extinction, mettre fin à sa brève aventure dans le cosmos.
Mais si nous restons dans l’analogie de l’enchevêtrement de murailles plutôt que du mur simple nous pouvons dans le même temps où nous repérons les obstacles les plus dangereux encore devant nous nous diriger vers les brèches et tenter d’entraîner vers des paysages plus doux un maximum de compagnons d’infortune.

Le projet SDM ! « Sortons du mur ! » esquissé ici pour provoquer la discussion, l’imagination et l’action se nourrit d’abord de désir dont l’énergie est très supérieure à la peur.

Car il existe aussi des brouillards artificiels que nous prenons pour des remparts et ceux-ci sont parmi les principaux obstacles que nous rencontrons car ils nous bloquent à la racine même de tout processus d’imagination alternative.
Il s’agit en particulier de l’effet de « sidération » que produit le capitalisme contemporain. Sidération car il provoque une panne d’imaginaire telle que même ce qui reste de révolutionnaires professionnels n’ont pour tout programme que de revenir au bon temps des trente glorieuses et de sa croissance pilotée par l’état nation.
Quant aux plus radicaux des écologistes, tels de nouveaux cathares, ils n’ont pour tout message que de prêcher une décroissance peu propice à mobiliser les énergies.

Or quel est le contraire de la sidération.
L’étymologie nous renseigne sur ce point. Face au « sidus » de l’immobilité de la voûte celeste à laquelle croyaient les grecs et les latins, la terre et le monde sublunaire étaient le siège de la vie (et de son corollaire la mort) et du mouvement. « Desidere », racine étymologique du mot désir c’était donc être dans une situation inverse de l’éternelle immobilité : la vie et le mouvement.
Voilà pourquoi, comme nous le disons dans le cadre du processus international « Dialogues en humanité », nous avons besoin de réinventer du désir , un désir d’humanité. Face aux logiques mortifères, de Thanatos nous avons besoin comme le notait déjà Freud en 1930 de retrouver la force de vie de l’Eros. Il nous faut pourrions nous dire construire la SEM, la « stratégie érotique mondiale »

Cet enjeu renouvelé des logiques de vie face aux sidérations mortifères nous permet de traiter le plus difficile : notre propre barbarie intérieure.
Rien n’est plus facile que de se construire un ennemi supposé cause de tous nos maux.
Rien n’est plus difficile que d’organiser le travail d’une communauté sur elle-même afin de progresser dans sa qualité d’humanité.
C’est la raison pour laquelle les effondrements les plus graves viennent de crises intérieures à des collectivités qui sont alors source de désespoir et pas seulement de défaite ou d’échec.
Ce n’est pas la force du capitalisme qui a conduit à l’échec du communisme.

Et pour prendre des exemples français récents sur le plan politique, l’échec d’une candidature de la gauche « antilibérale » aux présidentielles, la crise gravissime (incluant la fraude) au sein d’Attac, l’autodestruction du parti socialiste organisée par ses responsables, l’incapacité des verts à porter une question écologique désormais reconnue comme centrale ont pour point commun d’être des phénomènes intérieurs liés notamment à une incapacité à traiter les enjeux émotionnels en leur sein.

Toute action transformatrice, surtout si elle se veut radicale, doit donc tenter de traiter la difficulté de la question humaine à sa racine et ne pas se contenter de prôner le changement pour les autres.

Sept principes peuvent nous guider dans cette direction :

1 - Articuler principe d’espérance et de responsabilité :

nous avons à juste titre insisté les uns et les autres depuis le livre majeur de Hans Jonas sur le principe de responsabilité. Mais il nous faut aussi retrouver le principe d’espérance bien repris par Edgar Morin à travers trois modalités qui peuvent nous être très utiles dans les temps cahotiques que nous allons de plus en plus traverser : l’improbable, les potentialités créatrices, la métamorphose.

2 - Articuler transformation personnelle et sociale :

tension dynamique du personnel et du mondial et pas seulement du local et du global. Car le plus difficile n’est pas la production économique mais l’organisation d’un vivre ensemble qui fasse sens et réponde à la demande fondamentale de tout être humain : le désir de trouver sa place dans une histoire qui fasse sens. Là où les économistes croyaient que la question préalable à résoudre était celle de la production abondante face à la pénurie nous voyons bien aujourd’hui que l’abondance est porteuse de dépression si les communautés humaines sont sans repères sur leurs projets de vie.

3 - Placer la construction de la joie de vivre au cœur des projets alternatifs :

non seulement pour résister au mal être et à la maltraitance du capitalisme et du productivisme mais aussi pour échapper aux dérives sectaires et non démocratiques de que l’on pourrait appeler le « militantisme sacrificiel ».

4 - Changer notre rapport à la richesse (et à l’argent), au pouvoir, mais aussi à la vie elle-même :

l’art de vivre « à la bonne heure » ; opposer la puissance créatrice et la capacité d’émerveillement (et d’indignation !) à la puissance dominatrice et au cynisme désabusé.

5 - Promouvoir « la haute qualité démocratique » (à l’instar de la haute qualité environnementale » :

construire le conflit comme alternative à la violence, le désaccord fécond comme outil de progression de la discussion dans un débat ; la démocratie étant notamment l’art de transformer des ennemis en partenaires-adversaires ; la pratique des arts martiaux et du « judo de masse » (cf Alinsky) est une école très riche de cette conflictualité non violente.

6 - Repérer les potentialités créatrices :

il ne suffit pas d’affirmer qu’un autre monde est possible ; en fait une autre manière d’être au monde est déjà là et il nous faut apprendre à voir pour à donner à voir et à mettre en réseau toutes les initiatives de ce que l’on appelle souvent l’émergence des « créatifs culturels »; cela permet d’articuler à l’instar de l’expérience du mouvement ouvrier mutualiste et coopératif au 19 ème siècle trois postures complémentaires et non contradictoires : la lutte, la proposition transformatrice (donnant lieu à bataille juridique par exemple) et l’expérimentation sociale (tout ce qui est immédiatement réalisable est entrepris).

7 - Principe de cohérence :

importance de la cohérence de la forme et du fond, et de la capacité à vivre réellement nos valeurs affichées en se souvenant du sens fort du mot valeur : la force de vie !

Premières pistes pour concrétiser cette approche

Repérage des potentialités créatrices

Les premiers réseaux potentiellement concernés

Ces réseaux s’inscrivent dans ce que l’on appelle de plus en plus l’émergence des créatifs culturels (ou des coopérateurs ludiques) dont l’enquête américaine a montré qu’ils représentaient 12 à 25% des plus de quinze ans.

L’enquête française, évoque, elle, les six traits des créatifs culturels représentant 17% des plus de 15 ans : (l’écologie, les valeurs féminines, l’être plutôt que le paraître, l’ouverture multiculturelle, l’implication sociale, l’intérêt pour les enjeux de développement personnel et les questions « spirituelles » ), et les quatre des « altercréatifs » (21%) (les quatre premières caractéristiques)

A titre indicatif et évidemment non exclusif on peut citer plusieurs réseaux directement concernés par ce projet :

Alliance pour la planète, Adels, ACIID, Banyan (réseau en lien avec les forums sociaux mondiaux) , Communication non violente, Collectif richesse, Dialogues en Humanité, 4D, Demain maintenant, Forum de la gauche citoyenne, GRIT-Transversales, Groupe veille Grenelle, Interactions transformation personnelle-transformation sociale, ODP, Association Sol, Terre et Humanisme (P Rahbi), Recit, Vecam, Villes Internet etc.

Du bon usage de la mémoire et du travail théorique

Se nourrir des tentatives antérieures, comprendre leurs réussites et leurs échecs (ex mvt ouvrier, coopératives et mutuelles)
Les apports théoriques (Proudhon, Fourier, part actuelle de Marx) et pluridisciplinaires (cf GRIT)

Les lieux

Parc tête d’or Lyon
Parc Bercy (festival terre Paris)
Main d’œuvre
Maison ouverte
Festival du vent Calvi

Un processus à construire

Mise en réseau des projets identifiés par approche de type « syndication » (pas seulement pour les sites)
Modules communs et repérables SDM par ex dans les différents événements et festivals
Incluant lien intelligence sensible, cohérence forme et fond
Permettant échanges de savoirs et d’expériences
Avancée et capitalisation

Des exemples d’application sur les événements 2008

Rencontre de Recit à Grenoble 4, 5 janvier 2008
Journée décentralisée du forum social mondial 26 janvier 2008
Printemps créatif St Ouen mars 2008
Festival de la terre Paris juin 2008
Dialogues en Humanité Lyon juillet 2008
festival du vent Clavi Toussaint 2008
Bengalore (Inde) novembre 2008
Fez (Maroc) rencontre sur les créatifs culturels (date en cours de fixation)
Berlin (Allemagne) fin juillet 2009

charte et méthodes

Une charte : Il s’agit de mettre en réseau tous ces acteurs en respectant leur diversité et surtout une logique de puissance créatrice et non de pouvoir dominateur: voir projet Celina ;

Un usage commun des NTIC afin de favoriser les synergies d’information, de délibération, de calendrier etc. et d’œuvrer ensemble dans l’esprit « coopérer pour ralentir » (et mieux vivre en sortant des cadences infernales du militantisme !)

Une monnaie commune : le sol en lien avec des systèmes d’échange locaux, des coopératives de temps et des réseaux d’échange de savoirs ;

Des méthodes déjà utilisées : les parcours « produit intérieur doux », les carnets d’étonnement du FSM et de Dialogues en Humanité, la méthode de construction de désaccords féconds (mvts de citoyenneté) les ateliers de TPTS, l’approche « nanoub » (nous allons nous faire du bien !) etc.

Et quantité d’autres idées à débattre et à expérimenter dans la gaieté , l’humour et la tendresse en se souvenant de la phrase de Sénèque : « ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas les faire, mais parce que nous n’osons pas les faire qu’elles sont difficiles ! »

Patrick Viveret

Stéphane Hessel

Introduction de Stéphane Hessel au sommet des migrations

"Des ponts pas des murs". Montreuil, 18 octobre 2008.

La chasse aux enfants - L'effet miroir de l'expulsion des sans-papiers

Cet ouvrage est un signal d'alarme lancé par les philosophes Miguel Benasayag et Angélique del Rey, et des membres du Réseau Éducation sans frontières (RESF), confrontés quotidiennement à la réalité de la traque des sans-papiers et de leurs enfants scolarisés en France.
Il montre que la politique discriminatoire dont ces derniers sont l'objet a des conséquences beaucoup plus profondes qu'il n'y paraît, puisque c'est la société tout entière qui est traumatisée quand elle est amputée de certains de ses membres : les violences faites aux migrants étant des atteintes à ce qu'ils sont et non à ce qu'ils font, elles provoquent de profonds chocs psychologiques. Cela vaut en particulier pour les camarades de classe des "enfants chassés", confrontés à d'insupportables contradictions quand les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité sont bafouées au nom d'une certaine conception de l'ordre et de la tranquillité sociale, quand des enseignants, des responsables d'établissement ou des parents doivent s'opposer ouvertement aux agents de la force publique qui procèdent aux arrestations ou aux expulsions, quand l'autorité scolaire ou parentale doit contredire une autorité censée assurer la sécurité de tous.
Nourri de nombreux témoignages sur les violences de la " chasse aux enfants" et l'engagement de militants de RESF, ce livre montre que cet engagement au nom de la solidarité active, maintenant pénalisée, relève, au-delà de la conscience morale, beaucoup plus fondamentalement de la possibilité réelle de vivre ensemble.

Conférence sur les droits de l'Homme

A l'occasion de la semaine Nations Unies, organisée par l'association EDHEC Nations Unies, le 21 janvier 2009. Etaient invités pour débattre sur ce thème : Pierre Fournel, Délégué Général de la LICRA, et Stéphane Hessel, ambassadeur de France et co-rédacteur de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.

60è anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme

Le 1er décembre, Stéphane Hessel, co-rédacteur de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, était l’invité des Amis de l’Humanité et des Amis de l’hebdomadaire La Vie.
Au cours de la première partie, il nous parle de l'adoption des Droits de l'Homme, puis
dans la seconde partie, il aborde les sujets actuels de l'immigration, de Chefs d'Etat tel que N. Sarkozy, G. Bush,
et enfin, bien sûr, d'Israël et de la Palestine...

Une rencontre historique.

C'est au Palais de Chaillot, à Paris, le 10 décembre 1948, que cinquante-quatre Etats ont adopté la déclaration universelle des droits de l’homme.

Extraits du discours de Stéphane Hessel lors de la célébration du 60è anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, le 11 décembre 2008.

"Créer c'est résister, Résister c'est créer..."

Nous vous présentons le texte de l'appel à la commémoration du 60e anniversaire du Programme du Conseil National de la Résistance adopté dans la clandestinité le 15 mars 1944, lu par les figures historiques de la Résistance.
Vous pouvez voir et entendre Lise London, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Philippe Dechartre, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Georges Séguy, Maurice Voutey.
Nous avons tourné ces images (2004) en réaction au refus de la publication de ce texte par les médias dominants.
Vous pouvez diffuser ce lien sans modération. Rendez-vous sur notre site http://www.alternatives-images.net/ pour faire l'aquisition du double DVD "Résistances".

Soixante ans après la Déclaration,

Stéphane Hessel évoque l’articulation entre un texte aux valeurs toujours intactes et les nouvelles questions posées à la communauté internationale. Le terrorisme et la protection de l’environnement, en particulier, sont deux problématiques qui n’étaient pas abordées dans le texte de 1948. L’idéal, les principes et l’audace des rédacteurs n’en restent pas moins les armes indispensables pour considérer ces nouveaux enjeux. Stéphane Hessel fut un témoin privilégié de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme le 10 décembre 1948. Résistant, déporté, il assiste à New York à partir de 1946 à la genèse de la Déclaration. Alors jeune diplomate, proche du secrétaire général adjoint de l’ONU chargé des droits sociaux et des droits de l’homme Henri Laugier, il revient 60 ans plus tard sur l’ambiance qui présida à l’élaboration d’un texte à la portée considérable.
Entretien : Antonin Guyader, Michel Lefèbvre Réalisation : Karim El Hadj

Vers un pacte civique

Le projet de Pacte Civique tente de fédérer diverses associations ou mouvements qui appellent à des changements de comportements et des orientations politiques nouvelles, avec pour objectif de revitaliser le civisme et la responsabilité citoyenne.

Pourquoi un Pacte civique ?

Au cours de ces dernières années, un ensemble de manifestes ou de pétitions ont été lancés par différents protagonistes et acteurs sociaux en vue de promouvoir des changements de comportements et des orientations politiques nouvelles. Certaines parmi ces initiatives ont obtenu des résultats réels, bien que partiels. En particulier, la démarche suivie pour élaborer un pacte écologique, fondée sur la mobilisation d’une expertise de qualité et de forts relais politiques et médiatiques, a permis de tenir le « Grenelle de l’environnement » avec le concours de la société civile.

Ces démarches ont en commun de mener des actions militantes pour un monde plus juste, plus humain, plus solidaire et plus respectueux de l’environnement. Elles sont originales aux trois titres suivants : elles lient transformation personnelle et transformation sociale ; elles s’adressent de manière non partisane aux instances politiques ; elles expriment des valeurs morales et spirituelles fortes tout en étant soucieuses de réalisations concrètes.

Face aux bouleversements écologiques et économiques en cours, alors même que la question sociale prend de nouvelles formes, que la question éthique et spirituelle du sens individuel et collectif à donner au vivre ensemble prend une importance croissante sans trouver d’expression démocratique satisfaisante, que les institutions politiques patinent face aux défis nouveaux qui leur sont posés, une initiative commune d’associations et mouvements ne doit-elle pas être envisagée pour fédérer des énergies militantes souvent dispersées et pour engager des dynamiques efficaces porteuses d’avenir ?

Alors que notre humanité est confrontée à une série de problèmes, certains inédits par leur ampleur, leur rapidité et leur complexité, il est important d’aider chaque citoyen à chercher et à trouver à la fois des réponses individuelles, en lien avec une transformation personnelle porteuse de confiance et du sens des responsabilités, et des réponses collectives mettant l’homme et sa dignité au centre du débat politique. Il convient aussi d’aider les institutions démocratiques à faire face dans de meilleurs conditions aux défis qui leur sont posés.

A un moment de pertes de repères, de manque de confiance dans l’avenir, de perte de foi dans les forces qui peuvent mobiliser nos sociétés sur des projets porteurs de sens pour une majorité de français, il est fondamental de rassembler les énergies d’hommes et de femmes de conviction rassemblés dans divers mouvements et associations pour proposer une initiative commune promouvant le civisme et la responsabilité citoyenne et appliquant celle-ci de manière concrète sur un certain nombre de terrains choisis.

Quel contenu ?

Cette démarche que l’on pourrait intituler « Pacte civique » (ou Pacte citoyen) - ou une formulation de ce type à trouver en commun - devrait comporter, selon nous, les trois dimensions suivantes :

  • des engagements individuels à modifier nos comportements, à la fois sur des sujets très concrets comme nos consommations ou notre rapport à l’argent et sur des attitudes en société comme la façon d’écouter, de débattre, de considérer les personnes en difficulté ;
  • des engagements politiques portant sur des questions fondamentales comme l’emploi et la redistribution ou sur des remises en cause d’ « inacceptables » comme la façon de traiter les migrants, les marginalisés, etc., mais aussi des engagements collectifs économiques, sociaux, écologiques, éthiques ;
  • des propositions en matière d’institutions et d’outils à expérimenter sur des sujets cruciaux comme la régulation des médias pour favoriser le débat, comme la mise en place d’une politique d’accommodements raisonnables pour favoriser la prise en compte de la diversité, comme l’institution d’un service civique universel et intergénérationnel.

Objectif 2010

L’idée de Pacte Civique est née de la dynamique créée par le colloque La politique au risque de la spiritualité de décembre 2006 à Saint-Denis. Les trois associations organisatrices, D&S, Vie Nouvelle et Poursuivre ont depuis proposé à d’autres mouvements et associations intéressées de s’associer à cette démarche.

L’objectif est de présenter publiquement le pacte tel qu’il aura été construit ensemble dans un grand colloque qui devrait avoir lieu avant le lancement de la prochaine campagne présidentielle et législative française de 2010.

Six thèmes de travail sont proposés, dont les contours peuvent encore être modifiés :

  • l’inspiration profonde qui sous-tend notre action, à savoir la valeur spirituelle inhérente de la démocratie et les valeurs spirituelles qui favorisent les pratiques démocratiques (Démocratie, valeur spirituelle),
  • la mise en œuvre concrète de notre citoyenneté en lien avec la diversité de notre société et une laïcité vivante (Citoyenneté, diversité, laïcité),
  • notre prise de responsabilité à la fois économique, sociale, environnementale (Citoyenneté économique, sociale, environnementale),
  • un projet pilote mobilisateur de notre citoyenneté, le Service civique universel,qui devrait concerner toutes les générations (Service civique universel),
  • l’attention à porter aux plus pauvres et aux marginaux, pour qu’ils enrichissent nos sociétés en se voyant dotés de moyens leur permettant de s’exprimer sur les questions qui les concernent,
  • l’expérimentation et la promotion de méthodes de dialogue, comme l’éthique du débat et la médiation (Ethique du débat).

En parallèle, des réflexions doivent être engagées sur la méthode et les moyens :

  • pilotage de la démarche avec les mouvements et associations intéressées,
  • façon de mobiliser des forces complémentaires, de toucher l’ensemble des générations, d’intéresser l’opinion publique, de développer des outils pédagogiques, etc.,
  • moyens à mobiliser,
  • rapports à tisser avec les politiques, les médias, les experts, les élites et, plus généralement, les décideurs …

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Vive la sobriété heureuse !

L'écologie politique, si elle veut être à la hauteur des espérances qu'elle suscite, doit construire une réponse réellement systémique à la crise en articulant une critique de l'insoutenabilité de nos formes de croissance avec l'exigence du mieux-être.

Cette articulation suppose qu'elle intègre pleinement dans sa perspective la question sociale, de même que les socialistes européens se doivent eux de penser radicalement la question écologique. Et la question sociale pose plus radicalement encore la question humaine et la difficulté propre à notre espèce de penser et de vivre le rapport entre notre intelligence et nos émotions. C'est toute la question de ce que Félix Guattari nommait l'écosophie, la capacité de penser écologiquement et politiquement la question de la sagesse. C'est aussi ce que Pierre Rabhi nomme les enjeux d'une "sobriété heureuse" où s'articule, dans la justice sociale, le choix de la simplicité avec celui d'un art de vivre affranchi de sa boulimie consommatrice et consolatrice.

Il nous faut d'abord voir que ce qui est commun à toutes les facettes de la crise, ce qui la rend donc systémique, c'est le couple formé par la démesure et le mal-être. Ce que les Grecs nommaient l'ubris, la démesure, est en effet au coeur de notre rapport déréglé à la nature par deux siècles de productivisme et ses deux grandes conséquences : le dérèglement climatique et ce danger à ce point majeur pour la biodiversité que l'on peut évoquer le risque d'une "sixième grande extinction" des espèces, cette fois provoquée par le comportement irresponsable de notre propre famille humaine.

C'est la démesure aussi qui a caractérisé le découplage entre l'économie financière et l'économie réelle : un ancien responsable de la Banque centrale de Belgique, Bernard Lietaer, a pu avancer qu'avant la crise, sur les 3 200 milliards de dollars (2 272 milliards d'euros) qui s'échangeaient quotidiennement sur les marchés financiers, seuls 2,7 % correspondaient à des biens et services réels !... Démesure encore dans le creusement des inégalités sociales mondiales tant à l'échelle de la planète qu'au coeur même de nos sociétés : lorsque la fortune personnelle de 225 personnes correspond au revenu de 2 milliards d'êtres humains, lorsque les indemnités de départ d'un PDG qui a mis son entreprise en difficulté peuvent représenter plus de mille fois le salaire mensuel de l'un de ses employés.

Démesure enfin, il ne faudrait pas l'oublier, cette fois dans les rapports au pouvoir, qui a été à l'origine de l'autre grand effondrement politique récent, il y a tout juste vingt ans, celui du système soviétique et de sa logique totalitaire. Il est important de le rappeler si l'on veut éviter le mouvement pendulaire des années 1930 qui vit un politique de plus en plus autoritaire, guerrier et finalement totalitaire, prendre la relève du capitalisme dérégulé des années d'avant-crise.
Ainsi le caractère transversal de cette démesure permet de comprendre le caractère systémique de la crise, et l'on comprend alors que des réponses cloisonnées qui cherchent, par exemple, à n'aborder que son volet financier se traduisent finalement par une fuite en avant dans le cas de la crise bancaire doublé de fuites en arrière dans le cas de la crise sociale. Comme quoi les caisses ne sont pas vides pour tout le monde !

Mais pour construire, au-delà d'une écologie politique, une "écosophie politique", il faut faire un pas supplémentaire dans l'analyse et comprendre ce qui lie profondément cette démesure au mal de vivre de nos sociétés.

Celle-ci constitue en effet une forme compensatrice pour des sociétés malades de vitesse, de stress, de compétition, qui génèrent un triple comportement guerrier à l'égard de la nature, d'autrui et de nous-mêmes. En ce sens, nos "sociétés de consommation" sont en réalité des "sociétés de consolation" et cette caractéristique se lit économiquement dans le décalage entre les "budgets vitaux", et les dépenses de stupéfiants, de publicité et d'armement.

En 1998, le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) comparait en effet les budgets supplémentaires nécessaires pour couvrir les besoins vitaux de la planète (faim, non-accès à l'eau potable, soins de base, logement, etc.) et mettait en évidence que les seules dépenses de stupéfiants représentaient dix fois les sommes requises pour ces besoins vitaux (à l'époque 400 milliards de dollars par rapport aux 40 milliards recherchés par les Nations unies). On note le même écart s'agissant des dépenses annuelles de publicité.

La société dure est en permanence compensée par la production du rêve d'une société harmonieuse, et l'endroit par excellence où s'opère ce rapport est la publicité qui ne cesse de nous vendre de la beauté, du bonheur, de l'amour, voire de l'authenticité, messages dans l'ordre de l'être, pour mieux nous faire consommer dans l'ordre de l'avoir. Quant aux budgets militaires qui expriment les logiques de peur, de domination et caractérisent par conséquent les coûts (et les coups) de la maltraitance interhumaine, ils représentaient eux vingt fois ces sommes ! Ces dépenses passives de mal-être représentent (car le même écart est maintenu dix ans après) environ quarante fois les dépenses actives de mieux-être nécessaires pour sortir l'humanité de la misère et assurer un développement humain soutenable tout à la fois écologique et social.

Il nous faut donc répondre au couple formé par la démesure et le mal-être par un autre couple, celui de la "sobriété heureuse", formé par l'acceptation des limites et par l'enjeu positif du "bien-vivre" ou par ce que les prochains "Dialogues en humanité", qui se tiendront début juillet, évoquent sous le terme de la construction de politiques et d'économies du mieux-être.

Et c'est ici que l'écologie doit non seulement intégrer pleinement la question sociale, celle de la lutte contre les inégalités, mais aussi la question humaine proprement dite, c'est-à-dire la capacité à traiter ce que l'on pourrait appeler le "bug émotionnel" de l'humanité, qui est à la racine de ce qu'Edgar Morin nomme "Homo sapiens demens". La question est en effet moins de "sauver la planète" - qui a de toutes manières plusieurs milliards d'années devant elle avant son absorption par le Soleil ! - que de sauver l'humanité qui peut, elle, terminer prématurément en tête-à-queue sa brève aventure consciente dans l'Univers.

Or, comme le soulignait Spinoza, la grande alternative à la peur est du côté de la joie. La différence aujourd'hui réside dans le fait que ce qui était traditionnellement de l'ordre personnel et privé devient un enjeu politique planétaire. La question de la sagesse, c'est-à-dire la question fondamentale de l'art de vivre, qui cherche à épouser pleinement la condition humaine au lieu de vouloir la fuir, devient alors une question pleinement politique.

Nous sommes en effet à la fin du cycle des temps modernes qui furent marqués par ce que Max Weber, d'une formule saisissante, avait caractérisé comme "le passage de l'économie du salut au salut par l'économie". La crise actuelle démontre que ces promesses n'ont pas été tenues. L'un des enjeux aujourd'hui est de savoir comment sortir de ce grand cycle de la modernité par le haut, les intégristes le faisant par le bas : garder le meilleur de la modernité, l'émancipation, les droits humains et singulièrement ceux des femmes qui en constituent l'indicateur le plus significatif, la liberté de conscience, le doute méthodologique, mais sans le pire, la chosification de la nature, du vivant, des animaux et à terme des humains, la marchandisation n'étant qu'une des formes de cette chosification. Et retrouver, dans le même temps, ce qu'il y a de meilleur dans les sociétés de tradition, mais là aussi en procédant à un tri sélectif par rapport au pire : un rapport respectueux à la nature, sans qu'il soit de pure soumission, un lien social fort mais non un contrôle social, des enjeux de sens ouverts et pluralistes et non des intégrismes excluant. Une grande partie du destin de l'humanité se joue en effet dans l'alternative guerre ou dialogue des civilisations.

Nous ne sommes pas condamnés soit à la projection mondiale du modèle occidental, soit à l'acceptation au nom du relativisme culturel d'atteintes fondamentales aux droits humains, à commencer par ceux des femmes. On peut récuser l'impérialisme et le colonialisme sans être obligés de tolérer l'intégrisme et l'exclusion. C'est alors la co-construction d'une citoyenneté terrienne qui est en jeu, et la rencontre des sagesses du monde est alors un enjeu capital dans cette perspective où l'Homo sapiens sapiens, à défaut d'être une origine, pourrait être, devrait être un projet.

C'est à ce projet planétaire qu'une Europe, qui a payé le prix lourd pour comprendre que la barbarie n'est pas un danger extérieur, mais le risque intérieur par excellence de l'humanité, peut pleinement contribuer.


Philosophe, essayiste altermondialiste et ancien conseiller à la Cour des comptes, Patrick Viveret a été rédacteur en chef de la revue "Transversales Science Culture" entre 1992 et 1996.
Il a notamment publié "Pourquoi ça ne va pas plus mal ?" (Fayard, 2005) et "Reconsidérer la richesse" (éd. de l'Aube, 2002)
Ce texte est issu des conférences que l'Université de tous les savoirs organise sur le thème "La croissance verte, comment ?" en partenariat avec l'Ademe, la ville de Bordeaux et France Culture.