Réactions 2007

L’humour sauvera le monde !

Une rencontre en humanité, Lyon, Juillet 2007.'''

« Les signaux d’alerte qui montrent que l’humanité est à l’un des plus décisifs moments de sa jeune histoire ne cessent de s’allumer, mais nous continuons à gérer nos petites affaires, à défendre nos petits intérêts, à mijoter nos petites haines, comme si nous avions l’éternité devant nous. »
Patrick Viveret.

Il est des jours qui réservent des surprises.

Envoyée spéciale de « Citoyens » aux Dialogues en Humanité, cet été à Lyon, je suis venue travailler sur les trois thèmes proposés par Patrick Viveret :

  • grâce au défi écologique, construisons un nouvel art de vivre
  • face aux logiques de guerre, construisons des logiques de paix
  • face aux logiques autoritaires, construisons une démocratie de qualité.

Quel programme !

Des conférences, des agoras d’échanges, des ateliers d’expérimentation sensible, des veillées festives sous les arbres centenaires du Parc de la Tête d’Or. Et quelle affiche exceptionnelle : Albert Jacquard, Pierre Rabhi, Jean-Baptiste De-Foucauld, Catherine Dolto, et bien d’autres intervenants, sociologues, scientifiques, médecins, artistes, ambassadeurs, venus du monde entier, impliqués dans toutes sortes d’institutions et de projets, échangeant leurs expériences et leurs idées, dialoguant avec les militants associatifs et les promeneurs Lyonnais. Autant dire que je m’apprêtais à noircir des pages entières sur ces réflexions et sur ces débats, sur l’impact de cette multitude d’initiatives sur la marche du monde.

Quand tout à coup, la cloche a sonné.

Un jeune homme élancé, en uniforme de garde champêtre, est venu placer son pupitre au centre des événements. C’est le crieur public, envoyé par le Ministère des Rapports Humains. Tapant des mains et des pieds, se déhanchant devant une foule médusée, il est venu annoncer les programmes, secouer les indifférences et réveiller les esprits. D’une voix tonitruante, l’œil vif et l’air espiègle, il invite chacun à respirer profondément, à crier du plus profond de soi puis à embrasser son voisin. Voilà ce qui s’appelle une entrée en matière !
Pendant trois jours, cet étonnant personnage a sillonné les allées, commenté les événements, apostrophé les passants. Et pendant trois jours, je n’ai pas arrêté de rire à son passage. Un rire de joie pour son humour, mais aussi un rire d’émotion pour sa poésie, un rire lucide pour le monde en danger. Car le crieur ne se contente pas d’annoncer les nouvelles ; il crie la chaleur des rencontres, la beauté des choses, la douceur des mots; il crie la catastrophe annoncée, mais aussi l’espoir et le désir.
Je me suis renseignée : notre crieur n’en est pas à son coup d’essai. Depuis quelques années, chaque dimanche matin, il s’installe sur la place de la Croix Rousse, à Lyon, pour lire et commenter les messages que lui postent les habitants du quartier. C’est ainsi qu’il crée du lien, qu’il sème du bonheur et qu’il cultive les consciences, offrant à son public une prestation garantie à forte teneur en VARAHU (Valeur Ajoutée en RApports HUmains).
D’ailleurs, c’est avec cette même pudeur joyeuse, cette même mélancolie exubérante, et surtout avec cette même voix tonitruante, qu’il a accueilli Nicolas Sarkozy venu à Lyon en pleine campagne présidentielle :“Mr Sarkozy, je vous accuse, je vous comprends, je vous défie...”, lui dit-il, en invitant cet enfant qui souffre à déposer les armes et renoncer à être Président de la République pour se soigner !

L’humour est le meilleur remède contre le mal-être ambiant, le puissant antidote à cette « dépression nerveuse universelle » qui nourrit la peur, engendre les comportements mortifères et attise les désirs de possession. S’il est vrai que l’un des principaux défis de notre humanité, pour éviter sa prochaine « sortie de route », est sa capacité à traiter sa propre part d’inhumanité, alors j’en suis maintenant persuadée : c’est la poésie et l’humour qui sauveront le monde !

Frédérique RIGAL,
Comité de Rédaction.


Une petite histoire à méditer

Racontée par l’agroécologiste Pierre Rabhi[# Pierre Rabhi est le créateur de l’association Terre et Humanisme, qui oeuvre pour la transmission de l'agroécologie, pratique agricole éthique visant l'amélioration de la condition de l'être humain et de son environnement. Agriculteur, écrivain et penseur, il est notamment l'auteur de nombreux ouvrages, dont Graines de Possibles, co-signé avec Nicolas Hulot. Son dernier livre : "Terre mère homicide volontaire » est paru aux éditions Le navire en pleine ville, en 2007.], le 6 juillet 2007

Deux terres se rencontrent.
L’une dit à l’autre : « tu as vraiment mauvaise mine ! Qu’est-ce qui t’arrive ? ». « J’ai attrapé l’humanité » répond l’autre, la voix tremblante.

« Ah ! Ce n’est pas grave ! reprend la première : Je l’ai eue… je ne l’ai plus… Ne t’inquiète pas ! ».

Agoras et Témoins de vie

DIALOGUES EN HUMANITE :
PROMOUVOIR LA CITOYENNETE ACTIVE

Dimanche 8 juillet 2007, Agora 16 à 18 H
Comment faire pour que les citoyens n’abandonnent pas leur citoyenneté après les élections ? Comment permettre à chacun d’acquérir des « compétences démocratiques » et être acteur de sa vie, de la cité. Alors même que l’intérêt pour la politique reste forte chez les individus, le monde des institutions publiques est une énigme pour beaucoup. Le fossé se creuse ainsi de plus en plus, entre ceux qui ont accès à ce monde et la majorité de ceux qui l’ignorent. L’Internet a-t-il un impact dans la création de nouveaux espaces démocratiques ?
Quelles nouvelles modalités de citoyenneté peut-on imaginer ?

Avec Jean-Claude Richez (Institut National de la Jeunesse et de l’Education Populaire), Sossé Sossou (Bénin, France, écrivain/journaliste), n’a pas pu rester car son train avait été prévu pour 17 heures, Haïlé-Mickaël Tadelech (Ambassadeure d’Ethiopie), Ruth Stégassy (« Terre à terre » France Culture), Monsieur Kiflé Sélassié Beseat, poète, ancien directeur du Fonds International pour la Promotion de la Culture de l’UNESCO. Parmi le public, Ryadh Sallem triple champion d’Europe de basket.

Madame Haïlé-Mickaël Tadelech adresse ses remerciements aux organisateurs et exprime ses regrets de ne pas avoir pu venir plutôt. En préambule de son intervention, elle invite le public à faire une petite expérience. « Lorsqu’on parle de l’Ethiopie, qu’est-ce que vous comprenez ? ».
Plusieurs personnes s’expriment dans l’Agora.
L’éthiopie c’est un désert, une partie de l’Afrique. Un homme rapporte que son beau frère qui a séjourné en Ethiopie en tant que coopérant, a gardé un amour pour ce pays.

D’autres représentations sont évoquées : la famine, les conflits, la guerre, la géologie.
Madame Haïlé-Mickaël Tadelech : « L’Ethiopie, on pense qu’elle est désertique, alors que c’est le premier pays producteur de café, le premier cheptel d’Afrique (10ème rang mondial). L’Ethiopie a aussi un art culinaire (sauces, spécialités de lentilles, de légumes et d’épices). On dit qu’on épice les choses épicées, c’est le pays des épices. L’Ethiopie c’est une histoire, une culture de deux millénaires. Le pays n’a jamais été colonisé. On parle peu de l’Ethiopie, un pays qui est ni francophone, ni anglophone. Un peuple discret, introverti, cela vient sans doute des guerres de résistances. Ceux qui sont allés en Ethiopie viennent avec des idées toutes faites. Il y a des gens connus qui sont tombés amoureux de l’Ethiopie. On dit qu’un pays qui cesse de se nourrir de sa culture, cesse d’exister. On se nourrit de notre culture, on est fier de notre culture, de notre histoire de deux millénaires. Mais on souffre d’une image qui n’est pas représentative de notre histoire, de l’image construite par les médias sur l’Afrique. Les médias filment seulement la guerre, la famine. Est-ce que les caméras ne peuvent voir autre chose ? Les news traitent seulement des crises, les médias ne font pas du bien car ils privent la population d’informations, de dialogues. La responsabilité est partagée par tout le monde, on ne laisse pas les gens participer, s’investir ».

L’animateur : Comment vous avez essayé d’agir pour que la responsabilité soit partagée ?

Madame Haïlé-Mickaël Tadelech «Dans un premier temps on ne laisse pas les gens participer, s’investir. Après on a opté pour la démocratie, on a laissé les gens gérer leurs affaires à tous les niveaux. Mais la femme est privée de son droit à participer, aux affaires de la communauté. Si on oublie la femme, on oublie la moitié de l’humanité. Il faut un engagement politique au niveau des gouvernements et des citoyens. Il fallait faire des lois, une politique de développement. Il n’y a pas de paix sans développement, il faut l’égalité entre les deux sexes ».

Monsieur Kiflé Sélassié : « Il y a un déficit d’image de l’Ethiopie, une image contrastée. Il y a une richesse archéologique, deux montagnes. Il faut être conscient de la participation du peuple chrétien, au débat sur la démocratie avec les musulmans dans un pays de 78 millions d’habitants pour arriver à une démocratie. Deux principes, il faut respecter la religion, la religion est une affaire personnelle et le pays est le bien de tous, on ne se bat pas pour des questions religieuses. Le même droit, la même justice pour les 83 peuples. C’est une contribution que l’Ethiopie peut apporter ».

Jean-Claude Richez : « Il y a des similitudes avec ce que l’on dit sur les quartiers populaires en France. Il faut la reconnaissance en France d’une citoyenneté active, il faut libérer des espaces pour que les citoyens exercent leurs capacités. Il y a beaucoup d’associations qui contribuent à libérer les initiatives des citoyens (5000 à 8000 étudiants font par exemple de l’accompagnement scolaire). Il faut mobiliser l’investissement des citoyens. A Strasbourg, des citoyens ont pu s’investir dans le fonctionnement des équipements de proximité. Un deuxième axe consiste à multiplier les lieux de participation (conseil de jeunes), multiplier les occasions de s’investir dans la cité. Les associations ont pour rôle de pérenniser les mouvements. Lors d’ateliers de la citoyenneté : on calque les modes de participation sur le rôle des élus à la vie politique. Les modes de participation entre citoyens et élus, se résument à choisir entre telles ou telles options. Alors que dans une structure, l’auto organisation fait émerger les besoins, au sein d’espaces de fraternité (les gens peuvent s’exprimer lors de l’organisation de repas), les maires viennent en tant que citoyens. Qu’est-ce que vivre pour soi et vivre avec les autres. Exemple de papys, de mamies qui interviennent pour éviter le divorce de couples.

Ryadh : « Dans le milieu du handicap, on perd sa citoyenneté, pour aller voter, il faut des rampes. Qu’est-ce qu’on peut apporter de notre expérience pour éviter le handicap ? Ryadh explique son action dans les écoles. Une cassette sur les jeux para olympiques est visionnée. Les grandes familles de handicaps sont expliquées. Il faut avoir conscience qu’on est tous des handicapés. Des ateliers d’apprentissage de la langue des signes et un parcours en aveugle sont organisés. Qu’est-ce que le pire des handicaps ? « C’est d’être handicapé de la vie, de ne pas chercher à réaliser ses rêves. Les enfants comprennent qu’ils peuvent changer leur monde et le monde. La citoyenneté c’est être heureux, c’est être un ambassadeur du bonheur. Les enfants ont aussi mesurés différents lieux de leur commune, pour élaborer un projet d’accessibilité aux handicapés. Faire un acte citoyen, c’est regarder et s’occuper des autres.

Ruth Stégassy : Association Récit : Comment permettre à un individu d’être acteur de sa propre vie. 500 à 600 personnes organisent différents actions, dans différentes villes et mutualisent leurs expériences. Ils oeuvrent pour d’autres rapports humains». Il faut partir du citoyen. A Palerme, une mobilisation des citoyens contre la mafia sicilienne est organisée. Depuis 50 ans des générations ont été tuées par la mafia. En 1970, une guerre de la mafia a tué beaucoup de gens, des intellectuels, des membres de la bourgeoisie qui avait lutté contre la mafia. A 18 ans, j’ai assisté au meurtre d’un jeune de 18 ans et trouvé le nom de l’assassin. Plusieurs de mes amis ont été tués. En Italie, la Sicile est comme un état autonome, un état où il est possible de tout faire. Des gens se sont organisés contre la mafia, ont engagés un combat contre le silence. La mort devient un instrument pour gouverner. Le pays, les gens sont devenus muets, ils ne parlent pas. Etre libraire, c’est un métier dangereux, il ne faut pas lire, comprendre, être savant. Un silence contre l’identité des femmes siciliennes avec des enfants. Faire comprendre aux citoyens qu’on peut retrouver la vérité sans être tué. Le problème de ne pas parler, c’est l’holocauste des intelligences. Palerme, c’est la cinquième ville d’Italie. L’action consiste à aller dans les banlieues, à apporter des livres et à raconter des histoires. Des mythes de l’Europe du sud, raconter Antigone, dans un quartier occupé à 100% par la mafia. L’église s’est compromise avec la mafia. Sachant que les bibliothèques publiques ont été détruites, des gens qui travaillent dans un centre médical, ont crées dans une chambre une petite bibliothèque. Un exemple de courage familial, un jour des vieilles femmes amènent dans le centre médical un enfant. Il porte une arme, il marchait à côté de son père. L’enfant a pris un livre et il a dit : « maintenant on va écouter madame qui raconte des histoires ». Il faut inventer chaque jour, se plonger à l’intérieur des gens, trouver des petites choses. Les mafieux sont mes sœurs et mes frères ».

Monsieur Valentin, président de la francophonie, sénégalais. Il a participé aux actions du gouvernement sénégalais. « Au début de l’indépendance, il fallait changer le réel colonial dans lequel nous avions vécu. Plusieurs réformes ont eu lieu: La création d’un grand service d’animations rurales, pour se mettre à la portée des populations. Cette éducation citoyenne a eu des prolongements. Elaboration d’un nouveau code de la famille, qui a durée 11 ans. Un travail en partenariat avec les chefs religieux, car il fallait tenir compte des coutumes. Le président Senghor était chrétien, alors que la majorité du pays est musulmane. Le statut de la femme, a été revalorisé, la protection de l’enfance accrue. Les chefs religieux de chaque communauté ont acceptés le code. En 1970, des émissions radiophoniques ont données la parole aux paysans qui ont exprimés leurs problèmes. Des experts qui étudiaient la sécheresse ont appris des paysans. La carte semencière a été adaptée à la climatologie. L’éducation, la citoyenneté existaient d’un côté et pas de l’autre. Les citoyens n’allaient pas voter, puis cela a changé. Il y a eu un respect et une critique des institutions, une alternance politique dans le pays. La vie politique a été apaisée. Cette expérience politique a été observée par l’étranger ».

L’animateur : Les nouveaux médias, font-ils la promotion de la citoyenneté active. Le président de 4D réalise une encyclopédie du développement durable. La participation citoyenne est intéressante si elle s’articule autour d’un projet de transformation sociale, un constat pour aller vers une société différente, plus égalitaire, plus équitable.

Une participante indique qu’à Vénissieux, en 2005 un groupe d’habitants a organisé un mouvement de participation citoyenne, relaté dans « Diversité, altérité, modernité, la coopération décentralisée », L’Harmattant, Procoop.

Xavier Bolze, a participé à la commission nationale de débats publics ITER (nucléaire). Il a quitté le débat. « Des réunions techniques étaient organisées avec le public, toutes les personnes étaient à égalité. La question était quelle parole écouter ? Il faut exposer des arguments, pas des opinions puis recenser ces arguments, et répondre à chacun. Etablir un lien entre les échanges et les décisions politiques. Mais des parlementaires refusent la légitimité de ces débats. Le système français actuel, ne les prend pas en considération. De même que l’évaluation, le suivi des décisions ne se font pas. Les médias sont défaillants ».

L’animateur : « Quelle représentation politique, quelle participation citoyenne, quel débat politique. Quelle est la qualité des outils pour organiser le débat public. Le Grand Lyon a mis en place une démarche participative, sur les gros dossiers. Un nouveau régime de citoyenneté, ce n’est pas seulement s’organiser en parti et aller voter. Chacun est capable dans un régime démocratique de mobiliser ses capacités. Les NTIC contribuent à remettre en circulation la parole, favorise l’information, les échanges ». (DF c’est aussi un moyen d’organiser des actions citoyennes.

Madame Haïlé-Mickaël Tadelech : « Il faut donner une importance à chaque citoyen. Faire des actions reconnues à un niveau mondial pour lutter contre l’excision, le mariage précoce. Nous avons organisé des animations rurales : les médias diffusent dans les langues locales, actuellement 80 % de la population a bénéficié d’une éducation primaire. Les associations franco-éthiopienne situées à Paris et à Lyon, organisent des manifestations culturelles, font la promotion de l’Ethiopie. Un dialogue en humanité doit se réaliser entre nos deux peuples ».

Monsieur Kiflé Sélassié : « Il faut promouvoir une citoyenneté active. Autour d’une table, il y a celui qui préside et les autres. La palabre c’est s’exprimer donner un espace, un « rendez-vous donner/ recevoir (Senghor) ». Lorsqu’on écoute les citoyens, ils votent, si la parole est étouffée, les citoyens abandonnent le vote. Les NTIC peuvent être utiles où nous asservirent. Il faut rappeler qu’il y a des gens qui meurent pour voter. Les élus doivent avoir une pédagogie de l’écoute car les citoyens ont parfois une parole confuse. Il faut prendre la dimension du vécu, pour une démocratie active. Si les élus entendent les citoyens alors les programmes sont « du sur mesure qui fonctionnent ». En Ethiopie, mère de l’humanité, plus on connaît le monde extérieur, plus on se sent éthiopien. «

A la fin du débat, j’ai pu assisté à un moment de poésie, merveilleux et subtile. Monsieur Kiflé Sélassié a lu l’ensemble des poèmes, d’un de ses ouvrages à un jeune enfant qui était accompagné de son père. Il nous a fait découvrir la dédicace de monsieur Aimé Césaire. J’ai même eu droit à un inédit déclamé dans le hall.

DF : « L’humanité se tisse de rêves et de poésies, les âmes voyagent et se rencontrent. Ne faudrait-il pas réserver une place à la poésie aux Dialogues en Humanité ? »


FACE AUX LOGIQUES AUTORITAIRES, CONSTRUISONS UNE DEMOCRATIE DE QUALITE

Dimanche 8 juillet 2007, Agora, 15 à 16 heures. Il pleut nous sommes abrités au palais des congrès. Dans de grands espaces de briques, la pensée est plus facile à modeler, à mettre en forme, comme un jeu de Legos en somme.

Témoins de vie

Boris KAGARLITSKY, Russie. Sociologue du travail, syndicaliste et journaliste. Directeur de l’institut Russe de recherche sur la mondialisation, questionné par François BOUCHARDEAU, HB Editions. Boris KAGARLITSKY a publié « Voix rebelles du monde » HB Editions, il a grandi en URSS.

FB « Qu ’est-ce que cela a représenté comme changements? ».

BK « J’ai toujours habité dans la même rue…. », « J’ai été arrêté pour dissidence du temps de BREGNIEV, j’ai été accusé d’activités anti-soviétique et j’ai fait 13 mois de prison». « BREGNIEV est mort en 1993. ELSINE était député du Conseil, à l’Assemblée de Moscou. Après j’ai été accusé d’avoir une activité pro soviétique, (le contexte avait changé). L’idée d’une démocratie sociale est apparue ». « J’ai commencé ma vie politique dans un groupe de marxistes indépendants, qui dénonçaient la bureaucratisation et soutenaient la démocratie ». « Après la chute de L’Union Soviétique, le discours était contraire au capitalisme et en même temps l’idée d’une démocratie de marché était défendue. Mais la démocratie c’est pour les gens fait remarquer BK. « Du temps d’ELTSINE, j’étais toujours en dissidence, je n’aime pas cela, j’aimerais qu’on soit majoritaire ».

FB « Qu’est-ce qui t’a décidé à être en dissidence ? ».

BK « Ma formation culturelle, n’est pas très différente de celle d’autres pays, de la France. Lorsque j’ai été arrêté mon voisinage a dit : « il est fou ». Moi je voulais un marxisme, un socialisme démocratique. Il y avait un seul livre de cuisine qui s’appelait : Manger une alimentation de bon goût et bon pour la santé. On a même organisé la vie des écrivains, ils vivaient ensemble dans le même quartier. Du temps d’ELTSINE, il y avait de la corruption morale. Une classe très privilégiée, qui avait une bonne éducation, mais critiquait le système de l’URSS. Ma famille participait au mouvement révolutionnaire mais pas en tant que membre du parti bolchevik. Mon grand-père a été emprisonné pendant 18 ans. Il a été décoré et réhabilité. Il y avait une tradition gauchiste, révolutionnaire dans ma famille mais pas stalinienne. Il y a aussi l’Influence de livres qui n’étaient pas dans les bibliothèques ». BK s’est senti isolé dans ses idées. Il a suivi une formation universitaire de spécialiste du théâtre et de sociologie des cultures à l’université. « Je n’ai pas pu achever mes études car j’ai été arrêté (Perestroïka). Puis un jour, j’ai reçu un coup de téléphone du comité central du parti qui m’a demandé : « monsieur voulez-vous faire un diplôme professionnel, un doctorat en sciences politiques ? » (une récompense après la prison). J‘ai ensuite travaillé comme sociologue. Maintenant à Moscou, c’est devenu à la mode d’être gauchiste. MARCUSE, Samir AMIN sont publiés. Maintenant c’est plus facile de publier des auteurs opposés au capitalisme ».

FB « Vous êtes directeur de l’Institut Russe sur la mondialisation, c’est le meilleur institut de Russie ? »

BK « C’est facile d’être le meilleur, on est le seul institut, on n’a pas de concurrence, c’est un monopole. C’est comme le livre de cuisine dont j’ai parlé… C’est un institut qui est un pont entre la gauche russe et le mouvement international, (féministe, écologiste, défense des droits de l’homme, alter mondialiste). Nous avons organisé la participation au forum social de Londres et d’Athènes avec peu de ressources. C’est plus dur d’organiser un voyage en bus de Moscou à Londres que d’écrire un article. Nous ne sommes pas réunis comme des chercheurs mais comme des activistes, nous avons un travail de consultation auprès de syndicalistes, de groupes d’écologistes et de gauches. Le problème, c’est la centralisation. Il faut aller dans d’autres villes, pas à Moscou. En 2005, le premier forum a été un succès. En 2006, nous avons fait une erreur, nous avons organisé le forum en même temps que le G8 à Saint-Pétersbourg. La majorité a décidé de choisir la même ville et la même date que le G8. Les conséquences ont été la répression, 300 personnes ont été arrêtées avant le forum, puis libérées 3, 4 jours après. Le problème c’est que vous ne devez pas exposer vos camarades à une répression non nécessaire. Le forum était dominé par des groupes de gauche sectaires, anarchistes, troskistes qui contrôlaient le forum. Les activistes n’étaient pas assez présents. On a accepté que le forum se tienne dans un stade, qu’on a appelé le « Pinochet stadium ». On a créé nous-même un camp de concentration. .. . Les gens sont entrés et sont ressortis, une femme a dit que « ce que tu as vécu illustre l’absurdité ».

FB « Quelle est la synthèse que tu fais de ces changements »

BK « Certains amis russes regrettent l’Union Soviétique. CHADEV, philosophe du 19ème siècle, a écrit sur le sens de l’histoire. Le destin de la Russie est important car nous devons donner une leçon importante. Mais il ne faut pas répéter le passé, Nicolas 1er, Pierre 2. Le processus de la révolution n’est pas terminé. En 1834, en France la situation était aussi absurde, le résultat n’était pas formidable. C’était plus ou moins identique culturellement et psychologiquement. Le gouvernement de POUTINE dit qu’il a des choses positives mais nous nous ne sommes pas d’accord pour avoir une grande armée, seulement pour ce qui concerne le logement, l’emploi et l’éducation.

FB « Vous êtes isolé maintenant dans la société ? »

BK « Maintenant la société est devenue plus à gauche. Mais cela ne c’est pas traduit dans la vie politique, il n’y a pas de représentativité ». Il y a un problème de distance entre le processus social et la représentativité. En Russie c’est de la démocratie contrôlée, c’est le gouvernement qui décide. Le mouvement syndical est devenu important. Ils sont dans les secteurs stratégiques, ceux qui ont connus une croissance astronomique (automobile, transport, pétrole, ..). Il y a une législation contre les grèves mais il y a des grèves et des grèves sont gagnées. L’opinion publique se mobilise, les classes moyennes sont favorables aux grèves. Beaucoup travaillent avec les syndicats, participe à la création de nouveaux mouvements (centralisés, bureaucratisés). C’est un espoir car chaque jour, il y a des luttes et des victoires.

FB « La perception en France, c’est qu’on parle de pouvoir autocratique, de la Tchétchénie, on ne parle pas de la société en mouvement »

Jean-Marie CHOVIER « On oubliait que des gens essayaient de résister, de se battre, il y a une victoire de la société civile ».

 BK « Il y a eu une victoire de la société civile, contre la monétisation. C'est-à-dire l’abolition des privilèges aux étudiants, aux malades, c’était un avantage symbolique, une compensation en monnaie. La loi 132, prévoyait d’arrêter de donner des réductions. Deux millions de personnes étaient dans la rue. La police n’est pas trop intervenue car leurs avantages étaient également supprimés. Le gouvernement a changé, c’est comme en France pour vous avec le CPE. Il y a des différences entre la France et la Russie mais ce n’est pas une autre planète, c’est le même monde. En Russie, les émeutes en France ont été présentées comme des émeutes des étrangers. En Russie, les étrangers ne peuvent travailler dans des administrations. Maintenant on a des restrictions d’emploi dans le privé. Beaucoup de russes ont un passeport pour travailler dans une ville. Le propiska a été remplacé par l’enregistrement. On doit avoir un tampon de la police. Certaines personnes pour rester dans une ville achètent régulièrement des billets d’avions qu’elles n’utilisent pas pendant plusieurs années pour faire croire qu’elles ne séjournent pas régulièrement dans une ville.   

                                                             Danielle FALQUE, 16 août 2007

Dalia OBEID

Comment reconquérir des espaces de liberté face aux logiques autoritaires au Liban ?
Dalia OBEID

* Ce texte est l’intervention de Dalia OBEID (membre du Mouvement de la Gauche Démocratique au Liban) au Dialogues en humanité à Lyon - Forum international de la question humaine

 

Le sort du monde arabe se trouve coincé entre les dictatures, les occupations et les courants islamistes extrémistes. Nous nous contenterons aujourd’hui de parler précisément de la question libanaise dans le sens où le Liban subit l’impact de la politique régionale et internationale.

L’ Etat Libanais se démarque des autres états arabes, nés à la même époque que lui. En fait, le Liban est construit sur le confessionnalisme politique et administratif institutionnalisé formellement. La répartition du pouvoir se fait entre les trois plus grandes confessions : le président est obligatoirement maronite, le premier ministre sunnite et le président du parlement chiite.

Toute la vie des libanais a été depuis gérée par la confession. L’état civil et le statut personnel relèvent du religieux : les mariages (il n’y a toujours pas de mariage civil, ce qui complique les mariages mixtes) les divorces, les funérailles, les naissances… chaque citoyen se revendique chiite, sunnite, orthodoxe, druze, maronite… avant de se présenter comme libanais. La guerre civile a à son tour, renvoyée chaque communauté à sa « région ». C’est ainsi, par exemple, que l’université libanaise s’est divisée en plusieurs sections : les unes pour les chrétiens et les autres pour les musulmans.

C’est cette division confessionnelle qui a fait du Liban, le plus vulnérable des pays arabes suite aux flots des réfugiés palestiniens, chassés brutalement et injustement de chez eux. Par ailleurs, la création d’un Etat juif, donc basé sur une religion, n’a pu que pousser les autres confessions à nourrir de telles ambitions afin de se « défendre ».

En 90, l’armée syrienne, présente sur le sol libanais depuis 76, suite à une entente israélo-syrienne, pénètre sur le reste du territoire libanais non occupé par Israël, et grâce au feu vert américain, le régime baasiste s’impose sur le champ politique libanais. La tutelle syrienne contrôlait tout : la politique, la sécurité, la liberté d’expression de même que la résistance du Hezbollah, parti chiite libanais et seule milice de la guerre civile a avoir le droit de garder les armes, transformée désormais en résistance au sud du Liban.

Au départ la résistance dans le sud étaient menée par la gauche. Cependant après la chute du communisme, il y eut une nouvelle forme de résistance, cette fois religieuse et non plus laïque, qui, financée par l’Iran, et appuyée par la Syrie, ne pouvait que véhiculer l’idéologie de la république islamiste iranienne. Le passage de la résistance laïque à la résistance islamiste, se fit par la chasse aux intellectuels de gauche, porteurs d’une autre vision du Liban. En 2000, après le retrait des troupes israéliennes du Liban, le Hezbollah, n’a pas rendu ses armes à l’Etat libanais.

Après l’assassinat de l’ex-premier ministre Rafic el Hariri en février 2005, le soulèvement populaire de la rue libanaise (appelé « l’Intifada de l’Indépendance »), le soutien international, et le changement de la politique des Etats-Unis après le 11 septembre, mirent fin 15 ans après, à la tutelle syrienne au Liban.

L’armée syrienne se retire du Liban au printemps 2005, mais passe à une nouvelle forme d’agression et de violence en s’attaquant aux intellectuels et aux politiciens. La première cible fut l’historien et journaliste Samir Kassir, un des co-fondateurs et des piliers du
jeune mouvement de la Gauche Démocratique libanais, dont je suis membre, fondé seulement quelques mois avant son assassinat.

Sa deuxième victime fut un autre grand intellectuel de la gauche, Georges Hawi, ancien secrétaire du Parti communiste libanais, et uns des premiers initiateurs de la réconciliation libanaise. Ensuite la série d’assassinats a ciblé deux journalistes et un nombre de politiciens anti-syriens avec des attentats dans plusieurs quartiers libanais terrorisant la population civile, qui ne voit plus son salut que dans la séquestration à domicile ou dans l’émigration.

Samir Kassir dans la lutte pour cette indépendance a milité pour la cause des intellectuels syriens persécutés par le régime pour la démocratie en Syrie. Pour lui, un printemps de Beyrouth allait sans doute créer un effet domino, provoquant ainsi une vague de démocratisation dans le monde arabe.

La nouveauté avec Samir Kassir c’est d’avoir permis un chemin interne, un appel à une nouvelle Renaissance arabe (la Nahda) qui se fraye entre les dictateurs arabes et l’hégémonie américaine. C’est-à-dire de faire entendre une voix arabe, moderne, démocratique, laïque, contraire à toute forme d’extrémisme religieux luttant aujourd’hui contre l’occupation étrangère.

Parallèlement cette lutte pour l’indépendance n’a pas pu être achevée pour plusieurs raisons. Les calculs confessionnels et l’agression syrienne ne permirent pas les réformes.

Que proposer alors pour reconquérir la liberté individuelle et collective au Liban ?

Il est nécessaire de commencer par l'abolition du confessionnalisme administratif, politique, et « social » qui consiste, par exemple, à régler indépendamment des bases religieuses les questions de « statut personnel, tout cela dans les limites d’un Etat, fort, et non plus menacé par une milice armée (le Hezbollah qui refuse même le dialogue quand on touche à la question de son désarmement).

Tout ceci dans la construction d’un Etat de droit, laïque, qui assure au citoyen, homme et femme (surtout, partenaire indispensable) la sécurité, et la liberté sous toutes ses formes, la liberté d’expression primant, vu que la libération de l’individu est fondamentale pour la création d’une société plus juste. Des réformes sont à faire sur tous les plans : politique, économique, social afin de lutter contre les privilèges sociaux dont bénéficient une petite minorité libanaise, alors que la grande majorité du peuple s’appauvrit de plus en plus.

Mais ne nous trompons pas, tant que la question israélo-palestinienne n’est pas réglée, et tant que la dictature du régime syrien est en place, et tant que la communauté internationale laisse faire toutes ses injustices, le Liban comme la région ne peut trouver la stabilité, la démocratie, la liberté et la paix.

Deux femmes, deux destins

Henryane de Chaponnay et Jamila Hassoune sont deux femmes qui n'auraient jamais du se rencontrer tant leur origine sont si diverses. Henryane de Chaponnay est la confondatrice de l'institut de recherche d'application de développement . Jamila Hassoun est l'initiatrice de la caravanne d'Afrique et Libraire. Deux femmes, deux destins qui ont fini par se rencontrer il y a quelques années par leurs actions en faveur du développement du savoir.

Henryane de Chaponnay

Certaines rencontres ont été déterminantes dans son action. Elle donna des cours d'anglais à partir de l'arabe au Maroc et enseigna à la soeur de Ben Barka qui était passionné par le développement de l'alphabétisation. Parmi les personnalités rencontrées il y a notamment Paolo FRERE qui milite en faveur de l'alphabétisation au Brésil. Henryane de Chaponnay sera quelques temps plus tard le lien entre les différents projets existants au Brésil. Cette activité est peu reconnue puisque FRERE fut emprisonné par son action car pour voter au Brésil il faut savoir lire... Sa rencontre avec Louis Massignon, l'un des pères de l'indépendance au Maroc, a été déterminante dans son action.
Elle doit son ouverture d'esprit par le passé de son ancienne gouvernante qui avait vécu en Chine, la guerre et le partage des travaux de la ferme avec des fermiers qui étaient sur les terres de son père.
Henryane de Chaponnay travailla pour le développement culturel des affaires culturelles marocain.

Jamila Hassoune

Jamila Hassoune est l'ainé de 6 enfants et son père était instituteur à Marackech. Elle puise son action notamment dans ses souvenirs où elle ne compris pas pourquoi elle devait cacher les livres lorsqu'elle assista à l'âge de 6 ans à l'arrestation de son père, marxiste léniniste. Elle exerce un métier difficile comme libraire car il y a 50% d'analphabétisation. Elle constata par ses activités qu'il y avait des diplômés sans le "savoir" pour ceux qui sont allés à l'université; il y a peu de librairie au Maroc et peu d'université et aucune dans le haute Atlas. L'aventure de Jamila Hassoune commenca en 1994 dont le but est d'apporter un certain savoir dans le monde rural par l'intermédiaire des livres.
Elle est la première femme libraire a faire cette démarche dans les villages. Son activité est accentuée par une certaine marge de liberté depuis 1999. Je me suis interrogé sur la difficulté d'exercer cette action par une femme et sur les réticences éventuelles au Maroc mais Jamila Hassoune n'a pas rencontré d'obstacles particuliers sur ce point.

La même préoccupation essentielle pour le développement du savoir par Henryane de Chaponnay et Jamila Hassoune ont permis une première rencontre il y a quelques années entre ses deux femmes.
Cette préoccupation persistante se justifie car le développement du savoir est la plus grande richesse de l'Homme comme le souligne Jamila Hassoune.

FLECHET Jean-Francois

Doudou Diène

Doudou Diène « Ce ne sont pas des interrogations abstraites »

L’expert pour l’ONU Doudou Diène a découvert la manifestation Dialogues en humanité durant cet été 2007. Il a été séduit par la spontanéité et la vérité des échanges, le caractère informel de l’organisation, et le fait que « le cadre naturel correspond intimement au thème ».  

Françoise Nowak : Doudou Diène, vous êtes le rapporteur spécial de l'ONU contre le racisme et la xénophobie. Qu’est-ce qui a motivé votre participation, cette année, aux Dialogues en humanité ?

Doudou Diène : J’ai été invité ici par Antonella Verdiani, qui est à l’origine du débat qui s’est tenu sur Auroville en fin d’après-midi. Elle m’a demandé de témoigner du vécu personnel que j’ai de cette communauté unique, et de donner mon point de vue sur son évolution. Cet aspect est au cœur de mes réflexions, puisque j’ai pour mission de conseiller le gouvernement indien ainsi que les habitants de la ville d’Auroville, sur le fonctionnement de cette entité indépendante, en tant que membre du Conseil Consultatif International d’Auroville.

Je n’avais jamais entendu parler des Dialogues en Humanité auparavant, mais cette expression m’a séduit, car elle a fait écho en moi. J’ai rencontré tout à l’heure des gens qui semblaient ne pas être très heureux des discussions auxquelles ils ont participé. Je dois dire que moi au contraire, j’ai beaucoup aimé ces rencontres, et je suis particulièrement sensible à leur « forme ».

F. N. Ce qui vous plaît dans la forme de cet événement, est-ce la spécificité du lieu où il se tient? Est-ce le déroulement de la manifestation ?

D. D. : Les deux aspects sont importants. Le côté spontané du public, ce mélange entre des gens simplement curieux et des spécialistes qui viennent partager leur savoir et leurs questionnements, de façon attentive et ouverte, tout cela est pour moi très agréable. Dans ce parc de la Tête d’Or, on est très loin des réunions internationales, où les échanges peuvent parfois être étouffés par… disons… un excès de formalisme. Dans le contexte de ces « dialogues » on apprend beaucoup. La parole est directe et va droit à son but. Sans le savoir, les gens appliquent ici le proverbe africain qui dit « quand tu fais un discours, aies pitié pour ceux qui écoutent » ! Une organisation non figée génère également de la créativité : j’ai couru d’un point à l’autre. Pendant ce temps, des idées me sont venues. Quand le corps et l’esprit se déplacent pour chercher, tout ce qu’on entend devient une nourriture !

Le lieu aussi est important : pendant que je parlais, durant le débat sur Auroville, j’ai regardé les arbres, hauts, verts et nimbés de lumière. Ils sont vivants ! Cette vibration naturelle nous influence subtilement. Le cadre naturel correspond intimement au thème. C’est une sorte de symbiose. Le mental qu’on avait en entrant change. On est touché par l’harmonie du site.

F. N. : E en terme de contenu, que diriez-vous ?

D. D. : Un proverbe africain dit que « dans la forêt, lorsque les branches des arbres se querellent, leurs racines s’embrassent ». Pour résoudre les problèmes, il faut donc revenir aux racines, à ce qui est universel, bien qu’intangible. Les gens qui viennent ici font une recherche individuelle, intense et profonde. Leurs questions sont parfois formulées sans souci de la forme, parce qu’ils ne parlent pas le langage –convenu- de la « tribu », mais celui du ressenti. Ce ne sont pas des interrogations abstraites. C’est donc très différent de ce dont j’ai l’habitude. En conséquence, j’ai été plus intéressé par les questions que par les réponses. De toutes façons, ce que l’on fait des réponses est le résultat d’une « distillation » qui dépend de chaque terrain humain.

F. N. : Avez-vous envie de revenir ?

D. D. : Je reviendrai sûrement. Je vais de même parler de cette manifestation à des personnes que je connais, et leur recommander d’y participer.

Propos recueillis le 7 juillet 2007 par Françoise Nowak

Emmanuelle Andreani

 

Les ateliers ludiques surprennent petits et grands

L’architecte et urbaniste Emmanuelle Andreani a découvert les Dialogues en humanité en 2007, ainsi que ses deux filles. Toutes trois ont participé à des ateliers ludiques et instructifs... sur tous les plans. Emmanuelle Andreani en témoigne. (chapeau)

Françoise Nowak : Emmanuelle Andreani, vous êtes architecte et urbaniste. Les Dialogues en humanité de cette année 2007 sont les premiers auxquels vous participez. Comment avez-vous découvert cette manifestation, et qu’y avez-vous fait ?

Emmanuelle Andreani : Mon mari est lui aussi architecte et urbaniste. A ce titre, il a été invité à participer à un des grands débats programmés dans le cadre de cet événement, sur le thème du lien entre la nature et la ville. J’ai trouvé intéressant de venir voir de quoi il retournait, en participant hier à un atelier consacré à la ville de demain, organisé par EDF, et en revenant aujourd’hui avec mes deux filles. Elles ont pu ainsi profiter d’une proposition de l’association Quart Monde, qui tient un stand destiné à sensibiliser les enfants sur la thématique de la différence et la pauvreté, et nous avons également joué à un jeu associatif, ludique et instructif sur l’intérêt de s’unir pour réaliser des objectifs bénéfiques pour chacun.

F. N. : Qu’avez-vous retiré de votre atelier d’hier ?

E. A. : Ce jeu de rôle a fait en sorte que les personnes de milieux très différents qui étaient là se sont écoutées. Son objectif était de faire comprendre à tous comment fonctionne une ville, et de nous en faire imaginer ensemble une qui consommerait moins, et valorisait ses déchets en tenant compte des points de vue de chacun. Nous avons donc évidemment parlé de la maison individuelle et, au départ, deux camps se sont constitués. Les tenants de ce type d’habitat avaient une grande répugnance pour les barres d’immeubles. Les autres, dont je faisais partie, excluaient la solution pavillonnaire, parce qu’elle est créatrice d’étalement urbain, dévoratrice d’espace naturel, et qu’elle rend quasi incontournable le recours à la voiture dans la ville. Comme dans le cadre de mon activité, je donne des cours sur le thème du projet urbain à des étudiants, j’avais déjà réfléchi à cette question, et cet atelier m’a donné l’occasion de tester mes idées. J’ai réussi à convaincre la dame la plus violemment opposée, dans le groupe, à l’habitat collectif, du bonheur qu’elle pourrait éprouver à vivre dans ce que j’appelle un « immeuble-villa ». Dans une telle structure, les cages d’escalier permettraient un accès individualisé à des appartements différents les uns des autres, et toutes ces unités d’habitations donneraient sur un parc collectif, fait de terrasses-jardins, par un accès qui leur serait spécifique. J’ai été entendue ! De plus, cette dame et moi avons toutes deux retiré de cette conversation une sensation très positive. C’est très encourageant pour moi, sur le plan professionnel !

F. N. : Aujourd’hui, 7 juillet 2007, que s’est-il passé, pour vos filles ?

E. A. : Tout d’abord, elles ont suivi un atelier auquel je les ai simplement accompagnées. Dans un premier temps, les animateurs de l’association Quart Monde les ont invitées à regarder une exposition de dessins, en leur expliquant dans quel contexte ces dessins avaient été faits et ce qu’ils racontaient.

Il s’agissait de travaux d’enfants pauvres à qui l’on avait demandé, d’une part, de dessiner collectivement sur un même papier ce qu’ils voulaient, avec l’idée de réaliser quelque chose d’harmonieux ensemble, et d’autre part, en complément, d’écrire chacun, dans une forme de cœur figurée à un endroit précis « ce qu’on ne voit pas ». Puis les animateurs ont proposé aux enfants qui étaient présents de faire la même chose. La plus petite de mes filles m’a fait inscrire dans le cœur : « que les enfants pauvres puissent venir dans le parc », et elle pensait, bien sûr, au Parc de
la Tête d’Or où se déroulent ces Dialogues en humanité. L’autre, en revanche, y a simplement écrit son prénom, ce qui me fait évidemment me poser des questions...

En tout état de cause, elles ont couru ensuite chercher leur père pour lui raconter ce qu’elles avaient fait, et il ne fait aucun doute pour moi que grâce à cet atelier, l’une et l’autre ont été sensibilisées à ces enfants pauvres qu’elles ne côtoient pas, et plus généralement à « l’autre » : à tous les humains qu’elles ne connaissent pas.

F.N. : L’atelier que vous avez fait ensuite avec vos deux filles vous a-t-il apporté autre chose ?

E. A : Oui, car il s’agissait d’effectuer des action très physiques à plusieurs- comme gonfler une toile de parachute en la soulevant- sans se parler… C’était donc à la fois très drôle et bien moins évident qu’il n’y paraît ! Se mettre d’accord et se coordonner avec quelqu’un à distance, rien qu’au regard, demande beaucoup d’attention et d’engagement de soi, mais c’est réjouissant! Nous étions 10 personnes, et nous avons joué à faire rouler une balle sur cette toile puis à la faire passer dans le trou central de cette bâche, et même à passer tous nous-mêmes sous le tissu… J’ai éprouvé beaucoup de plaisir à chaque étape, et nous avons tous beaucoup ri. J’ai ainsi découvert qu’on pouvait donner envie d’être coopératif avec très peu de moyens, et que pour certaines choses qui paraissent simples de l’extérieur, une coopération d’au moins trois personnes s’impose. Seul ou même à  deux, c’est l’échec assuré ! Réussir à plusieurs, avec du plaisir pour chacun. Que rêver de mieux ?

F. N. : Reviendrez vous en 2008 ?

E. A. A priori oui… et avec enthousiasme ! J’espère d’ailleurs qu’il y aura au programme davantage de propositions d’activités pour les enfants.

Propos recueillis le 7 juillet 2007 par Françoise Nowak

Jean-Claude Micot

Dialogue avec la forêt de Tronçais

Pour Jean-Claude Micot, président d’association très investi dans un projet de développement pour la forêt de Tronçais : « la gestion exemplaire de ce territoire, jusqu’à ce jour, peut éclairer les débats sur le fait que la frugalité est porteuse de beauté, et qu’elle n’est synonyme ni de renoncement ni de régression !

Françoise Nowak : Jean-Claude Micot, vous êtes le président fondateur de l’association Tronçais, Patrimoine de l’humanité, dont l’objectif est de préserver la qualité et l’avenir de la forêt du centre de
la France qui porte ce nom. Dans les débats qui constituent l’événement Dialogues en humanité vous côtoyez des gens qui ont des activités très différentes de la vôtre. Qu’avez-vous en commun avec eux ?

Jean-Claude Micot : Les gens qui fréquentent Dialogues en humanité ont des qualités communes fondamentales : ils sont passionnés, et vivent dans la quête perpétuelle d’apporter leur contribution à une société qui fonctionnerait de façon plus harmonieuse qu’aujourd’hui. Heureusement, ils viennent tous avec l’idée qu’eux même ont à progresser dans ce sens, ce qui évite le grave écueil d’être imbus de soi-même ! De la sorte ici, même si l’on s’oppose parfois, cela n’est jamais dans l’intention de se faire du tort, et cela change tout par rapport aux débats «  classiques » : on peut venir en confiance.

F. N. : En quoi votre propre projet s’inscrit-il dans la démarche de Dialogues en humanité ?

J.-C. M. : La forêt de Tronçais est un modèle de sylviculture. On ne trouve pas au monde de chênes de meilleure qualité que ceux qu’on y produit, depuis des siècles, à partir d’une espèce locale (« chêne sessile »), et selon un entretien qui magnifie leur frugalité : pour obtenir ce résultat inégalé, il faut faire pousser ces arbres de façon très serrée, en accompagnant leur croissance par la plantation intersticielle de hêtres que l’on doit abattre et remplacer environ tous les cent ans par de plus petits. La présence des hêtres « gaine » les chênes et les empêche de faire des branches latérales. Ainsi, au lieu de se disputer la lumière et l’espace, ces végétaux cherchent à s’élever plutôt qu’à s’étendre. Il y a de quoi en prendre de la graine ! Or justement ici, on vient parler de l’urgence de passer d’une société centrée sur la consommation, à une société frugale, pour assurer la survie de l’humanité ! Je me sens donc réconforté, encouragé à continuer à lutter pour que la forêt de Tronçais soit entretenue comme cela s’est fait au cours des siècles précédents. Il ne s’agit cependant pas du tout de la mettre sous cloche, mais d’évoluer tout en faisant en sorte qu’elle reste la référence mondiale de la forêt, et la matière première des barriques les plus recherchées sur la planète pour faire vieillir le bon vin -de quoi assurer également d’avoir les moyens d’entretenir ces 10500 hectares !- En retour, la gestion exemplaire, jusqu’à ce jour, de ce territoire peut éclairer les débats sur le fait que la frugalité est porteuse de beauté, et qu’elle n’est synonyme ni de renoncement ni de régression !

F. N. : Qu’êtes vous venus chercher dans le cadre des Dialogues en humanité de 2007 ?

J.-C. M. : Dans ce contexte constructif, c’est un plaisir de venir présenter et promouvoir mon projet, ainsi que de prendre connaissance de ceux des personnes que je rencontre. Il est très rassurant de découvrir qu’un certain nombre de gens ont eux aussi, sur d’autres registres, des objectifs centrés sur le devenir « essentiel » de l’homme, des objectifs qui débouchent sur ce que j’ai envie d’appeler « le merveilleux». S’il y a autant d’initiatives de cette teneur, dont une partie en cours de réalisation, c’est que la mienne n’est sans doute pas utopique non plus ! En confrontant ici l’expérience des autres et celle de mon association , je peux conforter le bien fondé de mes idées et les faire évoluer. Savoir comment ceux à qui j’en parle ressentent mon propre projet est très important pour pouvoir le réévaluer, et je me nourris beaucoup des propositions élaborées par mes interlocuteurs pour essayer de régler les problèmes écologiques, culturels ou sociétaux. Ces échanges ont bien sûr aussi de bons côtés « pratiques »  : on s’y donne des pistes concrètes, des chemins dont on est sûr qu’ils mènent quelque part, puisque d’autres les ont déjà empruntés, des nouvelles portes auxquelles aller frapper. Ils permettent également d’enrichir son carnet d’adresse. Enfin ces débats font avancer dans la connaissance de soi-même, de son environnement naturel et humain. Grâce à tout cela, je peux mesurer le travail encore nécessaire pour faire aboutir ma propre démarche…

F. N. : Présenter ici votre projet a-t-il déjà eu des incidences concrètes ?

J.-C. M. : Oui. J’ai participé aux Dialogues en humanité de l’année dernière, et j’y ai rencontré le directeur du jardin botanique de Lyon. Nous avons bien sûr tous deux échangé sur la forêt de Tronçais. Naturellement, la conversation s’est portée sur une variété de renoncule dont l’humanité avait perdu la trace depuis 1613, et que l’on a retrouvée dans cette forêt, en 1998, puis aux Etats-Unis, au début des années 2000.

J’ai revu cet homme cette année, et lui ai offert un plan de cette rareté végétale. Cette fleur est donc maintenant présente dans trois endroits identifiés au monde, et le public a le privilège de pouvoir l’observer au jardin conservatoire de Lyon, grâce à l’événement Dialogues en Humanité ! Il n’est par ailleurs pas exclus que cet épisode ait donné envie à ce spécialiste de parler « dans son monde » de l’intérêt manifeste de préserver la forêt de Tronçais.En tout état de cause, on peut vraiment affirmer que ces « Dialogues » sont fertiles, à tous les sens du terme.


Quand frugalité rime avec développement

L’association Tronçais, Patrimoine de l’humanité table sur un entretien de la forêt du même nom axé sur la « frugalité » pour garantir une qualité et un développement optimaux à ce territoire.

Le bonheur dans la frugalité ! Le projet de L’association « Tronçais, Patrimoine de l’humanité -TPH » pourrait bien être emblématique de l’avenir de notre propre espèce. Loin de vouloir pétrifier la forêt de Tronçais dans une histoire qui n’évolue pas (voir l’article « Dialogue avec la forêt de Tronçais »), cette association souhaite introduire ou réintroduire au cœur de cet écosystème tout une série d’activités. Elle y met toutefois une condition sine qua non : celle d’agir au service de la valorisation de cette forêt, à tous les sens du terme, à commencer par celle de sa qualité. D’où la démarche, en premier lieu, de faire reconnaître ce territoire en tant que patrimoine mondial par l’UNESCO, dans la catégorie «  paysages culturels ».

L’association TPH envisage notamment d’y créer une tonnellerie, qui constituerait la meilleure garantie de provenance et de qualité proposées aux acquéreurs de barriques pour le vin, trop souvent exposés à des contrefaçons. TPH prévoit également d’adjoindre à cet atelier une oenothèque, où seraient présentés tous les crus « accomplis » en fûts de Tronçais soit, d’après cette structure, « les meilleurs vins et spiritueux du monde ».

Selon Jean-Claude Micot, le président fondateur de TPH, une étude prospective réalisée par l’Office national des eaux et des Forêts, dans les années 1990, a conclu que la demande de bois de qualité, pour fabriquer des tonneaux de vins, devrait tripler durant le XXIème siècle, par rapport au siècle précédent.

Dix fois moindre

Si, comme ce même responsable l’affirme, « la barrique en chêne de Tronçais vaut au minimum 600 euros, alors que la concurrence, essentiellement américaine, ne satisfait personne, malgré l’attrait de son prix dix fois moindre »… il ne faut sans doute pas hésiter à conserver le mode de production et d’entretien traditionnel de cette forêt, ainsi qu’à préserver la cohérence de ses usages. Cela permettra de transmettre ce fleuron exceptionnel aux générations futures, dans son état optimal.

« La frugalité des conditions imposées à ces arbres de 40 mètres de haut, pour donner à leur bois une qualité incomparable (voir l’article : « Dialogue avec la forêt de Tronçais ») va de pair avec l’émotion esthétique qu’ils inspirent, et avec un développement humain et économique florissant ! » conclut Jean-Claude Micot. Peut-on rêver mieux ?

Françoise Nowak

Propos recueillis le 8 juillet 2007

Témoignages de Stéphane Hessel

Un trait d’union entre Israéliens et Palestiniens

La programmation d’une rencontre entre jeunes Israéliens et Palestiniens dans le cadre des Dialogues en Humanité de 2007 a convaincu l’ambassadeur Stéphane Hessel de participer à ces journées. Il tenait à y exprimer que « pour parvenir à une résolution du conflit israélo-palestinien il est crucial de relayer l’action des Nations Unies par celles d’Orgnisations non gouvernementales(ONG) associatives ». (chapeau)

Françoise Nowak: Stéphane Hessel, votre activité d’ambassadeur de France, et votre réactivité aux grands événements du monde font que vous êtes extrêmement sollicité et occupé. Qu’est-ce qui a motivé votre participation à la « mouture » de l’été 2007 de Dialogues en humanité ?

S. H : En avril 2007, j’ai longuement séjourné en Palestine, à Bil’in. Les paysans qui résident là-bas travaillaient normalement dans des champs qui leur sont devenus inaccessibles, depuis la construction du mur-frontière, érigé par les Israéliens. Tous les huit jours, les villageois de Bil’in forment une marche non violente en direction de cette barrière. Je suis allé les rencontrer, pour discuter et manifester avec eux, en compagnie de deux partenaires français, d’une suédoise qui a reçu, il y quelques années, le prix Nobel de la paix, et d’Israéliens courageux.

Au-delà du bonheur de retrouver de vieux amis, dans le magnifique Parc de
la Tête d’Or, où les « Dialogues » ont dorénavant lieu, je suis venu ici, cette année, en écho à ce voyage. J’ai appris qu’un atelier consacré à la gestion des conflits entre Israël et
la Palestine figurait au calendrier de ces journées lyonnaises, et cela m’a convaincu de faire un déplacement spécifique, depuis Paris où j’habite, pour y participer. J’y ai notamment retrouvé des membres du Mouvement pour une alternative non violente, déjà présents à Bil’in, et c’était très émouvant.

F. N. : Quel a été le sens de votre intervention, durant cet atelier ?

S. H : J’ai essayé de faire un historique du problème : de rappeler ce qui s’est passé en 1948, en 1967, et d’expliquer où l’on en est aujourd’hui. D’un côté, pour les Israéliens, garder un état juif deviendrait impossible si les Palestiniens voulaient revenir sur leurs terres d’autrefois. De l’autre, les Palestiniens ne peuvent renoncer à Jérusalem, car c’est la deuxième ville sainte de l’Islam. Il faut donc changer les mentalités des uns et des autres, pour rétablir un dialogue et une confiance réciproque…d’où l’intérêt de faire se rencontrer des jeunes Palestiniens et des jeunes Israéliens. Connaître des gens des deux pays qui s’inscrivent dans ce processus de pacification, ainsi que ceux qui organisent leur rencontre, est très intéressant. Durant cet échange, j’ai en particulier beaucoup apprécié les interventions de Monsieur Edgar Laloum, ainsi que les propos éclairants d’une psychanalyste, elle aussi très investie dans ce travail.

Après cet atelier, j’ai repris la parole durant une «  agora », c'est-à-dire dans un débat plus élargi. J’y ai dit combien il est crucial, pour parvenir à une résolution du conflit israélo-Palestinien, de relayer l’action des Nations Unies par celles d’ONG associatives, qui constituent un important réseau international.

F. N. : Aviez vous participé, par le passé, à d’autres Dialogues en Humanité?

S. H : Oui, pour leur première saison, en 2002, époque où cet événement était programmé au château de
la Tourette, un bâtiment construit par Le Corbusier. Cette année-là, nous avions planché sur la définition même du mot « humanité ». Cela avait été l’occasion de réaliser, à partir d’expériences concrètes, combien chacun de nous doit surmonter son trop-plein… d’inhumanité au profit d’une humanité revendiquée, combien il est nécessaire de conquérir (et le mot n’est pas trop fort !) sa propre humanité. Dès cette première fois, ce qui était à l’ordre du jour, c’était d’effectuer une nouvelle prise de conscience pour échapper aux idéologies, de mettre à plat nos valeurs morales, et d’interroger le monde à partir de ces valeurs.

Pour moi, il y a un lien très puissant entre la démarche de faire émerger une déclaration universelle des droits de l’homme, menée par les Nations Unies, dans les années 1940, celle de programmer des Dialogues en Humanité, sous tendus par la pensée de Patrick Viveret, et le travail réalisé de longue date avec lui, au Centre international Pierre Mendès-France : dans cette structure, des spécialistes mettent en commun leurs approches très diverses -philosophique, scientifique ou politique- en vue d’oeuvrer à la construction d’une société plus juste et plus humaine.

F. N. : Au final, qu’avez-vous retiré des Dialogues en humanité de cette année ?

S. H : Une grande satisfaction, déjà parce que j’aime m’informer sur tout. Par ailleurs, je n’ai pas l’intention d’être encore longtemps très actif. Savoir que ces gens existent, qu’ils prennent en quelque sorte « le relais », est très important pour moi. Enfin, j’ai aussi trouvé du bonheur à être de ces journées : quant on apporte de l’espérance à un groupe, on en retire soi-même autant de bienfait que le groupe concerné.


Stéphane Hessel : ambassadeur d’humanité

De l’époque de la résistance à ce jour, le diplomate Stéphane Hessel n’a jamais dévié de sa ligne directrice : œuvrer à la mise en place d’une culture de la non violence, au service de l’humanité toute entière. (chapeau)

Stéphane Hessel est un « ambassadeur d’humanité » infatigable. Né à Berlin, en 1917, cet ambassadeur de France ne cesse encore aujourd’hui, à 90 ans, de défendre la paix et la non violence. Résistant de la seconde guerre mondiale, il rejoint le général de Gaulle en 1941. En 1944, il est envoyé en mission en France. Il y est arrêté par
la Gestapo puis déporté à Dora, d’où il parvient à s’échapper et à rejoindre l’armée américaine. En 1948, il participe à la rédaction de
la Déclaration universelle des droits de l’homme, démarche menée à l’initiative de l’ONU, et c’est pour lui le point de départ de toute une liste de missions dans le domaine des droits de l’homme ainsi qu’en matière de coopération entre les peuples.

Actuellement, Stéphane Hessel est membre du comité de parrainage de
la Coordination française pour la décennie de la culture de la non violence : une association dont l’ambition
est de favoriser le passage d'une culture de la violence à une culture de la non-violence, pour le bien des enfants et des adolescents du monde entier.

De façon concrète

Stéphane Hessel soutient, depuis sa création en 2001, le fonds associatif Non-violence XXI, mis en place par les 11 principales organisations non-violentes françaises. Il compte également parmi les membres fondateurs du Collegium international éthique, politique et scientifique, dont l’objectif est de trouver des réponses intelligentes et appropriées aux attentes des peuples, face aux nouveaux défis de notre temps.

Au delà des mots, Stéphane Hessel s’engage de façon concrète. En 2003, il a signé, avec d'autres anciens résistants, la pétition "Pour un traité de l'Europe sociale" et en août 2006, un appel contre les frappes israéliennes au Liban, paru dans Libération et dans L’humanité, à l’appel de l’Union juive de France pour la paix.

En 2007, il est allé soutenir sur place les manifestations pacifiques des habitants du village palestinien de Bil’in, privés de leurs champs par le mur-frontière édifié par les Israéliens.

Propos recueillis le 7 juillet 2007 par Françoise Nowak