Marc Vella : « Le merveilleux est dans le simple »

Pour le pianiste et compositeur Marc Vella : « Le merveilleux est dans le simple »

Le pianiste et compositeur Marc Vella a été l’invité des « Dialogues en humanité » de 2009.
Son approche du monde et la « guérilla des bisous » qu’il a mise en chantier sous le nom de « Caravane amoureuse », depuis 2004, sont on ne peut plus en phase avec la manifestation lyonnaise.

Françoise Nowak :
Vous avez participé, le samedi 4 juillet 2009, à la manifestation lyonnaise « Dialogues en humanité » par un concert-rencontre au piano dans le parc de la Tête d’or, ainsi que par des improvisations et des échanges avec les promeneurs durant l’après-midi du lendemain.
Qu’est-ce que le titre de cette programmation évoque pour vous ?

Marc Vella :
Cela fait 25 ans que je « dialogue en humanité » avec mon piano à queue !
A l’âge de 24 ans, plutôt que de suivre l’itinéraire classique auquel mes études me prédestinaient, j’ai décidé de partir à l’aventure de par le monde avec cet instrument, au volant d’une R5 bricolée équipée d’une remorque, et d’en faire un vecteur d’échanges humains. A l’époque, j’avais envie de faire l’amour avec la terre entière ! J’étais extrêmement attiré par la beauté profonde de tous les peuples. Depuis lors, j’ai parcouru plus de 170 000 km, dans une quarantaine de pays, du pôle Nord à Madagascar, en passant par les pays de l’Est, le Maghreb ou l’Afrique noire

Françoise NOWAK :
Dans quels contextes intervenez-vous ?

Marc Vella :
Dans tous les contextes, y compris dans des salles de concerts traditionnelles. Que je sois invité dans des maisons de retraites, attendu dans une prison, ou que j’arrive à l’improviste dans un village du Sahara, la surprise est la même : les gens qui m’accueillent n’ont généralement jamais vu de piano à queue. Ils sont curieux et touchés par mon envie de partager un temps avec eux, tout comme par ma musique. Dans les lieux ouverts, le scénario est toujours du même type : d’abord, ce sont les enfants qui viennent vers moi, puis ce sont les femmes, et ensuite des musiciens… Le décor de la fête est campé !

Françoise NOWAK :
Quel type de musique faites vous ?

Marc Vella :
J’interprète les pièces que j’ai écrites pour piano et variacordes, un système de mon invention que j’ai aménagé à l’intérieur de mon instrument et qui lui donne une palette orchestrale. Cela dit, aujourd’hui, je me dirige de plus en plus vers l’improvisation. Il m’est arrivé de vivre cette forme d’expression avec des musiciens du désert, et j’ai senti qu’ils étaient alors habités par la grâce. Cette pratique demande d’être dans « l’ici et maintenant », de se libérer du carcan du « mental ». Si l’on y arrive, on devient porteur de cette grâce : L’oeuvre qui en résulte a quelque chose d’universel, parce qu’en la créant sur le vif, on n’est plus dans la partition mais dans le mystère : on se livre à l’inconnu. Du coup, quelque chose se révèle et inévitablement touche les gens. Mon ambition, aujourd’hui, c’est d’arriver à cela en permanence.

Françoise NOWAK :
La reconnaissance et le succès vous ont-ils rendu moins aventureux ?

Marc Vella :
Absolument pas ! A force d’entendre des gens me dire qu’ils voudraient se transformer en petite souris pour pouvoir assister aux rencontres fabuleuses dont je témoigne, j’ai mis en place ce que j’ai appelé « la Caravane amoureuse », en 2004. Cette année-là, grâce à la générosité du directeur de la CITRAM, une société de transports bordelais, j’ai pu affréter trois bus et les faire aménager en camping-car. J’ai alors proposé à des personnes de tous âges et de tous horizons de m’accompagner pendant deux mois au Maroc pour y opérer une « guérilla des bisous » ! L’idée de cette initiative, c’est « d’envahir » les autres pays -et même le nôtre- par l’amour, avec bienveillance et confiance, bref d’aller vers l’humanité autrement. La première des écologies commence là. Par son regard, par l’accueil joyeux, respectueux et ouvert que l’on réserve à ceux que nous croisons, nous pouvons casser les rapports de pouvoir qui sont la source de toutes les pollutions. Cette première opération a rassemblé 33 personnes de 20 à 80 ans. Ensuite, il y en a eu deux autres : une, dont le cap était la Roumanie, en 2006, et la dernière, en 2008, qui m’a fait arpenter la France, la Suisse et la Belgique, avec 60 caravaniers. Chaque fois, ça a été une aventure extraordinaire ! Maintenant, je prépare celle de 2010, qui fera son chemin, du 15 avril au 6 juin, en Bulgarie, en Turquie, en Syrie et au Liban. Au passage, j’invite ceux qui souhaitent s’y inscrire à se rendre sur le site http://www.caravane-amoureuse.com.

Françoise Nowak :
Qu’est ce que les « Caravanes amoureuses » précédentes vous ont appris ?

Marc Vella :
Beaucoup de choses, et chacun de ces apprentissages est un cadeau. Tout d’abord, j’ai osé monter ce projet que bien des gens considèrent a priori comme utopique ou dangereux, et sa concrétisation m’a montré que j’avais raison d’y croire, puisqu’il déclenche un engouement et des événements carrément hallucinants. Je vous donne un exemple : un soir au Maroc, dans une auberge, certains d’entre nous jouaient avec des musiciens locaux, tandis que des caravanières dansaient avec les hommes du village. A un moment, ces dernières ont été interpelées par les youyous « d’accompagnement » provenant des femmes voilées restées à l’extérieur, parce qu’elles n’avaient pas le droit d se mêler à la fête. Grâce à leur insistance amicale et la joie ambiante, elles ont obtenu que ces « exclues » puissent entrer ! Du jamais vu ! Deuxième cadeau : j’ai vécu des transformations positives dans les relations humaines. C’est porteur d’espérance et cela m’a fait grandir !
Ces périples sont également des occasions de se rencontrer soi-même, de savoir qui l’on est vraiment :
autant le premier s’est déroulé en harmonie avec les autochtones que nous avons rencontrés, autant il a été difficile, au sein de « l’équipe». Après l’avoir terminé, j’ai même cru que je ne referai plus jamais ce genre d’expérience ! Heureusement, j’ai pris du recul et fini par comprendre que je ne m’étais pas suffisamment fait le garant du cadre. J’ai laissé certaines personnes me « démolir » en entrant dans des processus relationnels malsains, tout cela parce que je ne m’estimais pas assez moi-même ! J’ai donc travaillé sur ce handicap intérieur…
Du coup, durant la Caravane de 2008, il n’y a pas eu l’ombre d’un conflit.

Françoise NOWAK :
Que pensez-vous des « Dialogues en humanité » lyonnais ?

Marc Vella  :
C’est un festival qui a du sens ! Je suis ravi qu’on m’y ait convié.
C’est d’ailleurs un des meilleurs que je connaisse sur la non-violence, l’écologie et les différentes thématiques qui leur sont reliées. Dans un certain nombre d’autres, sous prétexte d’une mouvance alternative, on trouve une énergie de révolte négative, dans un décor de drogue, de bouteilles de bières par terre, de sono à fond et de musique techno hyper agressive qui n’engendre rien de bon.
Ici, au contraire, tout le monde est très respectueux, très « écolo ». On sent une conscience en marche, un caractère bon enfant et profond. Pour quelqu’un qui fait comme moi plus de 200 concerts par an, ça saute tout de suite aux yeux ! Quant aux intervenants, tels Patrick Viveret ou Jean-François Noubel, je les connaissais déjà, et Pierre Rabhi est un ami.

Je pense, comme les organisateurs de cette manifestation, que tant qu’on aspire à une transformation en gardant le goût du pouvoir et de la compétition, c’est sans issue. Il faut absolument sortir de ce paradigme.
La performance n’est pas dans la domination mais au niveau du cœur, comme celle de ne sombrer ni dans l’amertume, ni dans la colère ni dans la haine face aux épreuves que l’on traverse
J’ai créé les « Caravanes amoureuses » dans le même esprit que ce qui se passe à Lyon. Elles font la preuve que le merveilleux est dans le simple, que des sourires peuvent être beaucoup plus puissants que des paillettes…
L’amour est un terme tristement galvaudé. Il fait l’objet de manipulations qui rendent la plupart des individusdépendants de désirs inutiles. Il faut au contraire revendiquer de pouvoir aimer de façon libre et ouverte, sans culpabilité…
Oui, décidément, je me sens au même diapason que les « Dialogues en Humanité », et j’espère qu’on m’y réinvitera! 

Propos recueillis par Françoise NOWAK, le 2 août 2009