C'est un morceau de mon livre sur le FSM ("Changer le monde"),
raccontant une experience menée au Forum de 2003 par tout un groupe animé par Patrick Viveret, autour d'un théme que nous avons commencé à debattre sous les arbres de Lyon :
comment reussir à echouer...
Chico Whitaker
Si l'attraction exercée par les forums est due à leurs modalités d'organisation et aux règles qu'ils propose dans les relations entre participants, il est alors important de prendre conscience de ce qui fait leur originalité.
Sinon, l'invention politique qu'est le forum risque de se diluer dans l'ensemble des initiatives prises de par le monde pour le dépassement des dominations, et de perdre toutes ses potentialités.
Un groupe de personnes, en France et au Brésil - groupe dont je faisais partie - s'est emparé de cette question en octobre 2002, lors de la préparation du 3e FSM, et a pris l'initiative de lancer un processus de réflexion sur le Forum lui-même. Ce groupe avait l'intuition de la nécessité de changements dans les comportements, au niveau personnel. Des changements nécessaires pour l'organisation même des Forums, au niveau des organisateurs, et qui ouvrent la voie pour des pratiques politiques réellement nouvelles. En réalité ce sentiment se faisait sentir à l'aune des difficultés vécues au sein des Comités d'organisation et du comité international, à chaque fois que le tentacule du vieux monde faisait irruption dans ces instances.
Pour stimuler cette réflexion, le groupe a crée une liste de discussion par Internet - « WSFitself », le Forum en lui-même - ouverte à toutes les personnes intéressés par cette réflexion et voulant échanger analyses et idées. Tous les participants des Forums et du Conseil International, dans différents pays, qui avaient exprimé le même type de préoccupation ont été invités à participer à cette liste de discussion.
L'initiative a soulevé beaucoup d'intérêt, mais le débat qui a suivi a été insuffisant. Son lancement a cependant été utile pour mettre en évidence combien nous étions nombreux à avoir la même préoccupation.
Cette dynamique a débouché sur un certain nombre d'activités lors des FSM de 2003 à Porto Alegre et de 2004 à Mumbai. En 2003, l'association française « Interactions Transformation Personnelle / transformation sociale » a proposé un atelier autour du thème « Dépasser les logiques de rivalité et de pouvoir : un enjeu pour le FSM ? ». En 2004, une table ronde sur « le futur du FSM » a été organisée.
L'atelier de 2003 à Porto Alegre a utilisé une méthode particulièrement intéressante. En amont du Forum, l'association Interactions TP/TS a envoyé à tous les participants des Forums l'invitation suivante :
« Afin de préparer les éléments à travailler collectivement à Porto Alegre dans l'atelier 'Se dégager des logiques de pouvoir et de rivalité, un enjeu pour le FSM ?' nous vous proposons une série de questions, dans l'idée lancer le débat et de recueillir les contributions de toutes les personnes intéressées : »
Durant le FSM, l'atelier, qui a réuni une cinquantaine participants, a utilisé la méthode d'inversion proposée par Paul Watslawick, de l'école de Palo Alto (californie, USA), qui a écrit un livre au titre provocateur :
Son éditeur le présente ainsi :
« Paul Watzlawick nous avait enseignés, dans son précédent livre, 'Faites vous-même votre malheur', les moyens les plus raffinés pour devenir malheureux . Maintenant il cherche à comprendre et à approfondir les recettes qui mènent infailliblement à l'échec.
Comment réussir à échouer ?
C'est simple. À chaque problème, il suffit de trouver l'ultrasolution.
Qu'est-ce qu'une ultrasolution ?
C'est une solution qui nous débarrasse non seulement du problème mais aussi de tout le reste.
C'est un peu comme la vieille blague du carabin : mission accomplie, patient décédé.
Il existe beaucoup d'ultrasolutions, étudiées et répertoriées dans ce livre : elles s'appliquent tout autant aux conflits conjugaux qu'aux relations internationales.
La règle est simple :
il faut que le jeu que l'on joue avec l'autre soit de somme nulle, c'est à dire que vous ne puissiez gagner que si l'autre perd, et vice versa. Il est par conséquent impossible que les deux gagnent, mais normal que les deux perdent. Personne n'aura pas de mal à trouver dans sa vie et dans celle de ces proches des ultrasolutions. Il suffit de lire les journaux ou d'écouter les informations, mais leur mécanisme est dans ce livre minutieusement détaillé et mis à la portée de tous ».
La proposition était présentée de la façon suivante :
« Le capitalisme, l'impérialisme, le G7, les grands médias et les multinationales n'ont pas réussi, malgré leurs moyens considérables, à empêcher l'émergence d'une société civile et civique mondiale et la réussite de ses rendez vous annuels dans le cadre du FSM à Porto Alegre. Pour réussir à faire échouer les prochains forums sociaux mondiaux, continentaux ou locaux, il nous faut donc compter sur nos propres forces. Il est donc temps d'en finir avec ces formes démocratiques nouvelles qui prétendent garantir le pluralisme, la créativité, l'indépendance à l'égard des partis, la transparence et la convivialité. La tâche semble à priori impossible tant sont considérables les acquis positifs des trois premiers Forums Sociaux Mondiaux ?
Des efforts louables dans la voie de l'échec apparaissent cependant de plus en plus. Exploités systématiquement, ils pourraient, contre toute attente, nous permettre de réussir à faire échouer la dynamique future des Forums. »
À partir de là, les participants ont rédigé un texte indiquant ce qui devrait être fait pour faire imploser le FSM.
Cependant, une fois le texte rédigé, ils ont conclu que ce texte, diffusé en l'état, pourrait être source d'incompréhensions et de malentendus.
La démarche reproduirait alors les mêmes effets qu'elle voulait analyser :
installer des procès d'intention au lieu de construire les désaccords dans le cadre du pluralisme qui caractérise la dynamique du forum depuis son origine.
Ils ont donc pris l'option - après avoir travaillé sous forme humoristique autour de la méthode de Paul Watzlavick - de reprendre, de façon affirmative, quelques-uns uns des risques que leur semblait courir la dynamique des Forums, d'énoncer clairement leurs sources d'inquiétude et de proposer aux participants des forums, présents et futurs,
un débat autour des points suivants :
Sur tous ces points comme sur bien d'autres que l'atelier n'a fait qu'esquisser, il existe nombre d'antidotes aux toxines qui pourraient empoisonner la dynamique des forums. Dans la plupart des cas rester fidèle à l'esprit et pas seulement à la lettre de la Charte des principes du FSM pourrait suffire à garantir cette qualité démocratique et relationnelle qui a assuré la réussite des forums jusqu'ici. En tout état de cause il nous semble important d'en débattre ouvertement.
Et, en conclusion :
« C'est pourquoi nous invitons toutes celles et tous ceux que ce débat intéresse à le poursuivre avec nous en s'inscrivant sur la liste de discussion l'adresse suivante : wsfitself@no-log.org[# Cette liste existe toujours, même si elle est presque désactivée. Ses organisateurs pensent la réactiver, en se concentrant plus sur la discussion de l'expérience des forums sociaux mondiaux locaux.] »
La continuité de la « méthode forum » est à mon sens un élément très important. Ainsi, j'ai été marqué par le nombre important de personnes qui s'y intéressaient, qui s'engageaient cette réflexion, essayaient d'améliorer cette méthode en préservant sa continuité. À Mumbai, en 2004, une grande plénière a été organisée, dans une salle pouvant accueillir 300 ou 400 personnes, ainsi qu'un grand séminaire de 100 personnes. Il s'agissait de discuter simplement de ce que le Forum apporte de nouveau dans l'action politique, en tant qu' « espace ouvert ». À Porto Alegre, en 2003, il n'y avait eu qu'un seul atelier sur ce thème.
Cet atelier n'a réuni qu'une cinquantaine de personnes, et un nombre assez réduit de participants du Forum en a eu connaissance. Mais le moins que l'on puisse dire est que le travail explosif de ce petit atelier donne beaucoup de pistes pour ceux qui veulent approfondir la réflexion sur les nouvelles pratiques expérimentées dans les rencontres du FSM.
Le Forum Social Mondial peut se définir comme la convergence des mouvements sociaux dans un espace commun, au niveau mondial, en réponse à la mondialisation des marchés et à la logique économiciste qui continue de tout régir. En arrière des Forums Sociaux Mondiaux, il y a la volonté des mouvements féministes, écologistes, autochtones et antimondialistes de créer un espace commun où d’autres logiques pourraient être débattues et d’autres alternatives pourraient se créer.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Forum_social_mondial
http://www.forumsocialmundial.org.br/