Jean-Claude Micot

Dialogue avec la forêt de Tronçais

Pour Jean-Claude Micot, président d’association très investi dans un projet de développement pour la forêt de Tronçais : « la gestion exemplaire de ce territoire, jusqu’à ce jour, peut éclairer les débats sur le fait que la frugalité est porteuse de beauté, et qu’elle n’est synonyme ni de renoncement ni de régression !

Françoise Nowak : Jean-Claude Micot, vous êtes le président fondateur de l’association Tronçais, Patrimoine de l’humanité, dont l’objectif est de préserver la qualité et l’avenir de la forêt du centre de
la France qui porte ce nom. Dans les débats qui constituent l’événement Dialogues en humanité vous côtoyez des gens qui ont des activités très différentes de la vôtre. Qu’avez-vous en commun avec eux ?

Jean-Claude Micot : Les gens qui fréquentent Dialogues en humanité ont des qualités communes fondamentales : ils sont passionnés, et vivent dans la quête perpétuelle d’apporter leur contribution à une société qui fonctionnerait de façon plus harmonieuse qu’aujourd’hui. Heureusement, ils viennent tous avec l’idée qu’eux même ont à progresser dans ce sens, ce qui évite le grave écueil d’être imbus de soi-même ! De la sorte ici, même si l’on s’oppose parfois, cela n’est jamais dans l’intention de se faire du tort, et cela change tout par rapport aux débats «  classiques » : on peut venir en confiance.

F. N. : En quoi votre propre projet s’inscrit-il dans la démarche de Dialogues en humanité ?

J.-C. M. : La forêt de Tronçais est un modèle de sylviculture. On ne trouve pas au monde de chênes de meilleure qualité que ceux qu’on y produit, depuis des siècles, à partir d’une espèce locale (« chêne sessile »), et selon un entretien qui magnifie leur frugalité : pour obtenir ce résultat inégalé, il faut faire pousser ces arbres de façon très serrée, en accompagnant leur croissance par la plantation intersticielle de hêtres que l’on doit abattre et remplacer environ tous les cent ans par de plus petits. La présence des hêtres « gaine » les chênes et les empêche de faire des branches latérales. Ainsi, au lieu de se disputer la lumière et l’espace, ces végétaux cherchent à s’élever plutôt qu’à s’étendre. Il y a de quoi en prendre de la graine ! Or justement ici, on vient parler de l’urgence de passer d’une société centrée sur la consommation, à une société frugale, pour assurer la survie de l’humanité ! Je me sens donc réconforté, encouragé à continuer à lutter pour que la forêt de Tronçais soit entretenue comme cela s’est fait au cours des siècles précédents. Il ne s’agit cependant pas du tout de la mettre sous cloche, mais d’évoluer tout en faisant en sorte qu’elle reste la référence mondiale de la forêt, et la matière première des barriques les plus recherchées sur la planète pour faire vieillir le bon vin -de quoi assurer également d’avoir les moyens d’entretenir ces 10500 hectares !- En retour, la gestion exemplaire, jusqu’à ce jour, de ce territoire peut éclairer les débats sur le fait que la frugalité est porteuse de beauté, et qu’elle n’est synonyme ni de renoncement ni de régression !

F. N. : Qu’êtes vous venus chercher dans le cadre des Dialogues en humanité de 2007 ?

J.-C. M. : Dans ce contexte constructif, c’est un plaisir de venir présenter et promouvoir mon projet, ainsi que de prendre connaissance de ceux des personnes que je rencontre. Il est très rassurant de découvrir qu’un certain nombre de gens ont eux aussi, sur d’autres registres, des objectifs centrés sur le devenir « essentiel » de l’homme, des objectifs qui débouchent sur ce que j’ai envie d’appeler « le merveilleux». S’il y a autant d’initiatives de cette teneur, dont une partie en cours de réalisation, c’est que la mienne n’est sans doute pas utopique non plus ! En confrontant ici l’expérience des autres et celle de mon association , je peux conforter le bien fondé de mes idées et les faire évoluer. Savoir comment ceux à qui j’en parle ressentent mon propre projet est très important pour pouvoir le réévaluer, et je me nourris beaucoup des propositions élaborées par mes interlocuteurs pour essayer de régler les problèmes écologiques, culturels ou sociétaux. Ces échanges ont bien sûr aussi de bons côtés « pratiques »  : on s’y donne des pistes concrètes, des chemins dont on est sûr qu’ils mènent quelque part, puisque d’autres les ont déjà empruntés, des nouvelles portes auxquelles aller frapper. Ils permettent également d’enrichir son carnet d’adresse. Enfin ces débats font avancer dans la connaissance de soi-même, de son environnement naturel et humain. Grâce à tout cela, je peux mesurer le travail encore nécessaire pour faire aboutir ma propre démarche…

F. N. : Présenter ici votre projet a-t-il déjà eu des incidences concrètes ?

J.-C. M. : Oui. J’ai participé aux Dialogues en humanité de l’année dernière, et j’y ai rencontré le directeur du jardin botanique de Lyon. Nous avons bien sûr tous deux échangé sur la forêt de Tronçais. Naturellement, la conversation s’est portée sur une variété de renoncule dont l’humanité avait perdu la trace depuis 1613, et que l’on a retrouvée dans cette forêt, en 1998, puis aux Etats-Unis, au début des années 2000.

J’ai revu cet homme cette année, et lui ai offert un plan de cette rareté végétale. Cette fleur est donc maintenant présente dans trois endroits identifiés au monde, et le public a le privilège de pouvoir l’observer au jardin conservatoire de Lyon, grâce à l’événement Dialogues en Humanité ! Il n’est par ailleurs pas exclus que cet épisode ait donné envie à ce spécialiste de parler « dans son monde » de l’intérêt manifeste de préserver la forêt de Tronçais.En tout état de cause, on peut vraiment affirmer que ces « Dialogues » sont fertiles, à tous les sens du terme.


Quand frugalité rime avec développement

L’association Tronçais, Patrimoine de l’humanité table sur un entretien de la forêt du même nom axé sur la « frugalité » pour garantir une qualité et un développement optimaux à ce territoire.

Le bonheur dans la frugalité ! Le projet de L’association « Tronçais, Patrimoine de l’humanité -TPH » pourrait bien être emblématique de l’avenir de notre propre espèce. Loin de vouloir pétrifier la forêt de Tronçais dans une histoire qui n’évolue pas (voir l’article « Dialogue avec la forêt de Tronçais »), cette association souhaite introduire ou réintroduire au cœur de cet écosystème tout une série d’activités. Elle y met toutefois une condition sine qua non : celle d’agir au service de la valorisation de cette forêt, à tous les sens du terme, à commencer par celle de sa qualité. D’où la démarche, en premier lieu, de faire reconnaître ce territoire en tant que patrimoine mondial par l’UNESCO, dans la catégorie «  paysages culturels ».

L’association TPH envisage notamment d’y créer une tonnellerie, qui constituerait la meilleure garantie de provenance et de qualité proposées aux acquéreurs de barriques pour le vin, trop souvent exposés à des contrefaçons. TPH prévoit également d’adjoindre à cet atelier une oenothèque, où seraient présentés tous les crus « accomplis » en fûts de Tronçais soit, d’après cette structure, « les meilleurs vins et spiritueux du monde ».

Selon Jean-Claude Micot, le président fondateur de TPH, une étude prospective réalisée par l’Office national des eaux et des Forêts, dans les années 1990, a conclu que la demande de bois de qualité, pour fabriquer des tonneaux de vins, devrait tripler durant le XXIème siècle, par rapport au siècle précédent.

Dix fois moindre

Si, comme ce même responsable l’affirme, « la barrique en chêne de Tronçais vaut au minimum 600 euros, alors que la concurrence, essentiellement américaine, ne satisfait personne, malgré l’attrait de son prix dix fois moindre »… il ne faut sans doute pas hésiter à conserver le mode de production et d’entretien traditionnel de cette forêt, ainsi qu’à préserver la cohérence de ses usages. Cela permettra de transmettre ce fleuron exceptionnel aux générations futures, dans son état optimal.

« La frugalité des conditions imposées à ces arbres de 40 mètres de haut, pour donner à leur bois une qualité incomparable (voir l’article : « Dialogue avec la forêt de Tronçais ») va de pair avec l’émotion esthétique qu’ils inspirent, et avec un développement humain et économique florissant ! » conclut Jean-Claude Micot. Peut-on rêver mieux ?

Françoise Nowak

Propos recueillis le 8 juillet 2007