Programme 2002

Février 2002

Rencontre, lors du sommet mondial sur le développement durable à Johannesburg, des créateurs des "Dialogues en Humanité": Gérard Collomb, sénateur maire de Lyon et Président du Grand Lyon, Patrick Viveret, philosophe, Geneviève Ancel, conseillère technique au cabinet du Président du Grand Lyon pour le développement durable et Hugues Sibille, directeur délégué (adjoint du Président) en charge de l'économie sociale et des collectivités territoriales au Crédit Coopératif. 

Au-delà du développement durable, la question humaine

 

 

mardi 10 septembre 2002
Notre amie, Généviève Ancel, responsable du développement durable pour la ville de Lyon, était présente à Johannesburg. À son retour, elle répond à nos questions. Nous reviendrons dans un prochain numéro de façon plus approfondie sur le bilan réel de ce Sommet de la Terre.

Confluences : Vous revenez de Johannesburg, l’opinion la plus répandue est que les résultats sont très en retrait sur ceux de Rio voici dix ans. Comment s’explique ce sentiment d’échec et faut-il vraiment parler d’un sommet pour rien ?

Geneviève Ancel : Si Rio, il y a dix ans, a mis en avant la prise en compte, par les décideurs internationaux, du local par rapport au global en proposant la mise en œuvre des agendas 21, ainsi que les grandes conventions (biodiversité, lutte contre la désertification, climat...), Johannesburg, quant à lui, a démontré la capacité de la société civile à répondre aux enjeux du développement durable et à assumer la responsabilité collective.

Ce qui a été demandé à Johannesburg, c’est une plus grande régulation mondiale pour endiguer la pauvreté et les risques écologiques, un meilleur accès aux services et biens publics mondiaux pour les populations qui en sont privées, la reconnaissance de la responsabilité sociale et écologique conjointe des Etats, des entreprises et des collectivités locales.

Ces attentes sont pour le moins aux antipodes des idéologies dérégulatrices et du fondamentalisme des marchés.

Il n’est pas anormal dans ces conditions que les Etats Unis se retrouvent sur le fond sur la défensive, même s’ils utilisent au maximum leur puissance comme moyen de blocage des négociations internationales en matière d’environnement ou d’autres sujets.

Au sortir de Johannesburg et fort de cette prise de conscience, de nouvelles pistes d’actions et d’interventions sont à inventer pour les ONG. C’est ce que nous appelons la politique du « chiche ». D’une part, les initiatives prises par les ONG peuvent enclencher des cercles vertueux en nourrissant les politiques développées par les Etats et les entreprises. D’autres part, elles doivent rester des aiguillons pour que les discours ne restent pas lettre morte et que les actes soient mis en adéquation avec les paroles. Cela devra également permettre aux ONG et à toute la société civile d’accompagner l’évolution de la prise en compte du développement durable, par exemple par la prise de sanctions : un travail sur l’image peut être envisagé puisque c’est le point faible de beaucoup d’entreprises.

Pour ce faire, des agences de notation sociale, telle que celle lancée par Nicole Notat pourront être des outils innovants pour mettre en adéquation les discours et le marketing avec la réalité.

Vous étiez présente à Johannesburg, dans le cadre de la délégation de la Ville de Lyon qui a pris des initiatives importantes en matière de développement durable. Comment peut-on concevoir le rôle futur des autorités locales ?

En réponse, je citerais les propos qu’a tenus Gérard Collomb, à son retour de Johannesburg. Ils me semblent illustrer parfaitement cette prise de conscience : « les Etats peinent à prendre des décisions, alors que les acteurs locaux sont déterminants sur tous les problèmes de développement durable, d’eau, de déchets, de transport, d’urbanisme. Le fait de transformer les choses sans attendre, de comparer entre villes ce qui est fait, contribue de fait à changer la politique mondiale. D’ailleurs, il faut trouver une réelle forme de représentation des grandes villes comme des ONG, à côté des Etats, dans les discussions internationales. Cela progresse puisqu’à Rio il y avait peu de collectivités locales. A Johannesburg plusieurs milliers d’entre elles étaient représentées, trop peu ont pu s’exprimer. L’échange d’expériences qui a été fait à Johannesburg permet aussi de transformer sa pensée. Les projets de l’université du développement durable pour échanger les bonnes pratiques, le travail de coopération avec les ONG, l’OMS, ONU SIDA et les autres villes, permettent de contribuer y compris à réduire la pauvreté dans le monde ».

Jacques Chirac s’est illustré par la radicalité de son propos et des propositions qui ressemblent à celles d’ATTAC. Comment a-t-il été reçu ? N’est-il pas d’autant plus radical qu’il a peu de chances d’être entendu ?

C’est bien là que pourrait intervenir la politique du « Chiche ! ». Il n’est pas négligeable que le président d’un grand pays reprenne de telles propositions dans le contexte international actuel. Cela dit, le rôle d’une société civile dynamique est précisément de vérifier le passage des proclamations aux actes afin de dénoncer éventuellement les cas de « publicité mensongère ». Certaines délégations du Sud se sont d’ailleurs demandées, et on peut les comprendre, si toutes les politiques menées en France correspondaient bien à ces propos.

Comment peut-on avancer désormais ? Est-ce que la notion de développement durable qui est aujourd’hui communément acceptée peut se suffire à elle- même ? Ne faut-il pas, notamment en direction des pays du Sud y ajouter, l’adjectif équitable ?

La notion de développement durable est issue d’un compromis entre les tenants de la croissance et ceux de l’éco-développement. C’est peut-être ce qui explique qu’en France, cette notion est encore réduite à sa dimension environnementale, au détriment de la dimension sociale. Je ne pense pas qu’il faille des expressions à rallonge, elles perdent de leur sens en gagnant des caractères d’imprimerie. Le développement durable est nécessairement un développement équitable. Ce qu’il faut faire entendre aux décideurs, c’est que l’équité est partie intégrante du projet de société que nous défendons.

Par exemple, la question du temps et la question de la soutenabilité (que traduit très mal le terme français de « durable » et qu’il faut véritablement entendre comme supportable, digne pour tous) sont des leviers importants pour la mise en œuvre d’un développement réellement durable. L’équité, quant à elle, n’est pas seulement pour l’ici et maintenant, mais aussi pour demain et partout, et c’est ce qu’a apporté la notion de développement durable. L’équité, doit être entendue comme la répartition avec tous les habitants de la planète des ressources disponibles actuellement, mais aussi en regard des besoins des générations futures.

De toute manière l’enjeu essentiel est la prise en compte du facteur humain.

La plupart des grands maux qu’une logique de développement durable cherche à combattre, pauvreté, faim, non-accès à l’eau potable, soins insuffisants ou inexistants etc, ne sont pas dus à des raretés physiques ou monétaires. Selon le PNUD les dépenses de publicité annuelles dans le monde sont dix fois supérieures aux sommes qu’il faudrait mobiliser chaque année pour éradiquer la plupart de ces fléaux. La prédiction de Gandhi se trouve ainsi vérifiée : « il y a suffisamment de ressources sur cette planète pour répondre aux besoins de tous mais pas assez pour satisfaire le désir de possession de chacun ». C’est dire que c’est plus l’avidité et la dureté des cœurs que la rareté des ressources qui fait problème tant pour cette génération que pour les suivantes. La définition du développement durable en termes de besoins est trop réductrice par rapport à la principale difficulté qui est moins celle de la satisfaction des besoins (entendus comme besoins vitaux), que la propension à satisfaire des désirs de richesse ou de pouvoir très au-delà du nécessaire pour les riches et les puissants et souvent en deçà du seuil vital pour les nouveaux misérables de cette planète. En ce sens on ne peut dissocier le développement humain du développent durable et il faut donner à l’objectif de développement humain sa pleine épaisseur éthique et spirituelle. L’humanité est certes menacée, et même menacée gravement et à court terme, de voir son aventure se terminer prématurément mais cette menace est pour l’essentiel due à sa propre inhumanité. S’il est nécessaire de réunir comme à Rio et à Johannesburg des « sommets de la terre » il est non moins nécessaire de construire un processus international conduisant avant dix ans à créer les conditions d’un forum mondial sur la question humaine, bref sur les moyens que se donne l’humanité afin de vivre mieux sa propre condition. Les modalités de ce forum seront à construire progressivement, mais d’ores et déjà un processus a été enclenché dès Johannesburg dans cette direction.